Tableau noir avec un texte écrit à la craie "Hello, my name is..."

Les critères du regard cis 1 à 1 (6/20)

Note : Bonjour et déjà : pardon, ça fait longtemps. Je vous avais promis un article par mois pour arriver au bout des articles détaillés sur les critères du regard cis, mais après le 5ème le rythme est devenu intenable. Après j’ai culpabilisé et du coup j’ai procrastiné. Après vous avez été plusieurs à me dire que mes articles étaient utiles et du coup merci, vous permettez à cet article sur le 6ème critère du regard cis au cinéma d’exister ! C’est parti.

Pour ce sixième article détaillé, nous allons parler de l’utilisation volontaire du deadname et du mégenrage dans les films sur les personnes trans. Pour vous donner un ordre d’idée de la fréquence de cet usage, le film référencé sur Représentrans qui coche le moins de critères coche celui-ci (il s’agit de Rurangi, 1 critère coché et encore, le son est “flouté”) ; et sur les 12 films recensés pour le moment, 9 le cochent. Il s’agit à priori du 3ème critère le plus présent dans les productions autour d’un personnage trans, juste derrière les critères “le personnage s’habille ou se maquille” et “le personnage est victime d’une agression”.

Mégenrage et deadname : des violences transphobes banalisées par le cinéma

Cela nous permet une très bonne transition vers le premier point de cet article : l’utilisation du deadname d’une personne trans et / ou son mégenrage, que ce soit volontaire ou non, répété ou non, sont des formes de violences transphobes.

Dans les films, ces procédés de violence verbale sont utilisés notamment dans les cercles proches des personnes trans, par des personnes de confiance. Parmi les innombrables exemples, nous pouvons citer :

  • Gerda, dans The Danish Girl (Tom Hooper, 2015), qui réclame son “mari”. Au sein de son couple, Lili est victime d’une violence quotidienne et psychologique. L’usage du deadname du personnage et son mégenrage sont répétitifs.
  • Le petit frère complice de Lara, dans Girl (Lukas Dhont, 2017), utilise son deadname dans un moment d’énervement. L’enfant sait qu’il n’a pas le droit de l’utiliser et le fait, dans le contexte, pour provoquer la stupeur du personnage trans.
  • Dans Lola vers la mer (Laurent Micheli, 2019), la jeune femme fait face à du mégenrage et la mention de son deadname par son père à plusieurs reprises.
  • C’est le cœur de l’histoire dans Tomboy (Céline Sciamma, 2011) dont l’ouverture finale est la demande, par l’amoureuse, de ce “vrai” prénom.

Côté séries, alors qu’elles sont applaudis pour une représentation plus juste : Buck dans The OA (Zal Batmanglij et Brit Marling, 2016-2019) et Nomi dans Sense8 (Lana et Lilly Wachowski, 2015-2018) subissent toustes les deux le mégenrage et les mentions de deadname de la part de leurs familles biologiques.

En vrac, c’est également le cas dès le titre dans le téléfilm de TF1 Il est elle (Clément Michel, 2020), dans Une Nouvelle Amie (François Ozon, 2014), dans Une Femme Fantastique (Sebastian Lelio, 2017), dans la saison 1 d’Océan (Océan, 2019)…

Le deadname et la position d’allié-e :

• On ne demande pas le “vrai” prénom / l’ancien prénom / “le-prénom-que-tes-parents-t’ont-donné” à une personne trans ni à toute personne en ayant changé. Si elle veut vous le dire, elle vous le dira. Sinon, à quoi vous servira cette information ? La crainte est donc que si vous demandez le deadname d’une personne trans, c’est que vous comptez vous en servir pour vous moquer / blesser / humilier / outer la personne. • On s’adresse à une personne trans/ on parle d’elle avec le prénom qu’elle utilise ou avec un surnom cool dont elle a connaissance (par exemple “mon pote trans” c’est pas un surnom cool ; “Charlito” c’est un surnom cool).
Attention : certaines personnes trans ne changent pas de prénom et / ou n’ont pas d’aversion particulière pour leur prénom de naissance, voire l’apprécient. Ce n’est jamais (à ma connaissance) montré.

Comment évaluer ce critère ?

Dans ce critère il y a aussi un mot clé qui fait toute la différence : volontairement. En effet, combien de personnes trans ont entendu, après leur coming-out, leurs proches leur demander “tu m’excuseras, je risque de faire des bourdes” ? Beaucoup. Combien savent faire la différence entre une personne qui effectivement se trompe et une personne qui n’y met aucune volonté ou bien le fait volontairement ? Beaucoup (si ce n’est toutes).

Cependant, la question de la volonté ici ne se pose pas vraiment : les personnages n’ont pas de volonté propre, iels disent ce qui a été écrit pour elleux. Derrière le scénario, il y a l’intention. On peut donc présupposer que tout mégenrage et / ou mention de deadname dans une œuvre de fiction est volontaire.

La question qu’on peut alors se poser c’est : quel est l’intérêt, dans l’histoire, de mégenrer / deadnamer son personnage ?

To mégenrer or not to mégenrer, telle est la question

On sort ici de ce qui était expliqué précédemment, à propos de l’intérêt général de connaître le deadname de quelqu’un-e, pour se tourner vers l’intérêt dans la construction d’une histoire. Si ce critère est aussi présent, c’est d’une part parce qu’il traduit une violence bien réelle pour la plupart des personnes trans et c’est cette violence que les récits vont chercher à illustrer.

D’autre part, les fictions sur les personnes trans accordent (trop) souvent une place importante à la douleur des proches face à la transition. C’est un sujet que nous aborderons à travers un autre critère mais qui peut déjà nous éclairer ici.

En effet, si le deadname ou le mégenrage vient fréquemment d’une personne proche du personnage trans, c’est parce que le récit est avant tout écrit pour permettre aux proches de personnes trans, d’avoir un repère auquel iels peuvent se rattacher. Même si l’utilisation d’un deadname n’est pas montrée comme un comportement à encourager, elle traduit avant tout la difficulté de l’entourage ; elle vient légitimer le vécu de tous les parents qui, à l’image de la mère dans Sense8 ou du père dans Lola vers la mer, ne comprennent pas ce “choix” de leur enfant ; de toustes les partenaires qui, à l’image de Gerda réclament leur époux-se “perdu-e”…

Ce qui transparaît alors ce n’est pas tant la violence pour les personnes trans que celle pour les personnes cis d’utiliser les bons mots, le bon prénom, les bons accords. La plupart des parents / partenaires / proches le diront d’ailleurs au cours du film : c’est difficile pour elleux aussi…

Au final, l’intérêt pour l’histoire reste relativement nul et bien souvent, à l’image des 6 secondes d’homosexualité de Dumbledore dans le dernier film des Animaux Fantastiques, on pourrait retirer tous les mégenrages et utilisation de deadname que ça ne changerait pas grand chose à l’histoire : les parents resteraient maltraitant-es, les couples se briseraient toujours, bref, la routine.

Si vous n’êtes toujours pas convaincu-es : 2 arguments chocs

Vous ne rendez service ni à votre personnage trans ni à la communauté trans en mégenrant / deadnamant votre personnage.

En effet, déjà que la transidentité n’est pas simple à comprendre pour une grande partie des personnes cis, vous risquez d’ajouter à la confusion. On peut en effet partir du principe que si, tout au long du film, le pronom “elle” et le féminin sont utilisés, le public a plus de chances de mémoriser et d’assimiler qu’il s’agit du bon pronom. Cependant, à partir du moment où le personnage est mégenré, le public ne sait plus s’il faut dire il ou elle.

L’illustration parfaite : la promotion du film Girl. Alors que Lukas Dhont et Victor Polster sont invités sur le plateau de Laurent Ruquier (On n’est pas couchés, 11 mai 2018) ce dernier mégenre plusieurs fois violemment le personnage et dit par exemple “il veut être danseur étoile”. Il n’est jamais corrigé par l’acteur ni par le réalisateur… Pour justifier ce mégenrage et cette confusion, Ruquier souligne le fait que dans le film, le personnage est appelé une fois “Victor”. C’est non seulement le deadname du personnage mais en plus le prénom de l’acteur qui l’incarne. Comment créer la confusion : cas d’école.

On peut raconter des histoires sans mégenrer / deadnamer un personnage trans

Pour ça, il suffit de changer de perspective et d’avoir en tête les enjeux mentionnés précédemment. Dans la série WIP (Abby McEnany et Tim Mason, 2020-2022), Abby apprend par inadvertance le deadname de Chris, son petit ami. Le prénom n’est cependant pas lisible car flouté, et lorsqu’il est prononcé à l’oral, l’audio est modifié. Lae spectateur-trice a donc bien compris ce qu’il se passe sans avoir connaissance du deadname.

L’intérêt de ces scènes n’étant pas le prénom en lui-même, il n’est pas nécessaire de le connaître, ni pour les auteurices d’en trouver un.

Pour éviter d’avoir recours à des effets spéciaux visuels ou sonores, il est tout à fait possible que cela se passe par le dialogue. Par exemple, un personnage trans parlant d’un proche ne l’ayant pas respecté : “Ma grand-mère est bien gentille de prendre de mes nouvelles mais elle n’a toujours pas compris que je ne lui répondrai plus tant qu’elle ne m’appellera pas correctement”. 

Cela peut permettre de faire aborder par vos personnages les difficultés qu’iels rencontrent au quotidien avec les processus de genrement arbitraires et de leur permettre ainsi d’avoir une voix active et pédagogique permettant au public de comprendre les conduites à avoir / ne pas avoir. Un autre exemple : “Qu’est ce que ça coûte à la pharmacie de juste dire “bonjour” ? Pourquoi toujours insister sur le “madame/monsieur” ?”

C’est terminé pour moi sur ce critère, n’hésitez pas à me faire vos retours sur le sujet et à diffuser ce petit tuto à vos ami-es réal / scénaristes.

PS : désolé de ne vous avoir rien donné pendant 10 mois et de revenir avec un article de 4p.

Focus sur les représentations trans à la télévision

La 5e édition du festival CANNESERIES s’est déroulée du 1er au 6 avril et a réuni des séries du monde entier en mettant l’accent sur « la créativité et l’audace ». 

Outre ses partenariats avec des associations telles que 1000 visages, Passeurs d’images et le Collectif 50/50, CANNESERIES présente deux prix non genrés depuis sa première édition en 2018 : le Prix de la meilleure interprétation qui récompense une performance individuelle, et le Prix spécial de l’interprétation qui récompense une performance d’ensemble. Un troisième a été intégré récemment, le Prix Dior de la Révélation, récompensant une performance dans une série courte.

Avec une telle actualité, nous avons décidé de partager avec vous une synthèse des représentations transgenres à la télévision

Un certain retard français

En France, l’ARCOM, Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (organisme issu de la fusion du CSA et de HADOPI) « est chargé, par la loi, de faire appliquer une juste représentation de la diversité de la société française dans les médias audiovisuels (télévision et radio) et sur tous leurs supports. ».

L’ARCOM n’indexe pas les personnages transgenres. Nous n’avons donc pas de données chiffrées à vous partager sur les personnages trans diffusés à la télévision française et sur les plateformes numériques.

Cependant, nous pouvons tout de même citer les 5 personnages suivants :

  • Max dans la série Skam France (France TV Slash),
  • Morgane Guého dans le feuilleton quotidien Demain Nous Appartient (TF1),
  • Eliott dans le feuilleton quotidien Ici Tout Commence (TF1),
  • Elijah dans la série Les Engagés (France TV Slash),
  • et Léna dans la série La Faute à Rousseau (France 2). Le professeur de philosophie accueillera cette élève trans en deuxième saison. Ce personnage écrit avec l’accompagnement de Représentrans est interprété par Andréa Furet, actrice trans.

Pour la saison télé 2021-2022, nous comptabilisons donc 2 femmes, 2 hommes, et 1 personnne non-binaire. Léna est le seul nouveau personnage de cette saison TV.

« Où nous sommes à la télévision »

Si les données en France sont insuffisantes, le travail de GLAAD nous offre une visibilité chiffrée sur une partie des représentations auxquelles nous sommes exposé·e·s, les séries américaines étant largement diffusées de notre côté de l’Atlantique. 

Depuis 2005, GLAAD publie annuellement le rapport « Where We Are On TV » qui comptabilise les personnages LGBTQ présents dans le paysage audiovisuel américain. Les personnages comptabilisés sont ceux présents dans les séries diffusées pendant la saison TV : du 1er juin 2021 au 31 mai 2022 (en fonction de leur date de diffusion confirmée par les chaînes et plateformes) à la télévision, sur le câble et sur les plateformes de streaming. Les unitaires ne sont pas pris en compte.

Ce rapport évolue au fur et à mesure que la télévision américaine change. Avec l’engouement récent pour les plateformes numériques lié à la pandémie, GLAAD a ainsi élargi son panel de chaînes. Grâce à de nouvelles représentations de plus en plus inclusives, GLAAD a également fait évoluer leurs différentes catégories LGBTQ.

Ainsi, « Where We Are On TV » comprend désormais une catégorie non-binaire ainsi qu’une catégorie asexuelle. La catégorie non-binaire est différenciée de la catégorie trans car GLAAD a noté que le sens du mot s’est élargi et que toutes les personnes non-binaires ne s’identifient pas comme trans. En ce sens, les personnages non-binaires non identifiés comme trans dans la série même ou par la chaîne sont comptabilisés dans cette nouvelle catégorie.

GLAAD : association américaine de veille médiatique œuvrant à dénoncer les discriminations et les attaques à l’encontre des personnes LGBTQ au sein des médias.

Que de progrès depuis 2005

Dans la première édition de « Where We Are On TV » il y a 17 ans, seuls 12 personnages LGBTQ avaient pu être comptabilisés. En 2019, le nombre de personnages a passé la barre symbolique des 10% pour la première fois. Dû à l’impact de la pandémie sur les productions, le rapport 2020 avait indiqué une baisse du nombre de personnages LGBTQ, représentant alors seulement 9,1 % des personnages.

Cette année, GLAAD comptabilise 637 personnages LGBTQ à la télévision et sur les plateformes US. Un chiffre record, représentant 11,9 % des personnages. Sur ces 637, les personnages trans sont au nombre de 42, soit 6 % des personnages LGBTQ, et moins de 1 % des +5300 personnages présents sur les écrans.

Si le nombre de personnages trans est record, le pourcentage parmi les personnages LGBTQ est lui en baisse. Cela s’explique par une augmentation des personnages LGBQ cisgenres.

Qui sont ces personnages trans ?

Parmi les 42 personnages trans, 13 sont nouveaux. Et sur les 36 séries qui incluent ces personnages, 10 sont nouvelles ! Malheureusement, il est déjà annoncé que 7 de ces 36 séries ne reviendront pas la saison prochaine (fin de série ou série arrêtée).

On compte dans ces personnages 20 femmes, 14 hommes et 8 personnes trans non-binaires. 18 d’entre elleux sont blanc·he·s, 9 sont latinx, 6 sont noir·e·s, 4 sont asiatiques ou insulaires du Pacifique et 4 sont métis·ses ou d’autres ethnicités (catégories présentes dans le rapport de GLAAD).

Sur ces 42 personnages, 20 sont identifiés comme hétérosexuels, 7 sont bisexuel·le·s, 1 est gay et 1 est lesbien. 13 ont une orientation sexuelle non-identifiée (et non confirmée par la chaîne). Cela s’explique par le jeune âge de certains personnages ou encore par l’absence d’histoire romantique, mais également par un manque de vision ou encore une certaine ignorance quant à la différence entre identité de genre et orientation sexuelle.

Où sont-iels ?

Les séries accessibles gratuitement comptent seulement 8 personnages trans : 4 femmes et 4 hommes. Les séries listées par GLAAD sont (les séries soulignées sont accessibles en France) : Supergirl, 4400 (Syfy), Coroner, Charmed, New Amsterdam, 9-1-1 Lone Star (M6), Big Sky.

Les séries accessibles par le câble comptent seulement 8 personnages également : 2 femmes, 4 hommes et 2 personnes trans non-binaires. Les séries listées par GLAAD sont : Euphoria, Good Trouble, Single Drunk Female, Somebody Somewhere, Billions, The L Word : Generation Q, The End.

Ce sont évidemment les séries des plateformes numériques qui comptabilisent le plus de personnages trans : 14 femmes, 6 hommes, 6 personnes trans non-binaires. À noter qu’Apple TV+ et Disney+ n’avaient pas de personnages trans. Les séries listées par GLAAD sont (liste non-exhaustive) : Sort Of (Canal+ et Salto), Dafne and the Rest, With Love, Sex Education, Cowboy Bebop, Dear White People, Heartstopper (à venir sur Netflix), Sandman (à venir sur Netflix), Star Trek Discovery, Saved by the Bell.

La catégorie non-binaire comptabilise 17 personnages que vous pouvez retrouver dans les séries suivantes (liste non-exhaustive) : Grey’s Anatomy, Another Life, Motherland: Fort Salem, Feel Good, And Just Like That, The Sex Lives of College Girls, The Girl in the Woods, Ridley Jones, Rutherford Falls.

Des chiffres prometteurs

Les mots de Nick Adams, vice-président, GLAAD Media Institute & Transgender Advocate :

« C’est merveilleux de voir plus de personnages trans apparaître dans des comédies, car cela permet aux gens de rire avec nous, et non de nous. Cependant, il y a encore des efforts à faire, car 9 des 11 comédies qui incluent des personnages trans sont sur des plateformes de streaming. Il n’y a pas de personnages trans dans les comédies diffusées à la télévision. Nous espérons également voir plus de créateurices raconter des histoires de personnes trans dans des relations amoureuses – en particulier des relations lesbiennes, gays et bisexuelles. À la télévision, seuls 5 % des personnages trans sont lesbiennes ou gays, ce qui ne reflète pas fidèlement la communauté. Enfin, alors que les chaînes et les services de streaming planifient leur programmation, nous espérons qu’ils utiliseront ce rapport pour comprendre en quoi la représentation trans peut être améliorée, et qu’ils tendront la main à GLAAD et aux scénaristes, réalisateurices et producteurices trans pour continuer à créer des personnages et des intrigues trans et non binaires plus nuancées et plus complexes à la télévision. »

(traduction par Gab Harrivelle)

Un grand pouvoir implique une grande responsabilité

Cette citation de cinéma s’applique très bien au paysage audiovisuel, américain comme français. Les séries ont elles aussi ce lourd pouvoir des représentations, concret et quantifiable.

C’est le think tank Le Lab Femmes de cinéma qui nous le rappelle dans leur note « La parité et la mixité dans les séries : où en sommes-nous ? » (avril 2022).

La série Friends comme la série Modern Family ont changé les regards des américains sur les lesbiennes, les gays et le mariage pour tou·te·s. Vous pouvez en apprendre plus dans le lien ci-dessus, page 5 particulièrement. 

Le Lab Femmes de cinéma indique également qu’en France, en 2019, 66 % de la population regarde une série au moins une fois par semaine et 92 % en regardent régulièrement.

Ces chiffres associés aux impacts tangibles sont preuves de l’importance des représentations. Il est crucial de les penser au-delà des images et d’inclure la diversité de la société derrière les caméras.

Nous espérons que les chaînes et les plateformes verront dans notre article des pistes d’amélioration des représentations trans en France et qu’iels se tourneront vers les personnes à même de les aider, telles que Représentrans pour les représentations trans et non-binaires.

Collaborez avec nous !

Nous pouvons vous accompagner dans votre recherche d'acteur·ice·s, dans la relecture de votre scénario, la pédagogie auprès de votre équipe, dans la création d'une représentation des transidentités plus juste en somme.

Relecture par Chloé Hatimi

Le cis gaze – publication du mémoire de Charlie Fabre

Cette publication sera plus une brève actualité qu’un véritable article mais elle me sert à vous annoncer une bonne nouvelle ! Mon mémoire de recherche « le cis gaze reflété au cinéma –  l’impact du cis gaze sur la représentation des personnes trans’ au cinéma et des corps trans à travers les miroirs » est disponible.

Vous pouvez le retrouver sur Academia en cliquant ici !

Résumé : En s’appuyant sur un corpus primaire composé de trois films des années 2010 (Tomboy, The Danish Girl et Girl), ce mémoire revient sur la façon dont les personnes trans’ sont représentées au cinéma. Il s’agit de passer en revue les mécanismes récurrents à l’œuvre afin de définir un ensemble de représentation normé. Ce travail place par ailleurs en son centre la manière dont les miroirs sont utilisés lorsqu’il s’agit de montrer les corps des personnes trans’. À travers des analyses détaillées de séquences et le discernement des topos, nous pouvons voir se dessiner l’impact du regard cis (cis gaze) sur ces productions cinématographiques. C’est ce regard qui est alors délimité, défini et critiqué.

Pour rappel, plusieurs publications de prolongation et de vulgarisation de ce travail universitaire sont disponibles sur Représentrans. D’autres sont à venir !

Je reste joignable pour échanger sur mon travail, n’hésitez pas. Bonne lecture !

Le mois de juin est à nous : parlons du regard trans’ !

Cela va bientôt faire 8 mois que je vous parle du cis gaze à intervalles réguliers. Pour ce mois de juin, je me suis dit qu’on pouvait s’accorder une pause et s’intéresser un peu au regard trans’.

C’est quoi le regard trans’ ?

Le regard trans’ n’est pas l’autre côté de la la pièce par rapport au regard cis. En effet, cela voudrait dire qu’ils sont équivalents en poids et légitimité, or il n’en est rien. Le regard cis est systémique, il est hégémonique, il est universel. Le regard trans’ est à la marge.

Dans mon mémoire j’ai écrit : “C’est la norme cis qui est représentée, c’est le regard cis qui est actif. Ce qui est qualifié de trans’ n’a pas de pouvoir, pas de regard, seulement un corps et une histoire qui échappent à son contrôle au profit d’une narration et de représentation ciscentrées.” Le regard cis vole aux personnes et aux histoires trans’ leur droit à se raconter elles-mêmes, selon leurs propres envies et réalités. Valoriser le regard trans’ et le porter, c’est faire valoir notre droit, en tant que personnes trans’, à avoir un rôle actif dans nos représentations.

Mais du coup c’est quoi le regard trans’ ? Est-ce qu’il y a vingt critères aussi ? Quels sont-ils ? Je ne vais pas vous mentir, je n’ai (pour le moment) pas poussé la recherche aussi loin. Un histoire racontée sous le prisme du trans gaze n’est pas forcément une histoire positive. Il y a des scènes de violence, du mégenrage, du maquillage, des scènes de miroirs, etc, dans les productions de personnes trans’. Mais il n’y a pas la bande-originale tragique ; il y a des instants en communauté qui brisent le mythe du cas isolé ; il y a une pluralité des représentations qui brisent tout ce que le regard cis préconçoit des communautés trans’.

Le regard trans’, c’est un regard subjectif qui s’assume, à l’inverse du regard cis. C’est un regard qui vient des communautés qui se réapproprient les outils de création. C’est un regard qui veut mettre en lumière ce que le cis gaze ne trouve pas assez intéressant pour le montrer.

Ce sont des récits hors transitions, des mariages, des grossesses et des success story ; c’est des personnes trans’ qui ne sont pas hétérosexuelles, pas blanches, pas minces, pas valides, pas bourgeoises, pas hormonées, pas binaires…1 En ne se positionnant pas comme un regard hégémonique et une vérité absolue, le trans gaze permet d’appréhender un panel de réalités plus larges car elles n’ont pas à entrer dans le moule d’idées préconçues par le ciscentrisme

Le regard trans’ au-delà des récits sur la transidentité

Ce qui m’a poussé à m’interroger sur l’existence d’un regard trans’ à la base, c’est l’évocation croissante de Matrix (1999) en tant qu’allégorie de la transidentité. Les réalisatrices, Lana et Lilly Wachowski, sont des femmes trans’ et elles auraient fait passer, à travers ce film, un message sur leurs / les transidentités et la condition sociale des personnes trans’ dans un système cisnormé.

Le regard cis correspond à la vision que l’on porte sur le genre et le système cis normatif en étant au coeur de celui-ci. Parallèlement, on peut postuler que le regard trans’ consiste à observer et questionner ce système lorsqu’on se trouve poussé·es à la marge. Des allégories comme celle de Matrix existent sûrement ailleurs et permettent de questionner la binarité, la psychiatrisation des personnes trans’ ou encore le cissexisme sans les nommer.

Avoir un regard trans’ et à plus forte raison être une personne trans’ ne signifie pas ne devoir raconter que des histoires en rapport avec la transidentité (de la même manière que les acteur-rices trans’ ne doivent pas être cantonné-es à des rôles trans’) ni devoir faire des allégories dès que le sujet est autre.

Il n’y a pas à essentialiser ce regard. Quand j’écris sur le regard cis, je précise que celui-ci peut être porté par des personnes trans’ à partir du moment où elles perpétuent des représentations et des prises de positions qui ne remettent pas en question ce qui est attendu par le public cis. Être trans’ n’est pas un garant du regard trans’ pas plus qu’il n’y oblige le·a créateur·rice trans’. Comme tout point de vue, celui-ci peut évoluer avec le temps, selon le projet, …

Ce dont il s’agit finalement avec le postulat du regard trans’ c’est de dire qu’il a la possibilité d’exister selon la volonté de la personne qui le porte. Et ce regard peut être porté à la création d’une œuvre mais aussi, et c’est peut-être ce regard trans’ que j’affectionne le plus, à la réception d’une œuvre.

Comme le regard trans’ se positionne en marge et se cherche là où il ne peut pas se retrouver explicitement, il voit des signes. Et pour se dire les choses clairement, c’est un plaisir de reprendre les personnages de JK TERF Rowling et d’en faire des personnages trans’ à travers la fanfiction, les threads twitter, les posts Tumblr ou les fanarts. Je disais en début d’article que le regard trans’ c’est la réappropriation des narrations pour pouvoir s’y retrouver et je trouve que les formes de productions de fans s’y prêtent particulièrement bien. En attendant plus de bonnes représentations canon.

Notes

1. Par exemple : Amoureuxse, Malo Maëlle Vauchel, 2020 (à voir sur https://ecranrouge.com/video/amoureuxe/) ; Seahorse, Jeanie Finlay, 2019 ; Pose, 2018-2021 ; Her Story, Sydney Freeland, 2016 (à voir sur https://www.youtube.com/watch?v=UkHicPm7C6Q TW : TERF) ; Las Hijas del Fuego, Albertina Carri, 2018…

Les critères du regard cis 1 à 1 (5/20)

Pour ce cinquième article détaillé, nous allons aborder le critère selon lequel le regard cis, présente les personnages trans’ comme ayant “un comportement de prédateurice / déloyal·e. À travers l’article sur le troisième critère, nous avons déjà pu voir la manière dont le regard cis fait le procès des personnes trans’ pour “usurpation” et “tromperie visuelle”. Cette fois, nous ne discuterons donc pas de ces accusations mais de la vilainisation1 des personnages trans’ au cinéma et dans l’audiovisuel de manière générale. 

Ce processus est à différencier du queer coding, pratique qui consiste à donner une esthétique queer (pour autant que cela existe, mais on pourrait le résumer à un maximum de clichés et de références culturelles dîtes queer) à des personnages de fiction, notamment lorsqu’iels sont méchant·es. C’est une pratique bien connue des studios d’animation chez Disney : Ursula dans la Petite Sirène (1989) est inspirée de Divine, une drag queen ; Hadès dans Hercule (1997), Jafar dans Aladdin (1992), le Docteur Facilier dans La Princesse et la Grenouille (2009) et même Scar dans Le Roi Lion (1994) sont perçus comme queer codés. La télévision n’est pas en reste  : la série Sherlock (2010), de la BBC, en joue avec James Moriarty. 

En glissement de cette pratique, on retrouve donc ensuite les personnages canoniquement (c’est-à-dire reconnu·es en tant que tel·les dans l’œuvre originale) LGBTIAQ+ qui endossent des rôles de tueur·euses, de prédateur·ices, d’escrocs etc. Cela peut aller de la vilaine lesbienne qui “vole” la femme d’un personnage (on pense fort à Suzanne, dans FRIENDS (1994)) jusqu’à la lesbienne tueuse en série (dans The Neon Demon (2016) ou Killing Eve (2018) par exemple). 

Plutôt que de faire une liste ici (elle serait très longue), je vous redirige vers le site tvtropes.org qui, comme son nom l’indique, regroupe des schémas fréquents de représentation, avec explications et exemples. On y trouve par exemple : “depraved bisexual”, “psycho lesbian”, “depraved homosexual”, “sissy villain”, etc2

Quand on parle des personnes trans’, l’échelle est à peu près la même. On retrouve d’abord une longue liste de femmes trans’ présentées comme les connasses de l’histoire qui abandonnent égoïstement femme et enfant(s) : la mère de Chandler dans FRIENDS (oui, encore), le personnage de Lola dans Tout sur ma mère (1999), le rôle titre de Laurence Anyways (2012) et pour remonter bien plus loin, celui de Glen or Glenda (1953). 

Puis on arrive vers les femmes trans’ délinquantes et présentées via le prisme misogyne de l’hystérie : Hedwig dans Hedwig and the Angry Inch (2001), Frank N. Furter dans The Rocky Horror Picture Show (1975) ou encore Lois Einhorn dans Ace Ventura (1994). 

Enfin, au sommet de la pyramide, on retrouve “le tueur est un travesti qui aime particulièrement s’habiller avec les peaux / vêtements de femmes décédées. On pense ici bien sûr aux antagonistes dans Le Silence des Agneaux (1991) et Psychose (1960). 

Sur ce point de la représentation des personnages trans’, nous pouvons donc noter une tendance qui vise plus généralement les personnes non-hétérosexuelles et non-cis ; les “déviant·es” à la norme de sexualité et de genre. Dans le documentaire The Celluloid Closet (1995)3, Rob Epstein et Jeffrey Friedman soulignent qu’il existe des phases dans l’histoire des représentations LGB à l’écran, côté Etats-Unis. En 1934, le Code Hayes établit des règles et censure notamment l’homosexualité. Les figures LBG deviennent alors plus compliquées à identifier et c’est à ce moment que la marge se symbolise par la criminalité (auparavant on était plutôt sur des ressorts comiques).  

Dans le contexte dans lequel nous nous situons aujourd’hui, cet historique et ce schéma de représentation à l’égard des personnes trans’, et notamment des femmes trans’, n’est pas anodin. Les mouvements TERF4 en France et à l’étranger ne cachent plus leur haine des femmes trans’ et jouent notamment sur la crainte que celles-ci devraient inspirer de par leur statut d’usurpatrices violentes. La transmisogynie n’est pas née avec le cinéma mais celui-ci entretient, avec des narrations comme celle de ce cinquième critère, un imaginaire qui met, depuis toujours, la vie des femmes trans’ en danger

On nous répète souvent, lorsque nous sommes contacté·es en tant que Représentrans, le fait que toutes les personnes trans’ ne sont pas parfaites et qu’il n’y a pas de mauvaise intention derrière le fait de vouloir une femme trans’ pour jouer une tueuse. Mais rien n’est anodin et toute représentation existe dans un contexte et dans un historique. Il est important de prendre ces paramètres en compte dans les processus de création. Ce que je dis à travers cet article,c’est que les représentations des personnes transgenres devraient être plus diversifiées, en tentant de rééquilibrer avec des représentations plus positives. Si nous ne sommes pas des personnes parfaites (une petite pensée ici pour Caitlyn Jenner qui n’a aucune hésitation à jeter sous le bus le combat des activistes trans’ à propos de la place des femmes trans’ dans le sport…), je mets en avant le fait que perpétuer cette représentation nourrit un stigmat qui a des conséquences réelles et graves sur les femmes trans’. En plus de répéter un schéma narratif vu et revu, cette vision cis fantasmée est donc dangereuse. 

Notes

1. Mon correcteur n’arrête pas de me dire que ce mot n’existe pas… Je suis convaincu que vous voyez ce que je veux dire mais dans le doute je vais donner une petite définition de ce mot : il s’agit d’un processus par lequel une personne, réelle ou fictive, est présentée par une narration et un regard subjectif comme étant le-a méchant-e de l’histoire. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’iel l’est objectivement mais le but est qu’iel soit perçu-e par le public en tant que tel-le.

2. Tous les tropes en rapport avec la communauté LGBTIAQ+ sont listés ici : https://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/QueerAsTropes

3. De la même manière que Disclosure (2020) reprend l’historique des représentations trans dans le cinéma américain, The Celluloid Closet fait ce travail avec les représentations LGB. Le documentaire est tiré d’un livre du même nom : The Celluloid Closet, Vito RUSSO, 1981.

4. Trans Exclusionary Radical “Feminist” : acronyme désignant des groupes dont les membres se disent féministes tout en excluant les personnes trans’, et plus particulièrement les femmes trans’, et en les stigmatisant de manière violente.

Les critères du regard cis 1 à 1 – 4/20

Allez on y va : 4ème mois, 4ème critère du cis gaze. Si (comme moi) vous n’avez pas la liste en tête (et pourtant je l’ai créée…), celui-ci dit : “le personnage trans est travailleur-euse du sexe”. La formulation est inclusive mais cette représentation existe notamment dans le cadre de la médiatisation des femmes trans’ et personnes transféminines. On peut, de manière non exhaustive, citer les personnages trans’ de Pedro Almodovar dans Tout sur ma mère (1999) ; un bon nombre des femmes de la série Pose (2018) ; le personnage principal de Nos Années Folles (2017) ou plus récemment le personnage de Lola, dans Miss (2020), si l’on veut s’intéresser à la France ; la protagoniste d’Hedwig and the Angry Inch (2001) ou encore celles de Tangerine (2015)… 

 

Cette habitude de représentation ne porte donc pas seulement un regard cis sur les transidentités mais bien un regard cissexiste. Pour simplifier à l’extrême la définition du cissexisme, il s’agit d’un système qui se base à la fois sur la domination des personnes cis sur les personnes trans’ mais également sur celle des hommes sur les femmes. Il trouve ses racines dans un système sexiste qui s’assure que “ceux qui sont masculins aient le pouvoir sur celles qui sont féminines” (Julia Serano, p.24)1. Dans un tel schéma, les personnes trans’ représentent une menace car elles remettent en cause la construction binaire et figée de cette pyramide. Si l’on allie le regard cis et le sexisme, on se retrouve donc face à des représentations cissexistes qui véhiculent de la transmisogynie

 

À ce sujet et plus particulièrement sur la représentation des femmes trans’ en tant que travailleuses du sexe, Julia Serano écrit : “Les médias nous hypersexualisent en donnant l’impression que la plupart des femmes trans sont travailleuses du sexe […], en prétendant que nous transitionnons principalement pour des motifs sexuels” (p.27). L’hypersexualisation peut être définie comme le moment où la sexualité “envahit tous les aspects de notre quotidien […] et que les références à la sexualité deviennent omniprésentes dans l’espace public : à la télévision, à la radio, sur internet…2. Ces références à la sexualité se basent sur la conception de celle-ci par un regard dominant : celui des hommes, cisgenres et hétérosexuels. 

 

Nous ne pouvons pas évoquer ce regard sans en revenir au male gaze, théorisé par Laura Mulvey dans son essai Visual Pleasure and Narrative Cinema en 19753. Dans celui-ci, elle écrit notamment “Le regard masculin est déterminant et projette ses fantasmes sur le corps féminin, qui est alors conçu en conséquence”. Si le corps et la sexualité des femmes dans leur ensemble sont des objets de fantasme pour le regard masculin, la parallèle s’applique aux femmes trans’ dont les corps et sexualités sont des objets de fascination pour le regard cis. Cette fascination est aussi celle pour les organes génitaux des personnes trans’, nous y reviendrons lorsque nous aborderons le 9ème critère car il y a, là encore, beaucoup à dire. 

 

La réponse qui est souvent faite lorsque l’on pointe du doigt cette récurrence dans les représentations est qu’il s’agirait d’une représentation réaliste. Les productions dénoncées et leurs défenseur-euses soulignent en effet que de nombreuses femmes trans’ sont, ou ont été, travailleuses du sexe. Je n’ai pas dans l’idée ici de nier qu’en effet, certaines femmes trans’ mènent cette carrière (et j’encourage chaque allié-e qui lira ces lignes à aller soutenir le travail mené par l’association Acceptess-T4 en leur faveur).

 

Cependant, il me semble que plusieurs points sont à noter :

  • ces représentations, dans la manière dont elles sont écrites et filmées, sont souvent un prétexte pour montrer des scènes de grande violence à l’encontre des femmes trans’. Elles ne sont pas mises en place pour montrer leur émancipation ou leur prise de pouvoir par celui-ci. L’héroïne d’Hedwig and the Angry Inch comme celle de Nos Années Folles et Angel dans Pose, ne se tournent vers le travail du sexe que lorsqu’elles entrent dans des phases autodestructrices. Le travail du sexe n’est alors jamais présenté comme un choix consenti et éclairé mais comme une fatalité violente en réaction à une grande précarité matérielle et psychologique. 
  • les films qui mettent en scène des travailleuses du sexe sont également souvent les seuls qui mettent en scène des communautés trans’. En effet, alors que bien souvent les personnages trans’ sont isolés (coucou le 16ème critère), le travail du sexe semble être la seule occasion de montrer à l’écran qu’il en existe quelques autres (Tout sur ma mère, Tangerine). Cela pose question puisque l’on pourrait penser qu’il s’agit dès lors d’une volonté délibérée de cantonner les personnages trans’ à ces représentations
  • dans la réalité, les femmes trans’ sont aussi des actrices (coucou l’annuaire ou l’article sur Coccinelle pour remonter un peu dans le temps), des chanteuses5, des musiciennes (Wendy Carlos par exemple, a “juste” composé les BO de Shining ou encore Orange Mécanique), des chercheuses (là vous pouvez chercher Susan Stryker, Karine Espineira ou Maud-Yeuse Thomas par exemple), des politiques (vous devriez trouver quelques articles sur Marie Cau, première élue française ouvertement trans’)…6 Pourtant, ces parcours professionnels divers sont peu, ou pas, mis en avant

 

Mes conclusions à ces articles sur les critères risquent de devenir redondantes mais encore une fois, le constat reste le même : en représentant fréquemment les personnages de femmes trans’ comme travailleuses du sexe, le cis gaze leur applique une rhétorique à la fois misogyne et transphobe. Celle-ci nie les multiplicités des parcours et renforce les a priori du public cis sur les vies trans’ tout en leur donnant accès à des visions fantasmées et sexualisées

Notes

1. Les références à Julia Serano sont tirées de son livre, traduit en français : Manifeste d’une femme trans et autres textes, Editions Cambourakis, 2020.

2. D’après les définitions du Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel de Rimouski au Québec (CALACS) et du Réseau Québécois d’action pour la santé des femmes (RQASF)

3. MULVEY Laura, Visual pleasure and narrative cinema, Screen, volume 16, édition 3, 1er octobre 1975 (première édition), p. 6 à 18. Attention, Laura Mulvey conçoit le féminin et le masculin sur un spectre binaire, dyadique et cisnormé.

4. https://www.acceptess-t.com/

5. Transgrrrls, 20 chansons chantées par des femmes trans, 22 août 2018, https://transgrrrls.wordpress.com/2018/08/22/20-chansons-chantees-par-des-femmes-trans/

6.pour plus de modèles trans’ : https://wikitrans.co/modeles/

Pour aller plus loin

  • sur le male gaze : « Male gaze, ce que les hommes voient”, podcast Les couilles sur la table, animé par Victoire TUAILLON, interview d’Iris BREY, consultable sur https://www.youtube.com/watch?v=0oMsFlQk_m4
  • sur le female gaze : “Female gaze, ce que vivent les femmes”, podcast Les couilles sur le table animé par Victoire TUAILLON, interview d’Iris BREY, consultable sur https://www.youtube.com/watch?v=qIbepR7G1tA
  • BREY Iris, Le regard féminin : une révolution à l’écran, Editions de l’Olivier, Collection Les feux, 2020

Attention : le regard mis en avant dans ces podcasts et dans le livre est ciscentré, dyadique et binaire. 

Coup d’oeil sur Coccinelle

À l’heure où une mini-série espagnole retrace la vie d’une de ces figures trans les plus connues, Cristina La Veneno, il est bon de rappeler que nous avons eu, nous aussi en France, des figures trans connues et impactantes. Ainsi je vous propose de partir à la découverte de Coccinelle. 

 

Grande, blonde, élancée, oscillant entre les esthétiques de Marilyn Monroe et Brigitte Bardot, Jacqueline Charlotte Dufresnoy débute dans le monde du spectacle au début des années 50 sous le nom de Coccinelle chez “Madame Arthur” puis au “Caroussel”, deux cabarets célèbres pour leurs revues d’artistes transformistes et travestis. Elle chante, danse, s’effeuille et s’impose en tant que meneuse de revue glamour, affolant le tout Paris de la nuit.

Toute sa vie d’artiste, elle affirme qu’elle n’a jamais eu recours à un agent ou à un impresario pour la faire connaître mais que seul le public l’a constamment sollicitée. Ainsi, sa célébrité la pousse à sortir des murs des cabarets pour s’aventurer ailleurs dans les années 60. Elle enregistre plusieurs 45 tours (dont les célèbres “Chercher la femme” et “Avec mon p’tit faux cul”) et le cinéma ne tarde pas à lui faire de l’oeil. Ces premiers pas cinématographique se font dans le documentaire “Nuits d’Europe” d’Alessandro Blasetti sortie en 1959. Elle jouera ensuite ses propres rôles dans “Les Don Juan de la côte d’Azur” de Vittoro Sala et “Los Viciosos” tous deux sortis en 1962. Elle tournera dans d’autres documentaires et quelques films, essentiellement italiens.

C’est cependant dans le music-hall, ses premières amours, qu’elle s’illustre le mieux et obtient un succès international. Après s’être produite en 1963 à l’Olympia dans le spectacle musicale “Chercher la femme” que lui écrit tout spécialement Bruno Coquatrix, elle entame une série de tournée qui l’emmèneront partout sur la planète dans les années 70 où elle est inlassablement applaudie. En 1978, elle s’établit à Berlin où elle fait les beaux jours du grand cabaret “Chez nous”.

Ce n’est qu’en 1986 qu’elle revient en France chez “Madame Arthur”. À partir de là, elle se fera davantage présente à la télévision dans des émissions de variétés telles que “Tournez Manège”, “Les Dossiers de l’écran” ou encore chez Ardisson. Elle rédige son autobiographie “Coccinelle par Coccinelle” et triomphe au Casino de Paris au côté de Pascal Sevran en 1989. Durant les diverses promotions télévisées qui lui sont proposées, elle n’hésite pas à sensibiliser le public sur les personnes transgenres, les enfants transgenres, devenant la première célébrité trans à le faire à la télévision française sur des chaînes grand public. Elle quitte ensuite Paris pour le Sud de la France dans les années 90 où elle se fera plus discrète. Elle se produira principalement à Marseille

Sur le plan public, elle défraye régulièrement la chronique. Notamment quand elle épouse son premier mari, Francis Paul Bonnet, en 1961, devenant ainsi la première femme trans célèbre à se marier en toute légalité car elle est également la première célébrité française à changer légalement d’état civil en 1958, non sans mécontentement de l’opinion publique de l’époque. Ce premier mariage ne tiendra pas puisqu’elle divorce en 1962. Elle épousera ensuite un danseur de music hall colombien en 1966 dont elle divorcera aussi par la suite. C’est en 1996 qu’elle se marie une dernière fois en épousant l’artiste transformiste et comique Thierry Wilson alias Zize Dupanier, en direct sur TF1 dans “Tout est possible”.

Elle décèdera en octobre 2006 d’un arrêt cardiaque à Marseille, des suites d’une rechute d’un accident vasculaire cérébral. Le 18 Mai 2017, le Promenade Coccinelle est inaugurée à Paris en son hommage. Il s’agit alors de la première inauguration d’une rue en hommage à une personne trans en Europe et dans la capitale d’un pays, et la deuxième dans le monde.

Les critères du regard cis 1 à 1 (3/20)

Il semblerait que l’on soit parti-e sur un rythme de “un mois = un critère” pour ce décorticage du regard cis. Ce mois-ci, je vous propose donc de regarder le troisième critère de la liste, à savoir : “le personnage trans’ fait face à une remarque qui souligne le fait que nous n’aurions jamais pu deviner qu’iel était trans”. Comme pour les deux premiers, je vous renvoie ici vers la lecture du blog de Nissa Mitchell1 pour mieux comprendre le contexte dans lequel elle a pensé celui-ci. 

Ce troisième critère rejoint, à mon sens, le précédent (“le personnage est félicité pour son passing”) et nous conduit à penser le paradoxe du passing qui entoure l’existence des personnes trans’. En effet, nous avons vu avec le critère précédent que si l’on veut être respecté-es dans notre identité, si l’on veut être considéré-es comme toute autre personne, il faut faire un effort2 . Cette pression met non seulement de côté les parcours non-binaires et / ou non-médicalisés, mais elle est en plus dissonante de l’injonction de ce troisième critère : lorsque l’on passe, que l’on n’est pas visiblement trans’, il faudrait alors l’annoncer afin de ne pas tromper les personnes cis

Il faudrait sans cesse avoir un passing parfait pour ne pas choquer dans la rue et pour être légitime dans l’affirmation de notre identité mais en même temps il faudrait énoncer clairement que nous sommes trans’ auprès de chaque personne que nous rencontrons car sinon nous devenons des menteur-euses. Pourtant, lorsque vous croisez un-e inconnu-e dans la rue, vous lui assignez un genre en vous basant sur des éléments de son apparence. Cette supposition que vous faîtes est la vôtre. Si vous vous êtes trompé-es, l’erreur est la vôtre et non celle de la personne en face. Il n’y a donc pas eu de mensonge de la part de cet-te inconnu-e. Iel n’est pas responsable de ce que vous présumez de son genre ou de son sexe. 

Le mensonge c’est de s’auto persuader que l’on peut assigner une identité de genre à une personne en se basant uniquement sur son physique et son expression de genre

Avec de telles règles du jeu, les personnes trans’ ne peuvent pas gagner, et c’est précisément le propos de Julia Serano lorsqu’elle aborde le traitement médiatique des femmes trans’ dans son Manifeste d’une Femme trans. Selon elle “Cette tactique qui amène les femmes trans à perdre à tous les coups n’est qu’une réminiscence des archétypes […] issus de la culture pop. […] les médias veillent à ce que les femmes trans – qu’elles soient féminines ou masculines, qu’elles “passent” ou non – soient invariablement perçues comme “fausses”” (p.49). 

Au cinéma, lorsqu’une personne s’étonne de ne pas avoir eu connaissance de la transidentité d’une autre, elle perpétue le message selon lequel elle aurait un droit légitime sur cette information. Une personne trans’ n’aurait pas de droit sur son identité : celle-ci doit appartenir aux autres, au public. Quand ce “droit” du public n’est pas respecté, la narration mène nécessairement vers le motif récurrent de la révélation

En effet, si la transidentité d’un personnage n’est pas connue par toustes dès le début, vous pouvez être quasi sûr-e de cocher le critère avant le générique final. C’est pour cette raison que Sam Feder a appelé son documentaire sur les représentations trans’ au cinéma Disclosure. Il s’agit en effet d’un terme que l’on pourrait traduire par “révélation” et c’est l’un des schémas narratifs les plus utilisés dans le cadre des représentations de personnages trans’. 

Par ailleurs, ce critère peut permettre d’expliquer en grande partie la disparité quantitative des représentations entre les femmes trans’ et les hommes trans’ au cinéma. En effet, comme l’écrit à nouveau Julia Serano, “les médias ont tendance à s’intéresser assez peu aux hommes trans parce qu’ils ne réussissent pas à les transformer en sujets à sensation de la même façon qu’ils y parviennent avec les femmes trans” (p. 46). On l’a déjà évoqué dans l’article sur le deuxième critère mais la révélation intervient souvent dans un cadre sexuel et à travers l’exposition des organes génitaux. Le cinéma provoque les réactions du public en exploitant la fétichisation et l’hypersexualisation préexistante pour les corps de femmes trans’. 

L’objectif d’une révélation au cinéma est uniquement de créer une tension dramatique et de placer cet élément à son sommet afin de créer le choc. Elle ne permet pas au personnage trans’ de s’épanouir dans son genre. Il s’agit de faire rire ou de créer un hoquet de surprise collectif. Il s’agit de légitimer la réaction du personnage cis qui fait la découverte et qui se sent trahi. 

Le cinéma joue toujours un rôle social. Il est à la fois la photographie d’une société et une source d’inspiration pour celle-ci car il nourrit l’imaginaire collectif. C’est en cela que la répétition de ce critère est un danger pour les personnes trans’. En posant la révélation comme la norme, il dépossède les personnes trans’ de leur droit à dévoiler, ou non, leur transidentité. En ne faisant pas son coming-out, la personne s’expose au risque d’être découverte ; en le faisant, elle s’expose à l’incertitude de la réaction. 

Alors comment faire si vous souhaitez affirmer la transidentité d’un personnage sans en faire un moment de révélation ? Ne faîtes pas de ce moment un nœud dramatique dans le déroulement de la narration ; mettez le personnage trans’ et ses sentiments au centre, pas le personnage qui reçoit l’information ; ne montrez pas d’organes génitaux, ceux-ci ne veulent rien dire en terme d’identité de genre ; ne faîtes pas dire à l’autre personnage “j’aurais jamais deviné”, ce n’est pas un compliment. Et faites appel à un-e consultant-e !

Notes

1. https://transsubstantiation.com/the-cis-gaze-6c151f9374ca

2. https://representrans.fr/2021/02/15/les-criteres-du-regard-cis-1-a-1-2-20/

Pourquoi vous ne pouvez pas comparer les personnes trans’ avec les elfes…

… et autres zombies, orcs, aliens, etc.

 

En réalité, sur certains points, vous pouvez comparer les personnes trans’ à des elfes. Par exemple, nous avons beaucoup de style, des capacités surnaturelles et tous les vêtements nous vont. 

 

Mais si je soulève la question aujourd’hui, c’est à cause de certaines réactions à l’article de Gab intitulé “est-ce que les rôles trans devraient être joués par des acteur.ice.s trans ?”. Sous le post instagram correspondant, un commentaire demande “mais on fait comment pour les films de zombies ?”, tandis qu’une story dénonce la condition des pauvres elfes dans le Seigneur des Anneaux, joués par des humain.es tel.les qu’Orlando Bloom ou Liv Tyler. 

Ce n’est ni la première, ni la dernière fois, que ce genre de remarques fleurissent aussi il me semble important de rappeler que (désolé pour la déception) : les elfes n’existent pas. Pas plus que les sirènes, les centaures, les zombies et tout un tas de créatures fantastiques ou inventées. Par conséquent, il n’existe pas d’acteur.ices elfes, sirènes, centaures, zombies etc, bref, vous avez l’idée. En revanche, vous savez ce qui existe ? Les acteur.ices trans’ ; et le combat mené pour qu’iels aient accès à l’industrie du jeu au même titre que leurs comparses cis. 

Donc, pour faire simple : vous ne pouvez pas comparer un truc impossible à accomplir, avec un truc potentiellement possible à accomplir et dont le non-accomplissement est largement dû à un système transphobe

 

Ce n’est pas pour rien si l’article sur l’actorat trans a été (de loin) le plus lu et partagé de notre page : aujourd’hui c’est une question qui concentre les débats et cristallise la transphobie. Débattre en boucle de qui doit ou ne doit pas jouer une personne trans’, c’est faire l’impasse sur l’écriture du personnage ; sur son temps de parole à l’écran ; sur son temps de nudité à l’écran ; sur tous les stéréotypes que l’on retrouve. 

Oui, dans un monde idéal où tout est bien représenté, où la transphobie n’existe pas, peut-être, qu’alors, on pourrait accepter que des personnes cis jouent des personnages trans’… Mais à l’heure où les écarts de niveau de vie se creusent entre personnes cis et trans’, à l’heure où l’accès à un emploi est inégal ; à l’heure où l’un des ressorts les plus violents de la transphobie est l’idée que nous nous déguisons pour tromper les cis : les personnes trans doivent jouer les personnages trans. 

 

Et pour la question des personnages gays / lesbiens, est-ce que cela voudrait dire que seules des acteur-ices gays / lesbiennes pourraient les interpréter ? À notre sens oui, pourquoi pas ? 

Mais là encore, l’actorat ne devrait pas être le seul enjeu. Quand un film sur une romance homosexuelle est écrit, on peut vite sentir si la plume est hétéronormée ou non. On ne peut pas dire que les représentations lesbiennes et gays à l’écran soient incroyables jusqu’à maintenant… Entre les couples avec 20 ans d’écart, les relations toxiques, les tromperies, les morts, les scènes de cul bien fétichistes… franchement, on mérite mieux. 

 

Et pour être vraiment clair : on ne demande pas à ce que les acteur-ices trans’ ne puissent jouer QUE des personnages trans’ / clairement identifiés en tant que tels. D’après notre enquête, 95% des répondant-es souhaitent interpréter des rôles trans / non-binaires, mais pas exclusivement et seulement 3% souhaitent n’interpréter que des rôles trans / non-binaires;) 

L’idée donc, pour simplifier : toustes les acteur-ices trans’ ne doivent pas jouer que des rôles de personnages trans’ mais tous les rôles de personnages trans’ doivent être donnés à des acteur-ices trans’ (qui existent en grand nombre… contrairement aux elfes).

Les critères du regard cis 1 à 1 (2/20) 

On poursuit aujourd’hui notre analyse détaillée des critères du regard cis dans l’audiovisuel en nous intéressant au second critère : “le personnage trans’ est félicité-e car iel rentre dans une norme cis centrée”. Comme les quatre premiers, ce critère a été pensé dans un premier temps par Nissa Mitchell et à lui tout seul, il peut faire écho à la deuxième partie de la définition du regard cis qui dit que les représentations trans’ “ne remettent pas en question l’hégémonie de ce regard et [se conforment] à des stéréotypes établis”. 

Dans les faits, il est plus courant qu’un personnage cis s’offusque de ne pas avoir deviné qu’un personnage était trans’ plutôt que de lui adresser des félicitations. Il s’agit d’un schéma de narration courant dans le cadre de la représentation de relations amoureuses dans lesquelles une personne ne révèle pas immédiatement sa transidentité. C’est le cas par exemple dans la saison 2 de la série Les Engagés (2018), à l’amorce de la relation entre Elijah et Hicham ou encore dans le film Port Authority (2019) dans le cadre de la relation entre le personnage principal, Paul, et Wye, interprétée par Leyna Bloom. Dans les deux cas, la réaction de dégoût est montrée comme réprimandable, ce qui était loin d’être le cas dans Ace Ventura (1994) dont les scènes transmisogynes sont tristement connues. 

Ce n’est donc pas la capacité à passer des personnages trans’ qui est félicitée. Celle-ci est au contraire une manière de présenter ces personnages comme déloyaux mais c’est un point que nous aborderons plus tard. 

Ce que les personnes cis apprécient, dans les fictions comme dans le public, c’est lorsqu’elles ont connaissance de la transidentité d’une personne et qu’elles peuvent y apposer un sceau d’approbation conditionné par la normativité de l’apparence de la dite personne. En effet, il est fréquent de voir les médias ou le public cis féliciter un film a posteriori car celui-ci met en scène des personnes trans’ “””normales””” et ne tombe pas dans le piège des “thématiques sociales inhérentes au genre” (coucou les commentaires du public sur la page AlloCiné de Girl). Derrière ces félicitations il y a un remerciement, à demi-mot, “merci, de ne pas être trop queer”… On félicite le personnage qui est conforme car grâce à lui le public n’aura pas à remettre en question ses propres conceptions du genre, il sera conforté. Mettre en scène des personnages cis qui félicitent un personnage trans’ cisnormé et binaire c’est un peu créer un écho sans fin entre la réception du film et son contenu. 

Ce critère conditionne les parcours trans’ que le cinéma accepte de représenter. 

En effet, si dans les films grand public on ne voit pas de personnes trans’ qui ne font pas de transition, de personnes non-binaires, de personnes qui passent leur temps à questionner leur genre, de personnes non-conformes dans le genre ou de personnes dont l’identité et l’expression de genre diffèrent, c’est parce que toutes ces représentations rendraient trop visibles toutes les questions que soulèvent la transidentité à propos de la construction des genres et de la binarité. C’est aussi pour ça que les personnages trans’ gays ou lesbiennes ne trouvent pas leur place sur le grand écran : la cisnormativité se double d’hétéronormativité

En somme, il y aurait d’une part les personnes trans’ respectables, acceptables car invisibles par la manière dont elles se fondent dans la masse cisnormée ; et d’autre part les trop visibles, les pas assez binaires, les queers, celleux qui desservent la cause en remettant en question les normes binaires faites par et pour le confort des cis. 

Ce que je dis là ça ne veut pas dire qu’une personne trans’ / un personnage trans’ sera moins exposé-e à la transphobie en se conformant aux normes binaires et ciscentrées. La transphobie systémique (médicale, familiale, administrative…) se fiche souvent pas mal de savoir si nous sommes les bon-nes ou les mauvais-es trans’. Mais encore une fois c’est à travers la multiplicité et l’invariance des représentations qu’il faut envisager ce critère. Il n’est pas anodin que chaque réalisateur-trice faisant un film qui met en scène une personne trans’ s’auto-perçoive comme le fer de lance qui fera avancer la cause de cette fameuse communauté. Derrière cette phrase toute faite et pleine de bonne volonté, il y a l’idée de normaliser, de lisser, de montrer que les personnes trans’ sont des gens tout à fait comme les autres, tout à fait comme il faut. Et c’est un peu ça le vrai problème ici… Oui, c’est bien gentil de vouloir montrer qu’on est des humains comme les autres mais ce n’est pas en appuyant sur notre invisibilisation et la nécessité de passer pour cis que les choses vont changer

La visibilité de nos identités a toujours été, et reste aujourd’hui, un outil politique. Nous revendiquons notre droit à exister dans l’espace collectif, que ce soit dans la rue ou dans l’imaginaire à travers des médias comme le cinéma. Ce droit à exister c’est un droit à la pluralité de nos expressions de genre, un droit à la pluralité de nos identités aussi. 

Bref, tout ça ne vous avance pas vraiment sur la manière d’utiliser ce critère dans le cadre de vos visionnages. Mais en fait je crois que même pour moi ça reste assez flou (bonjour l’auto-critique). J’ai l’impression qu’il s’agit vraiment d’un critère qui concerne plus la réception du film que la conception / réalisation de celui-ci. Je me demande s’il faut le cocher à partir du moment où un film met en scène un personnage avec un passing dont on sait qu’il correspond à la norme binaire et ciscentrée ou s’il faut vraiment que les félicitations soient explicitées dans le film… Et vous, vous en pensez quoi ?