Les critères du regard cis 1 à 1 (5/20)

Pour ce cinquième article détaillé, nous allons aborder le critère selon lequel le regard cis, présente les personnages trans’ comme ayant “un comportement de prédateurice / déloyal·e. À travers l’article sur le troisième critère, nous avons déjà pu voir la manière dont le regard cis fait le procès des personnes trans’ pour “usurpation” et “tromperie visuelle”. Cette fois, nous ne discuterons donc pas de ces accusations mais de la vilainisation1 des personnages trans’ au cinéma et dans l’audiovisuel de manière générale. 

Ce processus est à différencier du queer coding, pratique qui consiste à donner une esthétique queer (pour autant que cela existe, mais on pourrait le résumer à un maximum de clichés et de références culturelles dîtes queer) à des personnages de fiction, notamment lorsqu’iels sont méchant·es. C’est une pratique bien connue des studios d’animation chez Disney : Ursula dans la Petite Sirène (1989) est inspirée de Divine, une drag queen ; Hadès dans Hercule (1997), Jafar dans Aladdin (1992), le Docteur Facilier dans La Princesse et la Grenouille (2009) et même Scar dans Le Roi Lion (1994) sont perçus comme queer codés. La télévision n’est pas en reste  : la série Sherlock (2010), de la BBC, en joue avec James Moriarty. 

En glissement de cette pratique, on retrouve donc ensuite les personnages canoniquement (c’est-à-dire reconnu·es en tant que tel·les dans l’œuvre originale) LGBTIAQ+ qui endossent des rôles de tueur·euses, de prédateur·ices, d’escrocs etc. Cela peut aller de la vilaine lesbienne qui “vole” la femme d’un personnage (on pense fort à Suzanne, dans FRIENDS (1994)) jusqu’à la lesbienne tueuse en série (dans The Neon Demon (2016) ou Killing Eve (2018) par exemple). 

Plutôt que de faire une liste ici (elle serait très longue), je vous redirige vers le site tvtropes.org qui, comme son nom l’indique, regroupe des schémas fréquents de représentation, avec explications et exemples. On y trouve par exemple : “depraved bisexual”, “psycho lesbian”, “depraved homosexual”, “sissy villain”, etc2

Quand on parle des personnes trans’, l’échelle est à peu près la même. On retrouve d’abord une longue liste de femmes trans’ présentées comme les connasses de l’histoire qui abandonnent égoïstement femme et enfant(s) : la mère de Chandler dans FRIENDS (oui, encore), le personnage de Lola dans Tout sur ma mère (1999), le rôle titre de Laurence Anyways (2012) et pour remonter bien plus loin, celui de Glen or Glenda (1953). 

Puis on arrive vers les femmes trans’ délinquantes et présentées via le prisme misogyne de l’hystérie : Hedwig dans Hedwig and the Angry Inch (2001), Frank N. Furter dans The Rocky Horror Picture Show (1975) ou encore Lois Einhorn dans Ace Ventura (1994). 

Enfin, au sommet de la pyramide, on retrouve “le tueur est un travesti qui aime particulièrement s’habiller avec les peaux / vêtements de femmes décédées. On pense ici bien sûr aux antagonistes dans Le Silence des Agneaux (1991) et Psychose (1960). 

Sur ce point de la représentation des personnages trans’, nous pouvons donc noter une tendance qui vise plus généralement les personnes non-hétérosexuelles et non-cis ; les “déviant·es” à la norme de sexualité et de genre. Dans le documentaire The Celluloid Closet (1995)3, Rob Epstein et Jeffrey Friedman soulignent qu’il existe des phases dans l’histoire des représentations LGB à l’écran, côté Etats-Unis. En 1934, le Code Hayes établit des règles et censure notamment l’homosexualité. Les figures LBG deviennent alors plus compliquées à identifier et c’est à ce moment que la marge se symbolise par la criminalité (auparavant on était plutôt sur des ressorts comiques).  

Dans le contexte dans lequel nous nous situons aujourd’hui, cet historique et ce schéma de représentation à l’égard des personnes trans’, et notamment des femmes trans’, n’est pas anodin. Les mouvements TERF4 en France et à l’étranger ne cachent plus leur haine des femmes trans’ et jouent notamment sur la crainte que celles-ci devraient inspirer de par leur statut d’usurpatrices violentes. La transmisogynie n’est pas née avec le cinéma mais celui-ci entretient, avec des narrations comme celle de ce cinquième critère, un imaginaire qui met, depuis toujours, la vie des femmes trans’ en danger

On nous répète souvent, lorsque nous sommes contacté·es en tant que Représentrans, le fait que toutes les personnes trans’ ne sont pas parfaites et qu’il n’y a pas de mauvaise intention derrière le fait de vouloir une femme trans’ pour jouer une tueuse. Mais rien n’est anodin et toute représentation existe dans un contexte et dans un historique. Il est important de prendre ces paramètres en compte dans les processus de création. Ce que je dis à travers cet article,c’est que les représentations des personnes transgenres devraient être plus diversifiées, en tentant de rééquilibrer avec des représentations plus positives. Si nous ne sommes pas des personnes parfaites (une petite pensée ici pour Caitlyn Jenner qui n’a aucune hésitation à jeter sous le bus le combat des activistes trans’ à propos de la place des femmes trans’ dans le sport…), je mets en avant le fait que perpétuer cette représentation nourrit un stigmat qui a des conséquences réelles et graves sur les femmes trans’. En plus de répéter un schéma narratif vu et revu, cette vision cis fantasmée est donc dangereuse. 

Notes

1. Mon correcteur n’arrête pas de me dire que ce mot n’existe pas… Je suis convaincu que vous voyez ce que je veux dire mais dans le doute je vais donner une petite définition de ce mot : il s’agit d’un processus par lequel une personne, réelle ou fictive, est présentée par une narration et un regard subjectif comme étant le-a méchant-e de l’histoire. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’iel l’est objectivement mais le but est qu’iel soit perçu-e par le public en tant que tel-le.

2. Tous les tropes en rapport avec la communauté LGBTIAQ+ sont listés ici : https://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/QueerAsTropes

3. De la même manière que Disclosure (2020) reprend l’historique des représentations trans dans le cinéma américain, The Celluloid Closet fait ce travail avec les représentations LGB. Le documentaire est tiré d’un livre du même nom : The Celluloid Closet, Vito RUSSO, 1981.

4. Trans Exclusionary Radical “Feminist” : acronyme désignant des groupes dont les membres se disent féministes tout en excluant les personnes trans’, et plus particulièrement les femmes trans’, et en les stigmatisant de manière violente.

Pourquoi vous ne pouvez pas comparer les personnes trans’ avec les elfes…

… et autres zombies, orcs, aliens, etc.

 

En réalité, sur certains points, vous pouvez comparer les personnes trans’ à des elfes. Par exemple, nous avons beaucoup de style, des capacités surnaturelles et tous les vêtements nous vont. 

 

Mais si je soulève la question aujourd’hui, c’est à cause de certaines réactions à l’article de Gab intitulé “est-ce que les rôles trans devraient être joués par des acteur.ice.s trans ?”. Sous le post instagram correspondant, un commentaire demande “mais on fait comment pour les films de zombies ?”, tandis qu’une story dénonce la condition des pauvres elfes dans le Seigneur des Anneaux, joués par des humain.es tel.les qu’Orlando Bloom ou Liv Tyler. 

Ce n’est ni la première, ni la dernière fois, que ce genre de remarques fleurissent aussi il me semble important de rappeler que (désolé pour la déception) : les elfes n’existent pas. Pas plus que les sirènes, les centaures, les zombies et tout un tas de créatures fantastiques ou inventées. Par conséquent, il n’existe pas d’acteur.ices elfes, sirènes, centaures, zombies etc, bref, vous avez l’idée. En revanche, vous savez ce qui existe ? Les acteur.ices trans’ ; et le combat mené pour qu’iels aient accès à l’industrie du jeu au même titre que leurs comparses cis. 

Donc, pour faire simple : vous ne pouvez pas comparer un truc impossible à accomplir, avec un truc potentiellement possible à accomplir et dont le non-accomplissement est largement dû à un système transphobe

 

Ce n’est pas pour rien si l’article sur l’actorat trans a été (de loin) le plus lu et partagé de notre page : aujourd’hui c’est une question qui concentre les débats et cristallise la transphobie. Débattre en boucle de qui doit ou ne doit pas jouer une personne trans’, c’est faire l’impasse sur l’écriture du personnage ; sur son temps de parole à l’écran ; sur son temps de nudité à l’écran ; sur tous les stéréotypes que l’on retrouve. 

Oui, dans un monde idéal où tout est bien représenté, où la transphobie n’existe pas, peut-être, qu’alors, on pourrait accepter que des personnes cis jouent des personnages trans’… Mais à l’heure où les écarts de niveau de vie se creusent entre personnes cis et trans’, à l’heure où l’accès à un emploi est inégal ; à l’heure où l’un des ressorts les plus violents de la transphobie est l’idée que nous nous déguisons pour tromper les cis : les personnes trans doivent jouer les personnages trans. 

 

Et pour la question des personnages gays / lesbiens, est-ce que cela voudrait dire que seules des acteur-ices gays / lesbiennes pourraient les interpréter ? À notre sens oui, pourquoi pas ? 

Mais là encore, l’actorat ne devrait pas être le seul enjeu. Quand un film sur une romance homosexuelle est écrit, on peut vite sentir si la plume est hétéronormée ou non. On ne peut pas dire que les représentations lesbiennes et gays à l’écran soient incroyables jusqu’à maintenant… Entre les couples avec 20 ans d’écart, les relations toxiques, les tromperies, les morts, les scènes de cul bien fétichistes… franchement, on mérite mieux. 

 

Et pour être vraiment clair : on ne demande pas à ce que les acteur-ices trans’ ne puissent jouer QUE des personnages trans’ / clairement identifiés en tant que tels. D’après notre enquête, 95% des répondant-es souhaitent interpréter des rôles trans / non-binaires, mais pas exclusivement et seulement 3% souhaitent n’interpréter que des rôles trans / non-binaires;) 

L’idée donc, pour simplifier : toustes les acteur-ices trans’ ne doivent pas jouer que des rôles de personnages trans’ mais tous les rôles de personnages trans’ doivent être donnés à des acteur-ices trans’ (qui existent en grand nombre… contrairement aux elfes).

Les critères du regard cis 1 à 1 (1/20)

Dans une série d’articles à venir, je vous propose d’approfondir un à un les vingt critères qui composent l’évaluation du regard cis ! L’idée est d’illustrer ces critères avec des exemples concrets et de discuter de leur pertinence. 

Pour commencer donc, nous allons nous intéresser au premier critère : “le personnage trans’ s’habille ou se maquille”. Comme les quatre suivants, ce critère a été pensé par Nissa Mitchell. Dans son article sur le cis gaze, cette dernière souligne à quel point l’habillement, lorsqu’il n’est pas conforme aux normes de genre, est une source soit de rire soit de pitié pour le public1. Elle rejoint également la pensée de Julia Serano puisqu’elles soulignent toutes les deux “la facsimilation trans” ou “le fait de présenter et décrire les genres transsexuels comme des facsimilés des genres cissexuels2

Concrètement qu’est-ce que ça veut dire tout ça et pourquoi cela devient particulièrement pertinent quand on parle de représentations visuelles des personnes trans’ ? 

Le regard cis préconçoit une idée, une vision des personnes trans’. Dans cette optique, le genre dit “biologique” est mis en opposition avec le genre “construit”. Cette pensée ciscentrée – et évidemment transphobe – nourrit un inconscient collectif dans lequel en tant que personnes trans’, nous nous construisons socialement pour être perçues en tant que le genre auquel nous nous identifions. La notion de construction est centrale et doit être pensée comme une chose péjorative qui repousse les genres des personnes trans’ dans le domaine de l’artifice, du déguisement et du faux.

Cela semble signifier que les producteurs de cinéma, de télévision et de journaux ne se satisfont pas seulement de montrer des femmes trans habillées et maquillées de façon féminine. Ils veulent en plus les voir en train de mettre du rouge à lèvres, d’enfiler une robe et de mettre des talons hauts, donnant ainsi l’impression au public que le genre féminin des femmes trans n’est rien d’autre qu’un masque ou un costume, purement artificiels.
Julia Serano, Manifeste d’une femme trans et autres textes3

On oppose ici un genre qui serait acquis (de naissance, pour les personnes cis), contre un genre qui serait construit (au cours de la vie, pour les personnes trans’). Tout ça, je ne l’invente pas et là encore je ne peux que vous renvoyer à l’écriture de Julia Serano. En effet, on se trouve ici en plein dans ce qu’elle appelle “le cissexisme – c’est-à-dire la tendance à appliquer au genres transsexuels des standards différents de ceux appliqués aux genres cissexuels4

C’est tout bon pour vous ? Ok, parce que c’est vraiment important pour comprendre la pertinence de ce premier critère !

On a beau dire ce qu’on veut à propos des vêtements ou du maquillage qui ne devraient pas être des marqueurs de genre (et c’est bien vrai), il n’en reste pas moins que, socialement et majoritairement, une jupe et des talons hauts par exemple restent identifiés comme des marqueurs de féminité. Dans cette optique, maquiller ou habiller un personnage trans’ à l’écran, ça n’a rien de neutre, sans mauvais jeu de mot. 

Ce que j’ai pu constater de mes visionnages personnels, c’est que la plupart du temps, les scènes d’habillage ou de maquillage des personnes trans’ dans les films font le jeu des stéréotypes de genre. Tous les personnages trans’, comme toutes les personnes trans’, n’ont bien sûr pas pour obligation de détruire à elles seules les normes de genre. Par ailleurs, l’expression de genre la plus en phase avec ce qui est attendu de nous, c’est aussi une garantie supplémentaire (quoique conditionnelle) de sécurité. Cependant les récurrences d’un certain type de représentations devrait nous questionner. 

Pour prendre un exemple très récent, vous avez peut-être vu le documentaire de Sébastien Lifschitz, Petite Fille, diffusé sur Arte5 ? Dans celui-ci, nous pouvons voir à plusieurs reprises Sasha, la petite fille désignée par le titre, qui s’habille. Si cet exemple me semble parlant, c’est parce que les vêtements revêtent une importance particulière pour l’enfant et que les premières secondes du documentaire correspondent à une séance d’essayage dans sa chambre. La miniature du film la représente par ailleurs avec des ailes de fée et on la voit pendant le documentaire essayer un maillot de bain rose ou encore jouer au foot dans son jardin avec des petites chaussures à talon. Attention, mon intention n’est absolument pas de blâmer cette enfant parce qu’elle aime le rose et les talons ! Ce qui me pose question ici c’est ce que le réalisateur du film, un homme cis, et son équipe, décident de montrer d’une personne trans’

À mon sens, l’étalage de gros plans sur les talons et les séances d’essayage à répétition viennent appuyer sur ce point bien spécifique de l’artificialisation du genre. À tant vouloir nous prouver que “mais oui bien sûr que c’est une petite fille ! Regardez comme elle aime les robes, enfin c’est évident, non ?” le film renforce une idée transphobe – et même plus spécifiquement transmisogyne – selon laquelle les filles / femmes trans’ comptent sur des déguisements et surjouent une féminité stéréotypée pour passer6

Performer le genre à travers l’aspect visuel ou le mimétisme est un caractère partagé de toustes ; que l’on soit des enfants, des adolescent-e-s ou des adultes ; que l’on soit cis ou trans’. Pourtant, cet aspect performatif n’est particulièrement épié et critiqué que lorsqu’il intervient dans le processus d’identification et de socialisation d’une personne trans’. On va alors dire de cette enfant qu’elle est influençable, qu’elle ne peut pas juste faire semblant…

Est-ce qu’un film sur une personne cis s’attarderait aussi longtemps sur ces mêmes aspects de mimétisme ? Quand bien même ce serait le cas, la démonstration ne serait pas la même. Ici, en soulignant la manière dont Sasha s’habille, on souligne l’écart avec ce qui est attendu, on souligne la difficulté, on souligne les problèmes que cela peut poser et on souligne la construction, l’artifice, le déguisement (encore une fois il n’est pas anodin de représenter la petite fille déguisée en fée sur la miniature…). 

Ce premier critère est donc intéressant à mon avis car, une fois que l’on dépasse l’énoncé particulièrement simpliste, on trouve derrière des mécanismes bourrés de violences symboliques et sociales. Montrer une scène d’habillage en soi n’a pas de valeur. Ce qui crée cette valeur c’est aussi l’accumulation, la multiplication de ces représentations et pourtant leur manque de diversité. Dans Petite Fille ce sont de multiples essayages de robes et de parures ; dans The Danish Girl7 c’est aussi un essayage de robe qui provoque la révélation du personnage de Lili ; dans Tomboy8 la robe fait office de punition… Le traitement de ces personnages et de leurs habillements confortent des normes ciscentrées et binaires dans lesquelles les multiplicités des identités trans’ et de leurs expressions sont effacées

En remplissant la grille d’analyse, on peut alors décider de ne pas cocher ce premier critère si l’on voit simplement une scène où le personnage enfile un t-shirt au saut du lit par exemple. En revanche, il devient important de noter ces séquences si elles sont récurrentes ou bien si elles agissent comme des moments quasi-magiques de révélation pour le personnage et / ou ses proches. 

Il y a un monde entre rester dans le déni et dire que tous les personnages trans’ n’ont pas pour vocation de révolutionner les représentations, et ne jamais faire l’effort de fournir le moindre personnage qui aille effectivement dans ce sens. L’argument, lorsqu’il est invoqué par un-e n-ième réalisateur-ice cis, peut légitimement nous énerver et nous pousser à répondre : en 120 ans de cinéma et presque autant de représentations de personnages non-cis, combien ont réellement été pensés pour ne pas satisfaire un regard cis ? Si ce critère mérite sa place en tant que premier marqueur du cis gaze au cinéma, c’est bien parce que la manière dont un personnage trans’ exprime son genre à l’écran est définie par les attentes ciscentrées qui pèsent sur les vies des personnes trans’.

 

 
Notes
1. https://transsubstantiation.com/the-cis-gaze-6c151f9374ca
2. SERANO Julia, Manifeste d’une femme trans et autres textes, éditions Cambourakis, 2020, p 118.
3. SERANO Julia, Manifeste d’une femme trans et autres textes, éditions Cambourakis, 2020, p 40.
4. SERANO Julia, Manifeste d’une femme trans et autres textes, éditions Cambourakis, 2020, p 103.
5. LIFSCHITZ Sébastien, Petite Fille, 2020. Pour le voir : https://www.arte.tv/fr/videos/083141-000-A/petite-fille/
6. Le concept de passing pour une personne trans’ correspond au fait de chercher à être perçu-e socialement comme le genre auquel on s’identifie. Il repose sur des stéréotypes binaires et ciscentré et attribue une valeur différente aux genres des personnes cis et trans’. À ce sujet, Julia Serano dit également beaucoup au cours d’une longue sous partie intitulée “l’obsession du passing” : SERANO Julia, Manifeste d’une femme trans et autres textes, éditions Cambourakis, 2020, p 125 à 129.
7. HOOPER Tom, The Danish Girl, 2015.

8. SCIAMMA Céline, Tomboy, 2012.

Comment utiliser le test du cis gaze ?

À l’occasion de mon précédent article « Le cis gaze en bref », je vous avais rapidement présenté la notion de cis gaze et à cette occasion, vous aviez pu découvrir la liste des critères permettant d’établir si un film met en avant un regard cis sur les transidentités. 

Dans ce nouvel article, il me semble important de détailler l’utilisation qui peut être faite de cette liste. Pour rappel, voilà les critères énoncés :

Le personnage trans’ :

  1. s’habille / se maquille
  2. est félicité·e car iel rentre dans une norme ciscentrée
  3. fait face à une remarque qui souligne le fait que nous n’aurions jamais pu deviner qu’iel était trans’
  4. est travailleuse·eur du sexe (et ses collègues sont également trans’)
  5. a un comportement de prédateurice / est déloyal·e
  6. est appelé·e par son deadname / mégenré·e volontairement
  7. suit un parcours médical et l’on peut voir ses prises d’hormones et / ou des opérations chirurgicales / esthétiques liées à son parcours de transition
  8. a pour préoccupation centrale ou unique sa transition
  9. voit ses organes génitaux exposés à l’écran et / ou à d’autres personnages sans son consentement
  10. cause la détresse émotionnelle de l’un·e de ses proches
  11. est la victime passive d’une agression
  12. se fait du mal, de quelque manière que ce soit
  13. voit son identité remise en question par un personnage cis
  14. voit son identité validée par une analyse psychiatrique
  15. imite un personnage cis pour performer son genre
  16. n’a aucune interaction avec d’autres personnages trans’
  17. a des relations amoureuses et / ou sexuelles exclusivement hétérosexuelles
  18. se regarde entièrement nu·e dans un miroir
  19. détourne son regard de son propre corps mais reste exposé·e à au moins un autre regard
  20. est joué·e par un·e acteur·ice cis (surtout si son genre n’est pas conforme à celui du personnage)
Pour rappel, les 5 premiers critères ont été établis par Nissa Mitchell.

Première utilisation : dresser des constats généraux et comparer les oeuvres 

Dans un premier temps, pour amorcer une réflexion et se rendre rapidement compte de l’étendu du cis gaze dans une oeuvre, il peut s’agir de simplement cocher les critères qui nous semblent correspondre.

Cette première étape permet de comparer rapidement les films entre eux. Par exemple, d’après l’analyse de Gabriel Harrivelle et moi-même, le film The Danish Girl (Tom Hooper, 2015) coche 16 des 20 critères tandis que Une Femme Fantastique (Sebastian Lelio, 2017) n’en coche “que” 8, tout comme Lola vers la mer (Laurent Micheli, 2019).

Tous ces films cochent bien plus que trois critères et nous pouvons donc affirmer qu’ils correspondent par de nombreux aspects, à une vision ciscentrée des transidentités. En revanche, si une personne cis nous demande si on connaît “un film qui serait un peu moins pire que les autres par hasard”, alors peut-être éviterons-nous de l’aiguiller vers The Danish Girl

Deuxième utilisation : rentrer dans le détail de l’analyse critique d’un film

Cette liste peut, dans un second temps, nous permettre d’avoir une base afin de dresser un regard critique détaillé sur une œuvre. En effet, chaque critère peut en réalité être pensé le long d’un continuum. 

Par exemple, pour le premier critère, “le personnage trans’ s’habille ou se maquille” : un film ne peut être traité de la même manière si l’on voit simplement le personnage enfiler un t-shirt au saut du lit ou bien si l’on assiste à une séquence entière d’essayages. Dans The Danish Girl (oui, peut-être que je m’acharne), le personnage principal est une femme trans’ et les scènes de maquillage et de démaquillage sont présentées comme centrales dans la construction de son identité. Il s’agit de moments forts de sa transition mais également de mises en scène qui artificialisent son genre, c’est-à-dire de moyens de rendre son identité superficielle et fausse. 

Ce qui peut être noté ici, c’est la récurrence de certains motifs (le nombre de fois où le personnage s’habille ou se maquille) ; le temps à l’écran accordé à ce critère (une scène de quelques secondes ou bien une séquence de plusieurs minutes) ; la mise en scène (la musique de la scène est-elle dramatique ? Est-ce que le personnage semble avoir une illumination en relevant les yeux et en se voyant maquillé-e pour la première fois ? …) ; la manière dont la présence de ce critère renforce des stéréotypes de genre (un personnage trans féminin ne porte que des robes ; enfile des bas ; met soigneusement son rouge à lèvres…). En bref, tout ce qui peut vous sembler pertinent pour souligner la présence d’un critère dans un film et la manière dont il renforce le regard cis. 


Troisième utilisation : se servir de ces constats pour s’améliorer

Pour les créateur-ice-s, la liste de critères peut (et devrait) être un outil de questionnement et une sorte de check-list afin de s’assurer de l’amélioration des représentations des personnages trans’. En effet, si en consultant votre histoire, vous vous rendez compte que vous cochez 14 critères, alors peut-être est-ce le moment de revoir votre écriture et de faire appel à des personnes concernées pour vous épauler. 

Cependant ne soyons pas dupes, certaines personnes trans’ véhiculent également, à travers leurs productions, des éléments du cis gaze. Il est parfois compliqué de réaliser que ce que l’on produit est construit en accord avec ce à quoi nous avons toujours été exposé-e-s et / ou limité-e-s au sein d’un système transphobe. Il nous appartient également de chercher à faire mieux et de ne pas toujours chercher à satisfaire et à rassurer le public cis. 

En tant que public et qu’allié-e-s, ces critères peuvent vous permettre d’évaluer les films que vous décidez d’aller voir et de vous rendre compte des automatismes développés au contact d’images peu variées. La prochaine fois que vous trouverez un film sur une personne trans’ “très beau et incroyablement touchant”, prenez tout de même le temps de consulter les critères et de vous questionner sur ce qui vous touche. 

Il me semble au final que ces critères servent à ouvrir un dialogue et une discussion critique entre ce qui existe et ce qui est possible. Qu’est-ce que vous en pensez ? 

Pour aller plus loin :

  • pour en savoir plus sur la notion de “genre artificiel” : Julia Serano, Manifeste d’une femme trans et autres textes, traduit et publié aux éditions Cambourakis en 2020. 

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Le cis gaze, en bref

L’an dernier, dans le cadre de mon Master en études de genre, littérature et culture, j’ai rédigé un mémoire intitulé “Le cis gaze reflété au cinéma”. En 200 pages, je reviens sur plusieurs années de représentations de personnages trans’, sur grand écran, en m’appuyant sur des exemples précis. Pour faciliter l’accessibilité de ce travail, cet article va revenir rapidement sur le pourquoi du cis gaze, sa définition et ses caractéristiques.

À force de regarder des films centrés sur des personnages trans’, on constate assez rapidement certaines récurrences :

  • les personnages sont tous hormonés ou bien il s’agit de l’enjeu du film ;
  • tout le monde est hétérosexuel ;
  • les trans’ n’ont pas d’ami-e-s trans’ et vivent seulement entouré-e-s de cis qui souffrent de leurs transitions ;
  • les médecins sont omniprésent-e-s ;
  • les personnages détestent leurs corps ;
  • tout le monde est binaire ;
  • tous ces films sont des drames…

Écrire ces histoires et mettre en scène ces récurrences, cela donne une vision restreinte et souvent blessante de ce que sont les transidentités. Ces films découlent d’une vision ciscentrée, elle-même inscrite dans un système cisnormatif, c’est-à-dire qui défini la norme par défaut comme cis. C’est à partir de ce constat qu’il faut penser la notion de cis gaze.

La notion de cis gaze pré-existe à cette recherche, parce que le regard cis, avant d’être un procédé cinématographique et narratif, inconscient ou non, c’est une réalité. C’est le regard quotidien des personnes cis sur nos corps et sur nos vies de personnes trans’.

Définition du cis gaze

Cette notion se base également sur les écrits de Nissa Mitchell, écrivaine et musicienne, et de Julia Serano, chercheuse et militante trans-bi. La première écrit en 2017, dans TransSubstantiation, que « le cis gaze fait référence aux moyens mis en oeuvre pour présenter les personnes trans’ comme si elles existaient uniquement pour satisfaire le voyeurisme des personnes cis et pour les divertir »1. La seconde souligne notamment, dans son Manifeste d’une femme trans, que cette vision tend à naturaliser les identités cis et à artificialiser les identités trans’2.

Enfin, le cis gaze, c’est surtout un amas de fantasmes, ou comme le dit Ray Filar : « la “transition”, le “changement de sexe”, et même dans une certaine mesure le “coming out” sont des fantasmes cis. Ce sont des fantasmes cis qui effacent les processus par lesquels les personnes cis façonnent également leur propre genre »3.

On peut garder à l’esprit le fait que ce regard se trouve dans les arts visuels et la littérature mais n’est pas un regard limité à ces champs. Il est applicable à la société de manière large. Le cis gaze est un regard systémique. Il a une influence réelle sur la manière dont les personnes trans’ ont conscience de leurs corps et de leurs apparences qui sont constamment épiées à travers le cis gaze. En ce sens, les personnes trans’ portent souvent sur elles-même ce que nous pouvons qualifier de cis gaze interiorisé. Le concept abordé ici existe à travers les films parce qu’il existe socialement, porté par une classe de genre dominante. Ce regard cristallise des comportements violents, fétichisants, menaçants et globalement stigmatisants à l’encontre des personnes trans’.

Ce qui résulte de tout ça, c’est notamment une objectification des personnes trans’, qui ne sont pas des sujets pour le cinéma mais des objets maléables et soumis aux personnes qui ont le pouvoir sur l’écriture, la mise en scène, la réalisation et le jeu : les personnes cis. Ces dernières ne réfléchissent pas à l’ordre de domination et perpétuent des stéréotypes, qui eux-mêmes contribuent à l’alimentation d’un cercle vicieux. Le public n’est exposé qu’à un certain type de représentation qui nourrit l’imaginaire. Les créations qui suivent en sont à leur tour alimentées.

Ce qui intéresse le public cis c’est une représentation de la transidentité qui ne défie pas ses propres représentations du genre. Il n’en reste pas moins qu’il y a, derrière l’intérêt pour les figures trans’, un intérêt pour l’altérité. À ce titre, les personnages trans’ doivent représenter une altérité acceptable. Les corps des personnes trans’ sont alors des corps sur lesquels la société cisnormée aurait un droit de regard, lui permettant de définir à la fois des normes binaires et des manières d’être trans’.

Pour terminer je peux vous livrer la définition du cis gaze qui m’a semblée la plus claire :

« Le cis gaze est une notion qui caractérise la manière dont les personnes trans’ sont représentées, au cinéma, afin d’intriguer le public cis et le regard cisnormé tout en ne remettant pas en question l’hégémonie de ce regard et en se conformant à des stéréotypes établis à propos de l’existence tolérée des personnes trans’ dans la société. »

Évaluer la présence du cis gaze dans une oeuvre

De futurs articles me permettront de revenir plus en détails sur les différentes caractéristiques identifiées dans les films comme correspondant à du cis gaze. En attendant, voilà une liste non détaillée de 20 critères permettant d’évaluer la présence du cis gaze dans une oeuvre. Si un film coche au moins trois de ces critères alors il est porteur d’un regard cis sur les transidentités.
Le personnage trans’ :
  1. s’habille / se maquille
  2. est félicité·e car iel rentre dans une norme ciscentrée
  3. fait face à une remarque qui souligne le fait que nous n’aurions jamais pu deviner qu’iel était trans’
  4. est travailleuse·eur du sexe (et ses collègues sont également trans’)
  5. a un comportement de prédateurice / est déloyal·e
  6. est appelé·e par son deadname / mégenré·e volontairement
  7. suit un parcours médical et l’on peut voir ses prises d’hormones et / ou des opérations chirurgicales / esthétiques liées à son parcours de transition
  8. a pour préoccupation centrale ou unique sa transition
  9. voit ses organes génitaux exposés à l’écran et / ou à d’autres personnages sans son consentement
  10. cause la détresse émotionnelle de l’un·e de ses proches
  11. est la victime passive d’une agression
  12. se fait du mal, de quelque manière que ce soit
  13. voit son identité remise en question par un personnage cis
  14. voit son identité validée par une analyse psychiatrique
  15. imite un personnage cis pour performer son genre
  16. n’a aucune interaction avec d’autres personnages trans’
  17. a des relations amoureuses et / ou sexuelles exclusivement hétérosexuelles
  18. se regarde entièrement nu·e dans un miroir
  19. détourne son regard de son propre corps mais reste exposé·e à au moins un autre regard
  20. est joué·e par un·e acteur·ice cis (surtout si son genre n’est pas conforme à celui du personnage)
Ces critères sont purement descriptifs et servent à alimenter une amorce de réflexion. Ils peuvent être pensés le long d’un continuum et sont plus ou moins pertinents selon le contexte. C’est ce que les futurs articles nous permettront de détailler ! D’ici là, n’hésitez pas à les utiliser quand même pour évaluer les films que vous regardez et à nous envoyer vos résultats pour qu’on puisse les comparer avec les nôtres !
 

Pour aller plus loin :

  • lecture des articles complets de Nissa Mitchell et Ray Filar
  • Julia Serano : Manifeste d’une femme trans et autres textes, récemment traduit et publié aux éditions Cambourakis
  • Jeu vidéo interactif de Caelyn Sandell, intitulé Cis gaze : https://inurashii.itch.io/cis-gaze

1. “Sophia Banks, a trans photographer, first brought the phrase to the internet in a tweet on March 22nd, 2014”, MITCHELL Nissa, “The Cis Gaze”, TransSubstantiation, 7 mars 2017, consultable sur https://transsubstantiation.com/the-cis-gaze-6c151f9374ca, traduit par Charlie Fabre

2.SERANO Julia, Whipping girl, a transsexual woman on sexism and the scapegoating of femininity, Seal Press, 2007

3.FILAR Ray, « ”Is it a man or a women ? Transitioning and the cis gaze” by Ray Filar », Verso, 24 septembre 2015, traduit par Charlie Fabre

A Good Man (2020), critique d’une personne trans

A Good Man, réalisé par Marie-Castille Mention Schaar, est un film qui a déjà beaucoup fait parler de lui. Il raconte l’histoire de Benjamin et Aude qui veulent être parents, mais Aude ne pouvant porter d’enfants, c’est Benjamin qui se propose pour le faire.

Une polémique sur le choix de noémie merlant

Le film a d’abord fait polémique par son synopsis révélant le prénom de naissance de Benjamin, puis à nouveau lors de l’annonce du casting de Noémie Merlant dans le rôle du personnage principal trans. L’explication dans la note d’intention est insuffisante : il n’y aurait tout simplement pas assez d’acteurs trans en France. L’enquête #ActoraTrans prouve que ce n’est pas le cas (résultats complets disponibles ici).

« Les acteurs trans FTM (female to male) se comptent sur les doigts de la main. »

Extrait de la note d’intention présente dans le document de présentation à la presse (modifié par le diffuseur depuis)

En réaction à la diffusion de cette note d’intention et à l’annonce de sa programmation au Festival de Deauville, Charlie Guibert et moi-même avons organisé un rassemblement. Ce rassemblement ne visait pas particulièrement ce film mais toute l’industrie du cinéma qui oublie encore et encore nos existences, qui ne nous inclut pas dans les projets et qui se sert de nos histoires.

Organisé très tardivement et très rapidement, ce rassemblement du 6 septembre n’a pas réuni beaucoup de monde. Il en est tout de même ressorti une rencontre avec l’équipe du film dont Marie-Castille Mention-Schaar, Noémie Merlant et Jonas Ben-Ahmed. Cette rencontre s’est faite grâce à Jonas, que je connaissais déjà personnellement.

Nous avons ainsi pu mieux comprendre le casting : les canaux habituels de l’industrie n’ont pas connaissance de beaucoup d’acteurs trans. De plus, un directeur de casting, connu pour son travail sur des projets LGBTQ+, a effectivement refusé de travailler avec eux. Parmi les acteurs trans que la réalisatrice a rencontrés, aucun ne correspondait au Benjamin qu’elle avait en tête. Alors, préférant travailler avec un·e acteur·ice expérimenté·e, elle a choisi Noémie Merlant, avec qui elle avait déjà collaboré sur trois autres films.

Une histoire inspirée de faits réels

Marie-Castille Mention-Schaar a décidé de faire ce film après avoir participé à la production du documentaire Coby (2018), réalisé par Christian Sonderegger, également co-scénariste de A Good Man. Elle s’est basée sur la vie de Thomas Beatie, médiatisé comme étant le premier homme enceint, et de Jacob Hunt, déjà sujet du documentaire Coby. Par exemple, la compagne de Thomas Beatie ne pouvait pas porter d’enfant, comme Aude dans le film. Le personnage de Benjamin fait le même métier que Jacob : secouriste. Des moments du documentaire ont également été réécrits et figurent dans le film. La réalisatrice s’est aussi rapprochée de pères trans ayant fait leur parcours en France, ainsi que de Laurence Hérault, chercheuse en sciences sociales à l’Université d’Aix-Marseille.

Jonas Ben Ahmed au 46e Deauville American Film Festival (04/09/2020)
à Deauville. (Photo par Foc Kan/WireImage)

Un autre point abordé dans la note d’intention est celui du choix de Jonas Ben-Ahmed pour interpréter un personnage cis. Jonas Ben-Ahmed est un acteur trans, révélé par son rôle dans Plus Belle La Vie lorsque le soap a abordé la transidentité à travers son personnage d’Antoine. Dans A Good Man, Jonas Ben-Ahmed interprète Niels, caissier au supermarché le jour, barman le soir. Il est présent dans trois scènes et a quelques lignes de dialogues. Sa présence dans l’intrigue n’est pas prépondérante, et c’est dommage parce que je pense qu’il était possible qu’il soit plus présent dans la vie de Benjamin et Aude.

La réalisatrice a fait ce film avec de bonnes intentions en tête, souhaitant donner de la visibilité à ces familles transparentales, mais est-ce suffisant ?

Je n’arrive pas à avoir un avis tranché sur ce film d’un côté ou de l’autre. Le choix d’une actrice cis, malgré toutes les explications, me dérange toujours. Le maquillage, la barbe et les effets spéciaux sur la voix ne m’ont pas convaincu. J’ai pu ignorer ces éléments pendant la majeure partie du film, mais je ne pense pas qu’ils permettent aux personnes trans de s’identifier. Ce choix nuit à l’authenticité de l’histoire et du personnage comme j’ai pu le remarquer dans les premiers retours de personnes cisgenres sur ce film. Ce choix d’une actrice cis crée la confusion.

Dans les critiques que j’ai lues et écoutées, les personnes cis ne savent plus quels pronoms utiliser, pour le personnage, pour l’actrice, pour les flashbacks où on voit Benjamin pré-transition. Et c’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle nous, militant·e·s trans, nous opposons au choix d’un·e acteur·ice cis pour interpréter un rôle trans. Le documentaire Identités trans : au-delà de l’image (2020) de Sam Feder vous en dira beaucoup plus encore sur les représentations trans et l’importance du choix d’un·e acteur·ice trans.

J’ai apprécié plusieurs moments du film, notamment les scènes où Benjamin est clairement enceint car ce ne sont pas des images que l’ont voit d’habitude au cinéma. J’en suis ressorti avec le sentiment d’avoir passé un bon moment tout de même, et pour moi, les points positifs l’emportent sur les points négatifs. Je pense pouvoir recommander ce film aux personnes trans sans avoir à les avertir de quelconques scènes dérangeantes. Ce qui est assez rare pour le noter.

Je note positivement que le film n’a pas consacré de scène à faire de la pédagogie sur la transidentité. Ces scènes sont clairement destinées à un public cisgenre, et lorsqu’elles sont présentes dans un film, donnent l’impression que le public trans n’a pas été pris en compte. Le film, basées sur des faits réels, n’est pas plus dramatique que la réalité. Les scènes de violences transphobes (qui ne sont jamais physiques) n’ont pas pour but de créer de l’empathie envers Benjamin. Contrairement à beaucoup de films sur la transidentité, ce n’est ni une histoire de coming-out ni une histoire de transition.

Ma critique est personnelle, motivée par le besoin d’écrire après avoir vu trop de critiques d’hommes cisgenres énervés sans réels arguments. Mon avis est le mien et j’invite les personnes qui l’ont vu à me contacter pour en discuter car j’aimerais beaucoup avoir d’autres avis de personnes concernées (trans ou proches).

(critique mise à jour en septembre 2021)