Représenter les transidentités autrement

Les critères du regard cis 1 à 1 (5/20)

Pour ce cinquième article détaillé, nous allons aborder le critère selon lequel le regard cis, présente les personnages trans’ comme ayant “un comportement de prédateurice / déloyal·e. À travers l’article sur le troisième critère, nous avons déjà pu voir la manière dont le regard cis fait le procès des personnes trans’ pour “usurpation” et “tromperie visuelle”. Cette fois, nous ne discuterons donc pas de ces accusations mais de la vilainisation1 des personnages trans’ au cinéma et dans l’audiovisuel de manière générale. 

Ce processus est à différencier du queer coding, pratique qui consiste à donner une esthétique queer (pour autant que cela existe, mais on pourrait le résumer à un maximum de clichés et de références culturelles dîtes queer) à des personnages de fiction, notamment lorsqu’iels sont méchant·es. C’est une pratique bien connue des studios d’animation chez Disney : Ursula dans la Petite Sirène (1989) est inspirée de Divine, une drag queen ; Hadès dans Hercule (1997), Jafar dans Aladdin (1992), le Docteur Facilier dans La Princesse et la Grenouille (2009) et même Scar dans Le Roi Lion (1994) sont perçus comme queer codés. La télévision n’est pas en reste  : la série Sherlock (2010), de la BBC, en joue avec James Moriarty. 

En glissement de cette pratique, on retrouve donc ensuite les personnages canoniquement (c’est-à-dire reconnu·es en tant que tel·les dans l’œuvre originale) LGBTIAQ+ qui endossent des rôles de tueur·euses, de prédateur·ices, d’escrocs etc. Cela peut aller de la vilaine lesbienne qui “vole” la femme d’un personnage (on pense fort à Suzanne, dans FRIENDS (1994)) jusqu’à la lesbienne tueuse en série (dans The Neon Demon (2016) ou Killing Eve (2018) par exemple). 

Plutôt que de faire une liste ici (elle serait très longue), je vous redirige vers le site tvtropes.org qui, comme son nom l’indique, regroupe des schémas fréquents de représentation, avec explications et exemples. On y trouve par exemple : “depraved bisexual”, “psycho lesbian”, “depraved homosexual”, “sissy villain”, etc2

Quand on parle des personnes trans’, l’échelle est à peu près la même. On retrouve d’abord une longue liste de femmes trans’ présentées comme les connasses de l’histoire qui abandonnent égoïstement femme et enfant(s) : la mère de Chandler dans FRIENDS (oui, encore), le personnage de Lola dans Tout sur ma mère (1999), le rôle titre de Laurence Anyways (2012) et pour remonter bien plus loin, celui de Glen or Glenda (1953). 

Puis on arrive vers les femmes trans’ délinquantes et présentées via le prisme misogyne de l’hystérie : Hedwig dans Hedwig and the Angry Inch (2001), Frank N. Furter dans The Rocky Horror Picture Show (1975) ou encore Lois Einhorn dans Ace Ventura (1994). 

Enfin, au sommet de la pyramide, on retrouve “le tueur est un travesti qui aime particulièrement s’habiller avec les peaux / vêtements de femmes décédées. On pense ici bien sûr aux antagonistes dans Le Silence des Agneaux (1991) et Psychose (1960). 

Sur ce point de la représentation des personnages trans’, nous pouvons donc noter une tendance qui vise plus généralement les personnes non-hétérosexuelles et non-cis ; les “déviant·es” à la norme de sexualité et de genre. Dans le documentaire The Celluloid Closet (1995)3, Rob Epstein et Jeffrey Friedman soulignent qu’il existe des phases dans l’histoire des représentations LGB à l’écran, côté Etats-Unis. En 1934, le Code Hayes établit des règles et censure notamment l’homosexualité. Les figures LBG deviennent alors plus compliquées à identifier et c’est à ce moment que la marge se symbolise par la criminalité (auparavant on était plutôt sur des ressorts comiques).  

Dans le contexte dans lequel nous nous situons aujourd’hui, cet historique et ce schéma de représentation à l’égard des personnes trans’, et notamment des femmes trans’, n’est pas anodin. Les mouvements TERF4 en France et à l’étranger ne cachent plus leur haine des femmes trans’ et jouent notamment sur la crainte que celles-ci devraient inspirer de par leur statut d’usurpatrices violentes. La transmisogynie n’est pas née avec le cinéma mais celui-ci entretient, avec des narrations comme celle de ce cinquième critère, un imaginaire qui met, depuis toujours, la vie des femmes trans’ en danger

On nous répète souvent, lorsque nous sommes contacté·es en tant que Représentrans, le fait que toutes les personnes trans’ ne sont pas parfaites et qu’il n’y a pas de mauvaise intention derrière le fait de vouloir une femme trans’ pour jouer une tueuse. Mais rien n’est anodin et toute représentation existe dans un contexte et dans un historique. Il est important de prendre ces paramètres en compte dans les processus de création. Ce que je dis à travers cet article,c’est que les représentations des personnes transgenres devraient être plus diversifiées, en tentant de rééquilibrer avec des représentations plus positives. Si nous ne sommes pas des personnes parfaites (une petite pensée ici pour Caitlyn Jenner qui n’a aucune hésitation à jeter sous le bus le combat des activistes trans’ à propos de la place des femmes trans’ dans le sport…), je mets en avant le fait que perpétuer cette représentation nourrit un stigmat qui a des conséquences réelles et graves sur les femmes trans’. En plus de répéter un schéma narratif vu et revu, cette vision cis fantasmée est donc dangereuse. 

Notes

1. Mon correcteur n’arrête pas de me dire que ce mot n’existe pas… Je suis convaincu que vous voyez ce que je veux dire mais dans le doute je vais donner une petite définition de ce mot : il s’agit d’un processus par lequel une personne, réelle ou fictive, est présentée par une narration et un regard subjectif comme étant le-a méchant-e de l’histoire. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’iel l’est objectivement mais le but est qu’iel soit perçu-e par le public en tant que tel-le.

2. Tous les tropes en rapport avec la communauté LGBTIAQ+ sont listés ici : https://tvtropes.org/pmwiki/pmwiki.php/Main/QueerAsTropes

3. De la même manière que Disclosure (2020) reprend l’historique des représentations trans dans le cinéma américain, The Celluloid Closet fait ce travail avec les représentations LGB. Le documentaire est tiré d’un livre du même nom : The Celluloid Closet, Vito RUSSO, 1981.

4. Trans Exclusionary Radical “Feminist” : acronyme désignant des groupes dont les membres se disent féministes tout en excluant les personnes trans’, et plus particulièrement les femmes trans’, et en les stigmatisant de manière violente.

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