Statistiques sur les représentations des transidentités au cinéma 2023

Parce que nos identités sont encore marginalisées, pathologisées, surmédicalisées et scrutées jusqu’à dans les bases de données de films, il est essentiel de rendre compte de cette violence et de la dénoncer, avec les outils à notre disposition.

Les outils utilisés

En premier lieu, j’ai utilisé la base de données IMDb pour obtenir des données générales sur les films étiquetés « transgender » et ceux étiquetés « non-binary ». Puis, j’ai analysé le genre de film produit, les thèmes abordés, depuis les premiers films à maintenant, pour voir se dessiner les tendances dans les représentations existantes. Ensuite, j’ai réalisé le même travail en différenciant les films qui abordent le sujet des femmes trans, ceux qui abordent le sujet des hommes trans et finalement ceux qui abordent le sujet des personnes non-binaires.

Pourquoi IMDb ? Parce que l’Internet Movie DataBase est une base de données en ligne sur le cinéma mondial. Non seulement, l’accès aux informations est gratuit, mais en plus presque tous les films y sont référencés avec un grand nombre d’informations.

En 2020, puis en 2021, nous avons réalisé une étude sur les films étiquetés « transgender » dans la base de données IMDb. Elle nous a ainsi permis de montrer statistiquement la prévalence du cis gaze dans les films réalisés jusqu’à présent. De plus, cette étude sur deux ans a permis de montrer que le sujet n’est pas aussi récent que l’on pourrait le croire, qu’il y a des évolutions positives dans la représentation, mais que la transidentité reste principalement traitée de façon sérieuse (dans des documentaires et des drames).

Le genre des films

Plus de deux ans après la dernière étude, les chiffres ont évolué car de nouveaux films sont sortis et/ou ont été ajoutés à la base de données. Les ajouts de films récents et moins récents ont donc fait évoluer le chiffre de 675 à 968 films référencés avec l’étiquette « transgender » (au 24 novembre 2023). Toutefois, les genres de films les plus représentés restent ceux du « drame » et du « documentaire », le 3e genre le plus présent est toujours celui de la comédie.

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Drames
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Documentaires
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Comédies
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Romances
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Policer
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Thriller

Qu’est-ce que ces chiffres nous disent ?

Il y a toujours plus de drames, de comédies et de films policier (crime) depuis 2021. Donc, plus de fictions et moins de documentaires. Seulement, les comédies rient plus souvent du personnage trans qu’avec lui, ce qui fait que cette augmentation n’est pas forcément un signe positif.

Depuis l’année 2001, 10 films et plus sortent par an étiquetés « transgender ». 2022 fut l’année avec le plus de films, 62 oeuvres sont sorties cette année-là. 2017 est la seconde année la plus prolifique avec 51 films. Pour des raisons très probablement liées au COVID, en 2020, seuls 40 films sont sortis. En 2023, 38 films sont sortis jusqu’à maintenant.

Au moins 25 films sont encore en tournage, pre- ou postproduction, et c’est sans compter les dizaines de films pas encore accessibles depuis la France, comme les 4 films d’Alice Maio Mackay.

Mais plus que les chiffres, les mots…

Gay

Lesbian

LGBT

Female nudity

Male nudity

Female Topless Nudity

Female Rear Nudity

Nudity

Homosexual

Drag queen

Prostitute

Gender

Mother-son relationship

Friendship

Murder

Parmi les 15 mots-clés revenant le plus souvent, qu’il fait sens d’analyser, on retrouve par 5 fois des étiquettes liés à la nudité. C’est, une fois de plus, la preuve que le cis gaze s’impose sur les corps trans. Cela renseigne également sur le genre de films dans lesquels évoluent les personnages trans : des films +16 ans, avec des scènes de sexe.

On retrouve d’autres étiquettes plus positives, comme celles liées à la communauté, telles « lgbt » et « friendship ».

Par contre, entre considérer qu’il y a des personnages trans dans les films « gay » et soupçonner que les utilisateur·ices d’IMDb taguent de « gay » et « homosexual » les films où il s’agit en réalité de personnages trans, il n’y a qu’un pas.

L’étiquette « murder » et celles liées à la famille rappellent que les récits trans au cinéma sont souvent emprunts de violence, de mort et de relations difficiles avec les parents.

Les femmes trans, hommes trans et personnes non-binaires sont-iels traité·e·s de la même façon ?

Les femmes trans au cinéma

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films

Il y a 365 films étiquetés comme « transgender woman » sur l’IMDb. 

Le genre le plus représenté est celui du drame. Le deuxième est celui de la comédie.

Les étiquettes associées

Sex scene

Male Frontal Nudity

Female Frontal Nudity

Transphobia

Violence

Death

Pubic Hair

Family relationships

Father Son Relationship

Husband Wife Relationship

Les tags montrés plus haut sont ceux qui se distinguent de ceux accolés au mot-clé « transgender ». Comme les années précédentes, on retrouve associé à l’étiquette « transgender woman » en majorité la nudité, en relation avec les mots-clés précédemment cités, et notamment le mot-clé « sex scene ». Cependant, il y a moins d’étiquettes ouvertement transphobes telle « transsexual ». Mais demeure une importante fétichisation de la nudité chez les personnes transféminines spécifiquement, ainsi que de leur mort.

En revanche, concernant les étiquettes relationnelles, à moins de regarder chaque fiche de film individuellement, difficile de savoir si le « fils » ou le « mari » du mot-clé est une femme trans ou un homme cis.

Les hommes trans au cinéma

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films

Il y a 67 films étiquetés comme « transgender man » sur l’IMDb.

Le genre le plus représenté est celui du drame. Le deuxième est celui du documentaire.

Les étiquettes associées

Gender

Bare Chested Male

Female Nudity

Gender transition

Gay

Friendship

Lesbian

Female Female Kiss

Gender Identity

Transgender Woman

Cette fois, les étiquettes qui reviennent le plus souvent concernent moins la nudité totale, malgré le mot-clé « female nudity », mais partielle comme avec l’étiquette « bare chested male », qui met certainement l’accent sur les chirurgies d’affirmation de genre. Celle-ci s’additionne aux étiquettes « gender » et « gender transition ». En outre, il n’est pas fait mention de travail du sexe ici.

Par contre, l’étiquette « lesbian » revient proportionnellement plus souvent que chez les femmes trans, ce qui met l’accent sur le fort lien entre les personnes transmasculines et les lesbiennes, avec le risque que ces deux communautés soient confondues. Certaines personnes transmasculines sont également des lesbiennes, souvent butch ou stud, mais il ne s’agit pas, dans ces films, de la majorité. Je ne prends pas ici en compte la dimension politique de ces termes. Les hommes trans et personnes transmasculines restent donc, dans l’imaginaire des utilisateur·ices d’IMDb, des femmes lesbiennes. 

Les personnes non-binaires au cinéma

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films

Il y a 49 films étiquetés comme « non-binary » sur l’IMDb.

Le genre le plus représenté est celui du drame. Le deuxième est celui de la comédie.

Les étiquettes associées

Gender

Lesbian

LGBT

Female Protagonist

Flashback

Friend

Male Nudity

La situation des représentations non-binaires

L’augmentation de l’étiquette « non binary » est notable. 49 longs-métrages sont désormais étiquetés comme tels, soit 38 de plus que lors du dernier recensement en 2021. 16 d’entre eux sont également étiquetés comme « transgender ». 

Le plus ancien film date de 1968 et présente un personnage genderqueer au Japon. Le plus récent est en pré-production. En 2023, 7 films ont été tagués ainsi jusqu’à maintenant.

Pour donner un ordre d’idée, le film le plus noté est Elémentaire, un film d’animation Pixar de 2023 qui comporte un personnage acqueux non-binaire. Le deuxième le plus noté est le drame lesbien Tár, de 2022, où un·e élève non-binaire du personnage principal la confronte dans une scène.

Si l’on compare les autres mots-clés, on retrouve en majorité « lesbian », « lgbt », « transgender ». Soit des mots-clés majoritairement positifs, mettant en avant le genre, l’amour ou encore la communauté. L’étiquette « female protagonist », sert ici moins à mégenrer le personnage non-binaire, qu’à rappeler que les personnages non-binaires ne sont pas encore maîtres de leurs propres récits. Quant à l’étiquette « lesbian », elle rappelle le risque, comme chez les personnes transmasculines, que seul le terme « lesbienne » puisse désigner les relations qu’entretiennent les personnes non-binaires dans l’imaginaire. 

Et les films en français dans tout ça ?

Si la base de données anglophone IMDb n’est pas la plus appropriée pour réaliser des statistiques sur des films en français, reste qu’elle permet de dégager quelques chiffres. Il y a au total 26680 films en français sur l’IMDb.

61 films en français sont tagués comme « transgender ». Le plus ancien date de 1954 et il s’agit d’Adam est … Eve. Le plus récent est L’arche de Noé sorti en 2023. Le sujet n’est donc pas neuf dans le cinéma français.

Côté personnages non-binaires, 2 sont tagués comme « non-binary ». Il s’agit de La vénus d’argent (2023) et de Trois nuits par semaine (2022). La non-binarité dans le cinéma francophone reste ainsi marginale, sous-estimée et très récente.

Les évolutions positives

Par rapport à 2020, moins de mots-clés misérabilistes sont utilisés pour décrire les films avec des personnages transmasc et des hommes trans. Les tags comme « crying », « breast removal » et « rape » apparaissent de façon négligeable désormais.

Avec l’édition importante qui a eu lieu sur IMDb, les étiquettes « sex change », « mtf », « transexual » et « transsexual » ont massivement diminué.

Les biais de la base de données utilisée

Pour conclure, il faut se souvenir que la base de données IMDb et ses mots-clés comporte de nombreux biais.

Les personnes ayant rentré les données sur ces films sont très probablement en majorité des personnes cis, y compris pour les étiquettes associées. A l’inverse, j’ai moi-même contribué à cette base de donnée à hauteur de plusieurs centaines de films.

De plus, le mot-clé « transgender » est associé à des films où la transidentité n’est pas au centre du film, voire n’est qu’une simple blague. Il est également associé à des films dont le sujet n’est pas la transidentité d’un personnage, bien qu’il y soit question de changement de genre, de sexe, comme lors d’expériences scientifiques ou de possession. De même, le mot-clé « trans » remplace parfois « transgender », ce qui brouille les statistiques.

En outre, je n’ai pas effectué de recherches approfondies sur les enfants et ados trans, étiquetés « transgender child » ou encore « transgender boy/girl ». 

L’objectif de cette base de données n’est donc pas d’informer sur la représentation trans et sa qualité, mais de faire un état des lieux des films potentiellement trans, existants et à venir.

Pourquoi les séries comme “One Day at a Time” sont importantes — une interview avec Gloria Calderón Kellett

Le 7 janvier 2017 sort sur Netflix la première saison de la série One Day at a Time, développée par Gloria Calderón Kellett et Mike Royce. Inspirée de la série de 1975 du même nom de Norman Lear, elle suit une famille cubo-américaine monoparentale. En saison 1, le personnage d’Elena, la fille de la famille, fait son coming out lesbien entraînant un arc narratif sur l’acceptation de son orientation par sa mère et sa grand-mère. Un an plus tard, la saison 2 nous permet de retrouver Penelope, sa fille Elena et son fils Alex, leur grand-mère Lydia et leur voisin et propriétaire, Schneider — mais pas seulement. C’est ainsi qu’est introduit le personnage de Syd, futur·e petit·e ami·e d’Elena.

Syd se présente immédiatement comme étant non-binaire et annonce qu’iel utilise les pronoms neutres they/them (traduit par iel dans les sous-titres et le doublage). Bien que la famille Alvarez se trouve légèrement déconcertée — ce qui donne lieu à une scène pleine d’originalité et de comédie — elle comprend vite les enjeux pour les personnes concernées et, surtout, ne les mégenrent pas ni ne font preuve d’une quelconque malice, y compris la grand-mère, bien que très religieuse.

Le succès de la série One Day At A Time

C’est cet aspect positif et bienveillant qui fait le succès de la série. En effet, lorsqu’en 2019 Netflix annule la série, les fans se mobilisent : hashtags, campagnes sur Twitter, tout est bon pourvu qu’ils reviennent. Et ça n’y manque pas : le 27 juin 2019, la co-showrunner Gloria Calderón Kellett annonce sur Twitter que oui, “WE’RE BACK!”. C’est PopTV cette fois-ci, chaîne du câble, qui leur commande 13 épisodes. Mais, encore une fois, le sort est cruel : la pandémie du Covid-19 frappe et force l’arrêt du tournage. 6 épisodes et un épisode animé sortiront, avant que la série soit à nouveau arrêtée fin 2020.

Depuis son apparition dans l’épisode 3 de la saison 2, Syd apparaît un total de 11 fois sur 32 épisodes. C’est un personnage que l’on pourrait appeler fan favorite, préféré·e des fans, et sa relation avec Elena devient rapidement l’un des atouts de la série.

Interview de la showrunner Gloria Calderón Kellett 

Gloria Calderón Kellett, co-showrunner de la série, a gentiment accepté de répondre à mes questions sur ce personnage et son approche quant à l’écriture d’un personnage non binaire en tant que personne cisgenre.

Sibylle Piquet: One Day at a Time compte beaucoup pour moi. Cette série était vraiment spéciale et m’a énormément appris. Ça a aussi été la première fois que j’ai vu une personne non binaire à l’écran. J’en avais entendu parlé et en connaissais une, mais ma propre non binarité ne m’est parue évidente que lorsque j’ai vu Syd. Pourriez-vous m’en dire un peu plus sur comment ce personnage a vu le jour et pourquoi c’était important pour vous en tant qu’alliée cisgenre?

Photo gracieusement fournie par Gloria Calderón Kellett.

Gloria Calderón Kellett: One Day at a Time était surtout une
représentation de ma propre famille et j’ai pu faire cela pour quelques
saisons. Quand il a été temps de trouver un.e partenaire pour Elena,
nous avons eu la chance d’avoir beaucoup de scénaristes LGBTQ qui nous
ont éduqué sur les membres de la communauté qui étaient aussi
sous-représentés. C’était la première fois que j’entendais parler de non
binarité et cela me semblait être quelque chose que je ne connaissais
ni ne voyais et donc quelque chose que nous pouvions mettre en avant
pour permettre à ces personnes de se sentir vues. Nous avons donc fait
des recherches et parlé à des personnes non binaires et ensuite avons
décidé de faire de Syd un personnage qui l’était aussi.

Il y a un arc-en-ciel d’identités non-binaires et c’est important de le mettre en lumière aussi.

SP: La féminité subtile de Syd malgré sa non binarité est l’une des raisons principales pour lesquelles je me suis senti.e proche et me suis vu.e en ellui, ce qui est, je le sais, le cas pour beaucoup de personnes. Avez-vous parlé avec des interprètes et/ou scénaristes non binaires qui auraient peut-être souligné l’importance de personnes non binaires non-androgynes/pas “exactement-au-milieu” à l’écran, ou est-ce que l’idée générale que vous aviez du personnage depuis le début a fini en heureux hasard? 

GCK: Tout cela, tout cela est arrivé. D’après ce que nous ont dit les scénaristes LGBTQ dans la writer’s room, il faut un peu de temps pour développer son identité en tant qu’adulte, donc avoir Syd à ce point à 100% ne leur semblait pas exact. Vous savez, iel est un personnage assez jeune, donc nous voulions montrer leur chemin et montrer qu’iel aime ses cheveux longs et expérimenter avec du maquillage de temps en temps. Ces scénaristes nous ont expliqué qu’il y a un arc-en-ciel d’identités non binaires et que c’était important de le mettre en lumière aussi.

 

SP: Vous avez fait un épisode complet sur l’importance des pronoms lors de la deuxième saison, ce qui a poussé pas mal de personnes que je connais à ajouter leurs pronoms dans leur bio sur internet. Dans un monde où les personnes trans et non binaires sont souvent harcelées pour cette raison, réalisiez-vous l’influence que cet épisode aurait et combien il compterait pour la communauté?

GCK: Je suis heureuse de l’entendre! C’était en effet ce que nous espérions — c’est ce que nous espérons avec tout ce que nous faisons, humaniser les gens. Ça me fait plaisir de l’entendre et je suis heureuse que cela ait été le résultat !

 

SP: Votre nouvelle série With Love, sortie sur Prime Video en décembre dernier, compte aussi un personnage trans non binaire parmi sa distribution, Sol, joué.e par Isis King, cette fois un.e interprète trans. De One Day at a Time à With Love, votre approche a-t-elle changé d’une autre façon, de l’écriture à la production?

GCK: Il m’a semblé que plus je m’ancrais dans cette forme de récit, plus je réalisais que c’était important pour les gens de se voir correctement représentés à l’écran. Même si l’actrice qui jouait Syd est charmante, elle est, de ce que je sais, une femme cis et hétérosexuelle donc cette fois-ci je voulais faire en sorte de réellement représenter ce que nous montrions a l’écran. Avoir Isis, qui utilise les pronoms elle/iel, nous semblait important. Cela nous a paru être un approfondissement de ce monde d’identités et représentation correcte.

Gloria Calderón Kellett via Instagram

With Love a pour but de célébrer et montrer à quoi ressemble la vie dix ans dans le futur quand le trauma et le coming out et les difficultés sont un peu plus derrière nous.

SP: Puisque nous parlons de With Love, outre les pronoms de Sol et son identité non binaire annoncés au début, la série ne s’éternise pas dessus ni ne tombe dans un pathos de coming out tragique que nous avons tous vu tellement de fois. Était-ce une décision volontaire?

GCK: Très volontaire, oui. Cette série a pour but de célébrer et montrer à quoi ressemble la vie dix ans dans le futur quand le trauma et le coming out et les difficultés sont un peu plus derrière nous. À quoi cela peut-il ressembler pour donner de l’espoir aux plus jeunes? De voir comment est l’autre côté, une fois que les relations ont guéri et évolué parce que tout le monde a été honnête sur son identité et qu’elle a été accueillie avec amour. Cette famille est très aimante et compréhensive. Bien sûr il y a eu quelques difficultés par le passé, dont iel parle dans la série, notamment ses parents ayant eu un peu plus de mal, mais c’est agréable de voir que tout ce qu’il reste est de l’amour.

 

SP: Le travail de consultant est presque inexistant en France, donc c’est intéressant pour nous de voir ce qui marche et ne marche pas, ainsi que le lien entre une bonne représentation à l’écran et des personnes trans qui consultent. Est-ce que, vous-même, vous aviez des consultants queers qui vous aidaient? Et comment avez-vous travaillé avec la communauté trans pour raconter ces histoires?

GCK: Nous avions des scénaristes! J’adore les consultants mais les consultants vont et viennent. C’était très important pour moi d’avoir des scénaristes qui étaient présents tous les jours et pouvaient partager leur vécu avec nous et faire en sorte que nous fassions les choses bien et me tenir responsable. Donc, oui — c’est très important et nous avions plusieurs scénaristes queers et un·e scénariste trans qui est latin·e et noir·e et capable de réellement comprendre et expliquer le chemin de Sol.

 

Les séries comme One Day at a Time et With Love sont en effet importantes, de par leur impact sur la société et, surtout du fait que, les personnes concernées étant incluses dans le processus créatif, elles font preuve d’une authenticité rafraîchissante.

 

One Day at a Time, saisons 1-3, sont disponibles sur Netflix et With Love saison 1 sur Prime Video.

Vous pouvez retrouver Gloria sur Twitter @everythingloria et Instagram @gloriakellett.

Les propos ont été recueillis et traduits par Sibylle Piquet.

Découvrez quels critères du cis gaze sont présents dans les films

Une nouvelle page a fait son apparition sur le site ! Vous pouvez y accéder directement depuis la page d’accueil, en faisant défiler la page après l’affichage de l’annuaire ou depuis le menu en haut de cette page en survolant « Notre travail » et en cliquant sur « Analyse du cis gaze dans les films ».

Qu'est-ce que le cis gaze ?

Le cis gaze ou regard cis est défini ainsi : « Le cis gaze est une notion qui caractérise la manière dont les personnes trans’ sont représentées, au cinéma, afin d’intriguer le public cis et le regard cisnormé tout en ne remettant pas en question l’hégémonie de ce regard et en se conformant à des stéréotypes établis à propos de l’existence tolérée des personnes trans’ dans la société. »

Charlie Fabre, co-fondateur de l’association, a abordé le regard cis dans de nombreux articles que vous pouvez retrouver sur notre page dédiée.

Un répertoire filtrable

Vous pouvez afficher les films selon leur titre, année de sortie ou leur score, de la note la plus basse à la note la plus haute ou inversement. À savoir qu’une note élevée indique un cis gaze (ou regard cis) peu présent dans le film. Plus la note est basse, plus le cis gaze est présent.

Vous pouvez également filtrer pour n’afficher que les films comportant un certain critère. Ou encore n’affiche que certains scores, en-dessous ou au-dessus de 1, 5, 10, 15, dans la limite de 20 bien évidemment.

Pour rappel, les critères du cis gaze sont les suivants. Le personnage trans :

  1. s’habille / se maquille
  2. est félicité·e car iel rentre dans une norme ciscentrée
  3. fait face à une remarque qui souligne le fait que nous n’aurions jamais pu deviner qu’iel était trans’
  4. est travailleuse·eur du sexe (et ses collègues sont également trans’)
  5. a un comportement de prédateurice / est déloyal·e
  6. est appelé·e par son deadname / mégenré·e volontairement
  7. suit un parcours médical et l’on peut voir ses prises d’hormones et / ou des opérations chirurgicales / esthétiques liées à son parcours de transition
  8. a pour préoccupation centrale ou unique sa transition
  9. voit ses organes génitaux exposés à l’écran et / ou à d’autres personnages sans son consentement
  10. cause la détresse émotionnelle de l’un·e de ses proches
  11. est la victime passive d’une agression
  12. se fait du mal, de quelque manière que ce soit
  13. voit son identité remise en question par un personnage cis
  14. voit son identité validée par une analyse psychiatrique
  15. imite un personnage cis pour performer son genre
  16. n’a aucune interaction avec d’autres personnages trans’
  17. a des relations amoureuses et / ou sexuelles exclusivement hétérosexuelles
  18. se regarde entièrement nu·e dans un miroir
  19. détourne son regard de son propre corps mais reste exposé·e à au moins un autre regard
  20. est joué·e par un·e acteur·ice cis (surtout si son genre n’est pas conforme à celui du personnage)

Un répertoire en évolution

Nous ajoutons au fur et à mesure les films, il est également possible que nous modifions avec le temps les analyses présentes sur les films. En effet, comme l’explique Charlie Fabre dans ses articles : les critères du cis gaze sont une grille de lecture des œuvres. La réflexion qui s’ensuit est personnelle, et l’interprétation est donc subjective.

Au cinéma, les hommes cis ont porté plus d’enfant que les hommes trans

Comment la grossesse des hommes est-elle représentée ?

La question peut paraître farfelue surtout si on ne sait pas déjà que des hommes trans peuvent faire le choix de porter leur enfant. Mais elle ne l’est pas tant que ça car le sujet a été abordé dans un bon nombre de films. Le seul hic dans tout ça : ce ne sont que des hommes cisgenres qui portent des enfants.

Des hommes cisgenres qui donnent naissance ?

Dans la fiction, oui. En 2005, un épisode de Grey’s Anatomy présente un homme cisgenre avec un ventre comme celui d’une personne enceinte. Ce n’est pas une grossesse mais une tumeur bénigne. Des décennies auparavant, en 1973, Marcello Mastroianni porte l’enfant qu’il a avec Catherine Deneuve. Une grossesse inexpliquée qui fait beaucoup parler. Aucune mention des personnes trans dans ces œuvres, dans aucune des œuvres qui racontent ce type de grossesse.

Ce n’est que très récemment que la fiction s’est intéressée aux grossesses des hommes trans.

Rio Gutierrez est un patient dans The Good Doctor, interprété par Emmet Preciado (acteur trans)

La série The Good Doctor a diffusé un épisode avec un homme trans étant enceint, et c’est la première du genre à le faire. Au cinéma, un film canadien indépendant et financé par une campagne de crowdfunding a abordé le sujet frontalement : Two4One (2015). Un deuxième film sort en salles dans quelques jours : A Good Man, réalisé par Marie-Castille Mention Schaar, avec Noémie Merlant dans le rôle principal. Je vous en parlais déjà il y a quelques mois.

Dans cet article, nous allons donc nous intéresser aux représentations des hommes enceints au cinéma, ce qu’elles disent de ce que la société pense de ces grossesses et l’impact que ces représentations ont sur les personnes cisgenres comme sur les personnes trans.

Au cinéma, les hommes cis ont porté plus d’enfant que les hommes trans

J’ai utilisé la base de données IMDb pour extraire les informations sur les films (long-métrage) ayant les tags suivants : « male pregnancy » et « pregnant man ». Il y a 28 films dans cette base de données qui portent ces étiquettes. Le premier est sorti en 1959, le plus récent date de 2020 (et non, ce n’est pas A Good Man).

Les biais de cette base de données sont les suivants : les données ont été probablement renseignées par des personnes cisgenres, les quelques films avec ou par des personnes trans abordant le sujet clairement n’utilisent pas ces tags (comme Seahorse avec Freddy McConnell, ou A Deal With The Universe, de Jason Baker). Les seuls autres films abordant la thématique frontalement ne sont pas non plus étiquetés avec ces termes  (Two4One et A Good Man). Le total de ces films pourrait donc passer à 32 si on les incluait.

Arnold Schwarzenegger a été un robot… et a porté son enfant

Ce qui est intéressant avec les 5 films les plus vus* recensés dans cette base de données, c’est que 3 sont sortis avant les années 2000. On s’intéresse à ce sujet depuis un moment, sans jamais considérer les parentalités trans…

On peut noter également que quatre de ces films sont des comédies. Seul un des films a pour histoire centrale la grossesse : Junior (1994) avec Arnold Schwarzenegger.

  1.       Junior (1994)
    Comédie, Romance, Science-Fiction
  2.       Zoolander No. 2 (2016)
    Action, Comédie
  3.       Enemy (1985)
    Action, Drame
  4.       Le tout nouveau testament (2015)
    Comédie, Fantastique
  5.       Confidences sur l’oreiller (1959)
    Comédie, Romance

“Un homme enceint” n’est pas le début d’une blague connue, et pourtant…

Si les données que j’ai extrait n’incluent pas les rares films par ou avec des personnes trans, les données nous permettent de voir comment le sujet est traité par les personnes cis dans les films « mainstream”.

Aucun de ces films écrits, réalisés et interprétés par des personnes cis ne font mention des personnes trans. Dans l’imaginaire de ces personnes, et donc dans l’imaginaire du public, un homme enceint reste quelque chose de fictif, d’impossible, et surtout, comme en témoigne la prévalence des comédies (68%) cela reste quelque chose de comique, une source presque intarissable de rires.

Qu’un homme porte un enfant n’est pas totalement inimaginable. Ces 28 films en sont la preuve. L’idée n’est pas récente d’ailleurs, Jacques Demy fait porter un ventre de personne enceinte à Marcello Mastroianni face à Catherine Deneuve dès 1973. Cependant, il est impensable que cette grossesse soit « naturelle » : elle est le produit d’une erreur de la science (Junior) ou une grossesse d’un être alien (Enemy).

Ces grossesses ne sont donc pas à prendre au sérieux ni à envisager dans nos propres familles. Le film de Jacques Demy porte bien un message pro-avortement, écolo et propose même une satire de la publicité, il en reste que la grossesse de Mastroianni n’est pas ancrée dans la réalité. Elle est encore moins ancrée dans la réalité des transidentités.

Des hommes trans accouchent toutes les semaines

En 2017, le système de santé australien révèle que 54 hommes trans ont accouchés dans le pays. 54 personnes qui accouchent en un an, cela fait qu’un bébé naît toutes les semaines d’un homme trans en Australie. Si on rapporte cela au nombre de naissance en France (avec les chiffres de 2017 également), on pourrait compter près de 140 bébés nés d’hommes trans cet année-là.

2017 n’était pas la première année à voir des hommes trans accoucher : Thomas Beatie a “choqué” le monde entier en 2009 lorsque sa grossesse a été médiatisée. Un fait notable car les réseaux sociaux n’étaient pas aussi viraux qu’aujourd’hui comme le relève Freddy McConnell dans son article sur l’expression “pregnant man”.

Thomas Beatie a effectivement été le premier homme enceint dont la grossesse a été autant médiatisée mais il est loin d’être le premier ni le dernier homme enceint. Outre Freddy McConnell lui-même, de nombreux autres hommes donnent naissance tous les ans.

Mais le grand public n’en a vraisemblablement pas connaissance car en 2020, Three Pregnant Men, un documenteur (ou fauxcumentaire) est sorti. Ce dernier raconte les grossesses surprenantes de trois hommes cisgenres. Leurs grossesses sont des évènements spectaculaires et surtout : impensables.

Or Freddy McConnell a fait de sa première grossesse un documentaire (et documente la seconde en ce moment même sur son Instagram), Jason Baker en a fait un documentaire, Precious et Myles Brady Davis ont été le sujet d’une émission au côté d’un autre homme trans, etc. Les hommes trans et les personnes non-binaires peuvent donc porter leurs enfants. C’est possible et réel. Contrairement à ce qu’une certaine encyclopédie nous laisse croire.

Les 28 films avec des hommes cisgenres ne permettent pas au grand public de se faire une image claire et concrète de ces grossesses. Pour les spectateur·ice·s, un homme enceint est très loin d’être quelque chose de réaliste, de tangible, de possible. Pourtant, des hommes trans accouchent toutes les semaines.

Est-ce que c’est si grave que ça ?

L’invisibilisation (active ou passive) des hommes trans enceints dans la fiction comme dans les médias contribue à plusieurs choses :

1. L’ignorance des possibilités de procréation pour les personnes trans

Freddy McConnell en a témoigné, et comme nombre d’autres hommes trans enceints, il ne savait pas qu’il était possible de porter son enfant avant d’avoir connaissance de la grossesse d’autres hommes trans. Dans son article du 22 février 2021, il parle même du fait que le traitement de la grossesse de Thomas Beatie avait eu l’effet contraire de ce que la visibilité peut avoir : les articles avaient présenté l’information comme si sensationnelle et hors du commun qu’elle en était devenu impossible pour Freddy.

2. L’impossibilité de concevoir les parentalités trans pour les médecins

Les professionnel·le·s de santé ne conçoivent pas que les hommes trans puissent porter leurs enfants, ou que les femmes trans puissent utiliser leurs gamètes. En France, un rapport de l’Académie de Médecine rendu en 2014 présentait même cela ainsi : “procréer en exprimant biologiquement un sexe qui n’est pas celui de la personne ni sans doute celui du futur parent.”. Ils insistent donc sur le rôle social (père ou mère) des parents et les gamètes, comme si les deux étaient intrinsèquement liée. Laurence Hérault (anthropologue et maîtresse de conférences de l’université d’Aix-Marseille) précisait pourtant que si une femme trans utilisait ses propres gamètes pour la procréation de son enfant, cela “ne fait pas d’elle un père”.

Ce rapport de l’Académie de Médecine conclut ainsi : “Les conséquences pour l’enfant de ces nouveaux modes de procréation sont inappréciables actuellement. Si des enfants devaient naître dans ces circonstances, la plus grande attention devrait être accordée à leur développement et à leur vécu.”

Les enfants des personnes trans devraient donc être étudiés et suivis, sous-entendant que les capacités des personnes trans à être parents ne seraient pas les mêmes que les personnes cisgenres.

3. La désinformation médicale des personnes trans

Dans le monde entier, les professionnel·le·s de santé continue de désinformer leurs patient·e·s avec les deux mensonges suivants : la testostérone rendrait stérile (alors que ce n’est même pas un contraceptif) et augmenterait les risques de cancer de l’utérus. Ils les incitent ainsi à être opéré et donc, définitivement stériles.

Le documentaire Coby (2018) montre des images de Jacob, un homme trans, face à des médecins lui disant ces choses-là. Ce documentaire a fait le tour du monde et a été montré dans plusieurs dizaines de festivals, dont Cannes, diffusant ainsi très largement cette désinformation.

4. L’absence de protection légale pour les parents trans

Dans la réalité, le sujet des parentalités trans est un sujet complexe car il mêle la biologie, la législation et les choix individuels des personnes trans. Selon les parcours de transition, les nationalités, les pays de résidence, l’accès à la parentalité peut être très, très compliqué.

Lorsqu’il est possible légalement en France, le parcours est complexe et lourdement encadré. Prenons l’exemple d’un couple composé d’un homme transgenre et d’une femme cisgenre. Si l’homme trans ne souhaite pas porter l’enfant et a obtenu son changement de genre à l’état civil, il est possible de passer par la voie légale et d’obtenir une PMA en France. Mais cela dépendra des professionnel·le·s des CECOS (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains) où le couple fait sa demande, et surtout, leur enfant pourra subir un suivi jusqu’à ses 18 ans.

Récemment, l’émission Les Pieds sur Terre a donné la parole à Ali et François, un homme trans et un homme cis, qui ont été tous les deux reconnus pères de leur enfant par le tribunal. Car oui, ils ont dû passer devant un tribunal. Mais ce cas est pour l’instant une exception. > Écouter Ali dans l’émission du 3 février 2021

La loi bioéthique qui a récemment été votée ne prévoit pas un accès à la PMA pour les hommes trans, ni même aux femmes trans. Jena Selle en parlait dans son discours lors d’un rassemblement pour la PMA pour tou·te·s, et dans cette longue interview DataGueule sur les transparentalité.

Pour aller plus loin :

*ayant le plus grand nombre de votes dans la base de donnée

Le regard cis dans A Good Man (2021)

À l’occasion de la sortie de A Good Man le 13 octobre prochain, il est intéressant de s’intéresser au film par l’approche du « regard cis » développé par Charlie Fabre. En effet, j’ai regardé le film en ayant en tête les représentations trans passées. C’est-à-dire : les clichés, les fanstasmes cis, les facilités que prennent souvent les auteur·ice·s et réalisateur·ice·s cis. 

En se basant sur les travaux de Nissa Mitchell et Julia Serano, Charlie Fabre a défini 20 critères pour évaluer le regard cis dans un film. Vous pouvez les retrouver dans son article, ou dans chacun de ses articles détaillant chaque critère et son application.

De ces 20 critères, A Good Man affiche un score de 16/20, quand Girl (2018) atteint un un score de 6/20, Tomboy (2011) est à 9/20, Une Femme Fantastique (2017) est à 12/20. Plus la note est basse, plus le regard cis est présent.

Les critères qu’on retrouve dans A Good Man

  • Le personnage est désigné par son deadname et / ou mégenré volontairement
  • Le personnage suit un parcours médicalisé et nous pouvons voir la prise d’hormones et / ou les opérations
  • Le personnage est montré comme la cause d’une détresse émotionnelle chez l’un·e de ses proches
  • Le personnage n’a aucune interaction avec d’autres personnages trans’
  • Le personnage a des relations amoureuses / sexuelles hétérosexuelles
  • Le personnage est joué par un·e acteur·rice cis

Ce score témoigne d’un cis gaze peu présent par rapport à aux autres films.

Analyse du cis gaze dans les images et les mots

La transidentité de Benjamin a été la cause de détresse émotionnelle chez certains de ses proches, son choix de porter son enfant est également la cause d’une certaine détresse pour son frère.

Sa transition est illustrée par les images de sa copine qui lui injecte de la testostérone. Il y a aussi une scène où une chirurgienne explique les étapes d’une hystérectomie. Cependant, il n’y a pas de détails graphiques, à la différence Girl et son explication des différentes opérations pour le personnage de Lara…

Il est également mégenré volontairement par sa mère (dans une seule scène). Son prénom de naissance est lui aussi révélé lors d’un flashback montrant sa rencontre avec sa compagne.

Benjamin est également victime de deux agressions verbales. La première étant celle de son frère qui ne comprend pas. La deuxième étant lors de son coming-out à son meilleur ami. Ce dernier ne comprend pas non plus et en plus de cela, se sent trahi. Benjamin répond à tous les deux, et finit par exprimer sa transidentité avec fierté. En ce sens, le critère du personnage trans qui subit une agression de façon passive n’est pas dans ce film.

Enfin, il n’a pas d’interactions avec d’autres personnages trans, il est dans une relation hétérosexuelle et est interprété par une actrice cisgenre.

Ce que A Good Man apporte aux représentations trans

Cependant, à la différence de beaucoup d’autres films, s’il se regarde dans le miroir, c’est lors d’actes du quotidien. Il n’est pas non plus montré entièrement nu. Il n’est pas montré comme souffrant de sa transidentité ou de sa transition. Il n’est pas « validé » par quiconque. Il n’est pas félicité non plus pour son apparence, ses choix vestimentaires ou ses activités « masculines ».

Il est même rayonnant de bonheur quand il reçoit l’avis favorable du tribunal pour son changement de marqueur de genre sur ses papiers d’identités. Il est affirmé dans son genre par sa compagne. Il affirme que son désir de porter son enfant n’est pas un sacrifice. Cela ne remet pas en question son identité d’homme. Il dit être fier de son identité trans et de son chemin parcouru.

Les images et les mots montrent la transidentité de Benjamin d’une façon positive. Lorsque lui et sa compagne se posent des questions sur leur capacité à être parent, il est rappelé que c’est un questionnement par lequel passe toute personne qui va devenir parent.

Premier film à aborder le sujet ainsi

En excluant le choix d’une actrice cis et les conséquences que cela a en termes de maquillage et d’effets spéciaux, la représentation de la transidentité est donc rafraîchissante. Car ce n’est pas la première fois que le cinéma aborde la grossesse d’un homme trans. Two4One (2014) aborde la grossesse accidentelle d’Adam alors qu’il commençait à planifier sa « dernière » opération. La « révélation » de la transidentité d’Adam se fait après 20 minutes de quiproquos (censés être) comiques. De plus, la transidentité du personnage est « révélée » par une infirmière. Adam n’a pas bien vécu sa transition, il est mégenré et morinomé par son ex. S’il n’est pas montré nu ou exposé aux regards des spectateurs, il est préoccupé principalement par sa transition. Il imite les hommes cis autour de lui, et le film joue sur la différence entre lui et les autres.

Et c’est sans parler des nombreux films ayant aborder la grossesse chez les hommes cis oubliant et invisibilisant l’existence des hommes trans, et toujours sous l’angle de la comédie : L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune (1973), Junior (1994), Alors ça! (2015), Birthday (2015), MamaBoy (2016), etc.

Et dans la réalité ?

Les hommes trans qui portent des enfants sont nombreux dans le monde. C’est le cas de Thomas Beatie qui en a parlé publiquement dès 2009, il y a également Trystan Reese qui a tenu pendant de longues années un instagram, ou encore Freddy McConnell qui raconte son histoire dans le documentaire Seahorse (2019). Sur Instagram, il suffit de parcourir les hashtag « #SeahorseDad », « #TransPregnancy », « #TransDad » pour voir des personnes trans prendre la parole.

En France, il n’est actuellement pas possible de porter son enfant si on est un homme trans, que l’on ait changé son état-civil ou non, et d’être reconnu père. Il est possible de porter son enfant mais comme l’explique Ali, il pourra être demandé de le déclarer comme né·e sous X et par la suite l’adopter. La législation française ne prévoit pas non plus de rembourser les PMA des couples où l’homme trans souhaite porter l’enfant. Les hommes trans et personnes trans masculines souhaitant enfanter doivent donc se rendre en Belgique ou en Espagne comme les couples de femmes actuellement.

Pour aller plus loin

Pour ce qui est des représentations des personnes trans dans les médias, nous vous invitons à visionner Disclosure (2020), lire les articles de Charlie Fabre sur ce site même 😉, à lire les publications (plus académiques) de Karine Espineira ou encore son documentaire Gare aux Trans 2.0 (2018) en 6 chapitres (suite du premier documentaire Gare aux Trans datant de 2005). N’hésitez pas également à consulter notre rubrique Ressources où vous trouverez de nombreuses initiatives et nombreux ouvrages pour aller plus loin.

Statistiques sur les représentations des transidentités au cinéma 2020-2021

L’année dernière, nous avons réalisé une étude sur les films étiquetés « transgender » dans la base de données IMDb. Cette étude nous a permis de montrer statistiquement la prévalence du cis gaze dans les films réalisés jusqu’à présent. Elle a également permis de montrer que le sujet n’est pas aussi récent que l’on pourrait le croire, mais qu’il est principalement traité de façon sérieuse (dans des documentaires et des drames).

En un an, les chiffres ont évolués car de nouveaux films ont été ajoutés à la base données. Les ajouts de films récents et moins récents ont donc fait évolué le chiffres de 462 à 675 films référencés. Les genres de films les plus représentés sont toujours « drame » et « documentaire », le 3e genre le plus présents est toujours celui de la comédie.

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Drame
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Crime

Depuis l’année 2000, plus de 10 films sortent par an étiquetés « transgender ». 2012 fut l’année avec le plus de films, 40 oeuvres sont sorties cette année-là. 2017 est la seconde année la plus prolifique avec 39 films. Pour des raisons très probablement liées au COVID, en 2020, seuls 26 films sont sortis, 6 de moins que l’année précédente. En 2021, seul 9 sont comptabilisés pour le moment.

23 films sont affichés comme en cours de production avec des dates de sorties annoncées pour 2022 pour certains.

Le top 5 des films les plus vus (c’est-à-dire, qui ont reçu le plus de votes sur la plateforme) a bien évolué. Probablement parce que nous avons eu un an sans possibilité de sortie voir de nouveaux films…

Danish Girl est descendu de 3 places, précédemment en haut du classement. Very Bad Trip 2, est entré dans le classement directement à la première place. Un Après Midi de Chien, qui raconte comment un homme a braqué une banque pour payé pour l’opération de sa petite amie trans, est lui aussi entré dans le classement, comme The Rocky Horror Picture Show. Ce dernier est un classique, adapté d’une comédie musicale, qui a marqué une génération de jeunes et moins jeunes qui allaient aux séances de minuit. Le film est crédité comme ayant permis à cette génération de remettre en question les normes de genre et de jouer avec leur expression de genre (vêtements, coupe de cheveux). Cependant, aujourd’hui, il peut paraître daté par les termes utilisés.

Les films les plus vus

La nouveauté : le tag "non-binaire"

L’année dernière, en réalisant cette étude, moins de 10 films étaient étiquettés « non-binary ».

Cette année, la barre des 10 est enfin dépassée ! 11 films ont le tag « non-binary », avec 4 films produits en 2021. Le premier film date de 2003, cependant aucun n’est recensé entre 2004 et 2015.

Parmi ces films, nous pouvons citer les suivants dont le thème de la non-binarité est représenté ou exploré concrètement dans l’œuvre : The Carmilla Movie (2017), They (2017), My Name is Pauli Murray (2021). Les deux premiers ont des acteurices non-binaires pour les personnages non-binaires.

Qu'est-ce qui a changé depuis l'année dernière ?

L’augmentation du nombre de films depuis l’année dernière est dû au fait que la base de données est mise à jour continuellement. Le tag « transgender » a été ajouté à deux films depuis l’extraction de ces données le 22/07/2021.

Les films ajoutés à la base de données ne sont pas forcément récents (par exemple, un téléfilm français de 2002 a été ajouté).

Le point positif : l’ajout du tag « non-binary » à plus de 40 œuvres (films, courts métrages, épisodes de série, séries, etc.), qui permet de voir que le sujet est de plus en plus abordé.

Quand est-il des productions francophones ?

Dans les 100 films qui ont reçu le plus de votes, le premier film francophone est Laurence Anyways (2012) à la 36e place, et le premier film français est Tomboy (2011) à la 37e place.

Le suivant, francophone, est Girl (2018), à la 50e place. Celui qui suit est Ma vie en rose (1997), 61e place.

Cependant, nous ne pouvons pas aller plus loin dans l’étude des films français sur cette base de données. Si vous avez connaissance d’une base de données de films qui permet d’avoir accès à la fois aux informations techniques (genre du film, pays de réalisation, etc.) et des fiches complètes (pour avoir accès au synopsis, à la liste des acteurices), nous sommes preneur·euse·s !

Pour aller plus loin

  • Les rapports annuels de GLAAD sur les représentations LGBTQ+ au cinéma parmi les productions des 7 plus gros studios américains.
  • Identités trans, au-delà de l’image (2020) (Disclosure) disponible sur Netflix

Les représentations trans en France :

Comment créer des œuvres abordant les transidentités de façon inclusive ?

Temps de lecture : 5 minutes

Rūrangi (2020), une mini-série inclusive du début à la fin du processus de production

À travers nos différents articles, nous mettons en lumière les problèmes de représentations des transidentités à l’écran. Aujourd’hui, je souhaite parler de Rūrangi (2020), une mini-série néo-zélandaise inclusive (montée en film pour certains festivals).

Les problématiques de représentations des personnes marginalisées sont les bases de la création de Rūrangi. Les créateur·ice·s ont donc travaillé à trouver des solutions à tous les niveaux de développement et de production.

Comme je vous en parlais dans mon article sur ce qu’il faut retenir de Disclosure (2020), il est temps de prendre en compte les personnes trans dans tout le processus de création. Du développement jusqu’aux personnes trans qui verront les œuvres. Ce que les créateur·ice·s de Rūrangi avaient déjà bien compris comme iels l’expliquent sur le site rurangi.com.

Ce site a en en-tête de toutes les pages ce hashtag “#byusandaboutus” : par nous et pour nous. Cela rejoint également l’enjeu dont parle Charlie Fabre dans ses articles sur le cis gaze : ce regard cis présent dans les oeuvres réalisées par des personnes cisgenres qui donne à voir seulement les points de vue des personnes cis sur les transidentités.

Une stratégie pour anticiper les problèmes récurrents de représentations des personnes trans et non-binaires

Le site de Rūrangi présente également leur “kaupapa” (“politique”, “stratégie” en Māori) en 11 points. Dès la création, l’équipe a travaillé pour que l’oeuvre le soit la plus inclusive et la plus respectueuse possible. Cette stratégie en 11 points pourrait être le point de départ de toute création souhaitant aborder les transidentités. Revenons sur chacun des points ensemble.

Qui détient le pouvoir ?

Les populations marginalisées n’ont que peu accès aux positions de pouvoirs. Les mouvements #metoo et autres mouvements sociaux de ces dernières années l’ont bien montré.

Dans la production de Rūrangi, des personnes trans et non-conforme dans le genre étaient présentes parmi les postes à responsabilité. Le panel de consultant·e·s avait également la possibilité de mettre un veto à plusieurs points clé de développement, production et post-production

Former pour mieux intégrer

Comme nous le précisons dans l’article sur les 9 raisons pourquoi les personnes trans devraient être les interprètes des rôles trans, l’accès à la formation est compliqué pour les personnes trans et non-binaires.

L’équipe de Rūrangi a ainsi pris l’initiative de recruter des personnes trans et non-conformes dans le genre en tant que que stagiaires rémunéré·e·s. Ces dernier·e·s ont ainsi été mentoré·e·s par des personnes cisgenres pour apprendre le métier. Leur position n’était cependant pas seulement celles de personnes apprenantes, mais également de formateur·ice·s. Les personnes cis ont ainsi appris sur les transidentités et les enjeux en étant au contact de personnes trans dans leur quotidien.

Revoir le système de hiérarchie classique

Les enjeux de pouvoir et de prise de décision sont les enjeux principaux auxquels nous faisons face en tant que personnes trans. C’est le cas dans la vie de tous les jours avec des lois écrites et pensées par des personnes cis. Et c’est le cas dans les productions avec des personnes cisgenres à l’origine d’œuvres sur les personnes trans.

Pour briser la chaîne de pouvoir, toutes les personnes concernées par les décisions de production étaient toujours présentes lors de la prise de ces décisions. Cela a créé une atmosphère de confiance pour que des personnes dont la position dans la chaîne de pouvoir est traditionnellement plus basse de s’exprimer sur l’approche de certaines scènes.

Des personnes trans pour incarner des rôles trans

C’est un point que nous avons déjà abordé longuement dans un de nos articles : le casting des rôles trans.

La production de Rūrangi était intransigeante là-dessus : les rôles trans devaient tous être interprétés par des personnes trans. Elz Carrad, une personne transmasculine Māori, interprète le rôle-titre de Caz.

Des personnes trans ont d’ailleurs joué des rôles cisgenres ou perçu en tant que tel. L’objectif est de déjouer la dynamique qui pourrait enfermer les acteur·ice·s trans dans des rôles trans. Un enjeu qui nous tient à cœur tout autant. Il n’est pas question d’enfermer les personnes trans dans les rôles trans. L’un des objectifs de notre annuaire est de donner de la visibilité à tous les acteur·ice·s trans pour pouvoir les imaginer dans tous les types de rôles.

Des personnes trans parmi les équipes techniques et les figurant·e·s

Ce point-là rejoint celui de la formation et des enjeux de pouvoir. Toutes positions dans la production de Rūrangi qui ne nécessitent pas une grande expérience ont ainsi été proposés en priorité à des personnes trans ou non-conformes dans le genre. Tou·te·s les figurant·e·s ont été recruté·e·s parmi la communauté et ses allié·e·s.

Leur rémunération a été au-dessus du salaire minimum néo-zélandais indique également le site internet. En effet, nous ne sommes pas sans savoir qu’il existe déjà des inégalités de salaires. Elles existent entre les hommes et les femmes, entre les personnes blanches et les personnes racisées. Il nous semble plus qu’important d’aborder ce point. Il est crucial que les personnes trans soient payées au même niveau que leurs collègues cisgenres.

Un panel de consultant·e·s

Ce panel de 5 à 6 consultant·e·s a pris part au développement, à la production et la post-production. Leur travail était d’analyser les représentations, les triggers potentiels et le symbolisme. Leur analyse se partageait entre « non-négociable » et “proposition bonus”. C’est-à-dire ce qui était impossible à représenter tel qu’écrit, et ce qui serait positif à avoir mais pas obligatoire.

Si vous souhaitez faire appel à un·e consultant·e pour votre œuvre, vous pouvez consulter la liste des consultant·e·s. Il y figure des membres de l’équipe Représentrans, mais pas seulement. Vous y trouverez par exemple un·e consultant·e spécialiste des thématiques intersexe, ou encore un·e spécialiste des thématiques sur l’asexualité.

La formation des personnes cis sur les transidentités

Un point compliqué lorsque nous, personnes trans, sommes out parmi des personnes cisgenres, c’est la peur d’être la cible de questions intrusives. Pour anticiper cela, il est important que toutes les personnes faisant partie du tournage aient un socle commun de connaissance.

En amont du tournage, les personnes cisgenres des équipes techniques de Rūrangi ont suivi une formation.

Une œuvre inclusive c’est aussi une œuvre accessible

Un poste a été créé pour gérer l’accessibilité des bureaux, du plateau, et pour gérer les horaires de certaines personnes de l’équipe avec des handicaps, visibles ou invisibles. Lorsqu’il est question d’inclusion, il n’est pas seulement question d’inclure un groupe de personnes marginalisées. Il est important d’anticiper l’intersection de différentes oppressions, et les besoins différents selon les discriminations.

Archiver pour les productions futures

Tout au long de la production, l’équipe a documenté leur expérience pour que leurs apprentissages servent aux autres. Ainsi, d’autres projets pourront être plus bienveillant·e·s ainsi que plus accessibles pour les communautés marginalisées. Vous pouvez visiter rurangi.com (si vous parlez anglais) pour découvrir tout ce qu’iels ont mis en place pour la création de Rūrangi.

Voir plus loin que la seule production de cette œuvre

C’est une première étape que de soutenir la voix des personnes marginalisées. La deuxième étape est encore plus importante. Elle consiste à mettre en place des processus sur le long terme.

La production Rūrangi a ainsi été créée pour qu’une partie des gains reviennent à la communauté pour profiter à d’autres productions. Le nom de leur agence de production vient d’ailleurs de cette envie-là : Autonomous signifiant “autonome” en anglais.

Diffuser l’œuvre le plus largement possible

Rūrangi se déroule dans une ville rurale, et l’équipe a l’intention de montrer cette œuvre dans les zones rurales pour favoriser la visibilité, l’éducation et la connexion entre personnes LGBTQ+ qui peuvent se sentir isolées. Une œuvre inclusive, c’est une œuvre réalisée en faisant attention aux problématiques que rencontre le public ira la voir.

Dans tous les cas, j’espère que cela fera réfléchir à de nouveaux modèles de création d’œuvre inclusive qui permettent d’amplifier et soutenir sur le long terme les voix des personnes marginalisées, que cela soit celles des personnes trans ou tout autre communauté marginalisée.

Rūrangi n’est actuellement pas disponible en France, que cela soit sous forme de série ou de film. Rūrangi est disponible sur Hulu aux États-Unis, si jamais vous êtes expatrié·e.

Pourquoi des représentations LGBTQI+ positives ?

Très bon premier jour du mois de la Pride à vous ! Pour ce mois de juin, nous allons adapter nos articles un peu, notamment en commençant avec cet article sur les représentations positives. Parce qu’en plus de demander plus de représentations LGBTQI+, nous réclamons même des représentations positives. Qu’est-ce que cela veut dire des représentations positives ? Et surtout pourquoi ?

Comment définir une représentation LGBTQI+ positive ?

On peut la définir par ce que ce n’est pas : un personnage totalement heureux qui n’a aucun problème dans sa vie. Ce n’est pas non plus ce qu’on nous propose depuis des décennies : un personnage qui ne vit que des tragédies, sans une once de bonheur dans sa vie.

Pour moi, une représentation positive, c’est une représentation authentique (qui n’occulte donc pas les violences et autres problèmes que nous pouvons rencontrer mais celleux-ci ne sont pas les points centraux de l’histoire) qui nous humanise, nous empouvoir, et nous donne de l’espoir.

Si on représente la réalité, on se doit de représenter les violences, non ?

On en vient au cercle vicieux des représentations où les représentations se nourrissent les unes des autres, et nourrissent la vie et les attitudes envers les personnes LGBTQI+.

« Art imitates life. » L’art imite la vie : Boys Don’t Cry (1999) ou Prayers for Bobby (2009) sont deux films basés sur des histoires tragiquement vraies.

Mais « Life imitates art. », la vie imite l’art tout autant : les violences que les femmes trans subissent dans les films et séries sont reproduites dans la vraie vie comme Jen Richards le détaille dans Disclosure (2020).

Réflexions soutenues par le travail de Bode Riis, Transgender Reflections: Audience Studies on the Portrayal of Trans Characters in Film & TV, 2014

Le cercle vicieux des représentations LGBTQI+ de la violence faites aux personnes trans

(adaptation du travail de Bode Riis)

Violence vécues par les personnes trans (réalité) -> Représentations de ces violences dans les médias -> Stigmatisation des personnes trans basée sur les stéréotypes représentés par les médias

Pourquoi alors réclamer des représentations positives ?

Je ne vais pas me limiter à cette réponse mais pour moi elle couvre tout de même la majeure partie des raisons :

« Life imitates art. »

Il y a forcément l’envie de rééquilibrer le nombre croissant de représentations déprimantes de nos vies. Mais c’est aussi parce que les représentations positives ont un impact réel auprès de nos proches. Les représentations informent le public sur les attitudes et le comportement à avoir avec les personnes LGBTQI+.

Des chercheuses se sont intéressées à l’impact d’un épisode de la série Royal Pains sur les attitudes des téléspectateur·ice·s envers les personnes trans.

Quels sont les impacts des histoires sur les attitudes des spectateur·ice·s ?

Le résultat de cette étude de 2017 est le suivant : les émotions positives induites par la narration ont un impact positif plus important que les émotions négatives.

Ressentir de l’espoir pour le personnage et son avenir amène à avoir des réactions plus positives envers les personnes trans dans la réalité. Ressentir du dégoût ou de la colère pour la situation de la personne trans dans la narration n’amène pas particulièrement à ressentir des émotions positives envers les personnes trans dans la réalité.

Du panel de 416 personnes, celles ayant ressenties des émotions positives durant l’épisode avaient des attitudes plus positives envers les personnes trans et leur combat pour plus de droits. Les autres, leur attitude n’avait pas changé.

Comment changer les attitudes envers les personnes LGBTQI+ ?

Le résultat de cette étude combiné au travail de Bode Riis nous montrent donc que représenter telle quelle la violence que nous subissons, en plaçant les personnages LGBTQI+ dans des situations de passivité, de victime, n’améliorent pas le quotidien des personnes LGBTQI+.

Il est important de raconter des histoires qui inspirent des émotions positives auprès du public, que celui-ci soit cis ou trans. Car ces émotions ont de réels impacts sur nos droits.

Cependant, attention, les représentations positives ne doivent pas être notre seul moyen d’action. Comme le dit la cinéaste, écrivaine, et professeure américaine Susan Stryker :

« Une représentation positive ne peut changer les conditions de vie des personnes trans que si elle s’inscrit dans un changement social plus large. »

Exemples de représentations positives :

Schitt’s Creek (2015-2020) : l’homophobie que pourrait vivre le personnage de David Rose n’est pas ignorée mais il ne la subit pas pour autant à l’écran.

Les Engagés (2017-2021) : la transphobie qu’a pu vivre le personnage d’Elijah n’est pas montrée mais mentionnée. Le public trans n’as pas ainsi à la subir à nouveau.

Torch Song Trilogy (1988) : le personnage d’Arnold Beckoff subi de l’homophobie, son entourage également, mais il est pleinement acteur du film, de sa propre vie. Le focus de l’histoire n’est pas sur les violences subies mais sur sa vie.

Euphoria, épisode spécial sur Jules : le personnage de Jules parle des violences subies, de sa transidentité, de façon active et elle n’est pas réduite à cela.

À noter que ces œuvres ont été créées avec ou par des personnes concernées 😉

Le test de Vito Russo, le minimum des représentations LGBTQ+

Qui est Vito Russo ?

Vito Russo (1946-1990)
Militant LGBT, Auteur de The Celluloid Closet, ouvrage de référence sur les représentations de l’homosexualité dans l’industrie cinématographique américaine. Également co-Fondateur de GLAAD.

GLAAD, association américaine de veille médiatique dénonçant les discriminations et attaques à l’encontre des personnes LGBT+ dans les médias, publie annuellement un rapport « Where We Are On TV » comptabilisant les personnages LGBT+ dans les séries américaines.

Qu’est-ce que le Test de Vito Russo ?

A l’instar du test de Bechdel, qui évalue la place et l’importance des personnages féminins, GLAAD a créé le test de Vito Russo pour évaluer la qualité de la représentation LGBT+.

Ce test est un standard minimum à dépasser et non pas à atteindre.

Il est composé de 3 points.

1. L’identité du personnage doit être claire

Le film (ou la série) contient un ou plusieurs personnages gay, lesbien, bi, et/ou trans clairement identifié.

Note : il n’est pas obligatoire que le personnage décline son identité précisément, mais il ne doit pas y avoir de doute quant à sa sexualité ou identité de genre.

2. Le ou les personnage·s doivent être complexe·e

Le personnage ne doit pas être défini seulement par son identité de genre ou son orientation sexuelle.

Comme les personnages non-LGBT+ ont des traits de caractère qui les différencient, les personnages LGBT+ doivent avoir différents traits de caractères.

3. Le ou les personnage·s doit avoir un impact

Le personnage doit être impliqué dans l’histoire au point que si on le retirait, l’histoire n’aurait plus de sens.

Il ne doit donc pas exister seulement pour proposer un commentaire sur la société ou simplement comme ressort comique.

Le personnage doit avoir de l’importance.

Est-ce que les rôles trans devraient être joués par des acteur·ice·s trans ?

Oui. Les rôles trans devraient être interprétés par des personnes acteur·ice·s trans.

Ah, vous voulez une réponse plus détaillée ?

Soit, mais ça sera en neuf points pour répondre à cette question une bonne fois pour toute.

1. L'accès à l'industrie des acteur·ice·s trans

Ce n’est pas un secret qu’il est compliqué de décrocher un rôle récurrent dans une série ou un rôle principal dans un film. Pour les personnes trans, l’accès est encore plus difficile, pour plusieurs raisons.

L’industrie du cinéma et de la télé a aujourd’hui une vision biaisée, clichée des transidentités. Les opportunités sont peu nombreuses, les rôles trans étant rares, mais les choix se font en plus sur des stéréotypes. En effet, lorsqu’une personne trans se présente à un casting pour un rôle trans, il n’est pas rare que le refus soit basé sur leur apparence « pas assez trans ». Les scripts font mention d’apparence masculine pour des femmes trans, les annonces de castings parlent « d’entre-deux », d’androgynie pour des rôles liés à des histoires de transitions, etc.

En 2019, l’actrice cisgenre Marie Catrix est choisie pour jouer le rôle d’une femme trans dans le feuilleton quotidien Demain nous appartient.

L’annonce (extrait à droite) parlait de vouloir trouver une actrice avec une apparence masculine, non pas une actrice trans. Ce choix de casting ne reposait donc pas sur des intentions de représentations trans mais sur les clichés, particulièrement celui qu’une femme trans est “repérable” par certains traits physiques.

Une femme féminine, sensuelle, sexy, mais qui puisse avoir quelque chose de masculin. Soit la voix grave, soit la mâchoire carrée, qui sème le doute, mais qui ne soit pas forcément visible dès le départ, pour ne pas qu’on devine tout de suite qu’elle soit transgenre”

Marie Catrix, Exclu. Marie Catrix (Morgane dans Demain nous appartient) : « Je suis très fière de défendre la cause des transgenres », 25/02/2019

Outre les biais de l’industrie, il y a aussi les biais des personnes trans : à ne voir aucun·e acteur·ice transgenre avoir des rôles, iels peuvent penser qu’il n’y a pas de place pour elleux.

Faire le choix d’un·e acteur·ice trans, c’est corriger des inégalités : inégalités d’accès au travail, inégalités de représentation, et j’en passe.

2. L'expérience des acteur·ice·s trans

L’accès aux rôles est également compliqué pour les personnes trans car on leur reproche très souvent un manque d’expérience.

Les rôles trans sont souvent donnés à des acteur·ice·s cis, comme celui interprété par Marie Catrix, qui aurait très bien pu être interprété par une actrice transgenre. 

De plus, les directeur·ice·s de casting (cisgenres) ont beaucoup de mal à considérer des acteur·ice·s trans pour des rôles cis. Comment gagner en expérience et en notoriété si on ne peut jouer aucun rôle, ni trans, ni cis ?

Et si on y réfléchit, certaines personnes trans ont peut-être même bien plus d’expérience que les personnes cis. En effet, pendant une bonne partie de leur vie, iels interprètent un rôle auprès de leur entourage, et très souvent avec un tel talent que la transidentité est une surprise pour leurs proches.

Faire le choix d’un·e acteur·ice trans, c’est lui permettre d’acquérir de l’expérience.

3. La précarité

Le rejet familial, l’inadéquation entre les papiers d’identité et le genre de la personne, la transphobie ordinaire, la transphobie systémique, les parcours de transition coûteux (et je ne parle pas seulement des transitions médicales mais par exemple, du fait de se racheter l’entièreté d’une garde robe)… les raisons sont nombreuses pour expliquer la précarité des personnes trans. 

Une conséquence de l’impossibilité à faire ses preuves, c’est que cela renforce la précarité des personnes trans.

Faire le choix d’un·e acteur·ice trans, c’est également lui permettre d’avoir du travail, alors que les conditions d’accès à l’emploi sont compliquées pour les personnes trans.

4. La vraisemblance

Les rôles trans actuels s’inscrivent souvent dans des histoires de coming-out et de transition. Cela pose potentiellement le problème technique des avant/après, et qui nécessite une apparence spécifique et du maquillage, voire des effets spéciaux. Et pour ces rôles, le choix se porte presque exclusivement sur des acteur·ice·s cisgenres car iels semblent plus faciles à maquiller. Or il n’y a aucune contre-indication à porter du maquillage quand on est trans 😉 Ainsi, dans la série Veneno, plusieurs actrices trans ont interprété le rôle de Cristina “La Veneno” Ortiz a plusieurs moments de sa vie, même pré-transition.

Faire le choix d’un·e acteur·ice trans, c’est faire le choix de l’authenticité.

5. Le cycle vicieux des mauvaises représentations trans

Les personnages trans ont été jusqu’à présent en grande majorité écrits et interprétés par des personnes cis. Si un·e acteur·ice cis souhaite se renseigner, s’informer, trouver de l’inspiration pour interpréter un rôle trans, iel risque donc de se tourner vers des productions signées par les cis, imprégnées du regard cis. Iel ne pourra livrer qu’une performance dans la lignée de ces représentations passées, et donc perpétuer une représentation inauthentique.

Faire le choix d’un·e acteur·ice trans, c’est commencer à briser ce cercle vicieux.

6. Les transidentités ne sont pas des performances

Les transidentités sont des identités, ce ne sont pas des costumes que l’on peut endosser ou des personnalités que l’on peut interpréter, jouer, imiter. Bien souvent, les acteurs cisgenres font l’erreur d’essayer de “performer” la féminité ou la masculinité  en collant aux rôles de genres associés avec le genre du personnage. Cela sous-entend qu’il n’y a qu’une façon d’être trans : de passer d’un genre et ses stéréotypes, à un autre genre et ses propres stéréotypes. C’est une vision très binaire, dans laquelle beaucoup de personnes trans ne se retrouvent pas.

Faire le choix d’un·e acteur·ice trans, c’est reconnaître que les identités transgenres ne sont pas des performances.

7. Les acteur·ice·s trans existent

Notre enquête #ActoraTrans l’a prouvé : les acteur·ice·s trans et non-binaires francophones existent. Et les directeur·ice·s de casting sont capables de les trouver. Mais lorsqu’une annonce de casting utilise un vocabulaire erroné et que la présentation du personnage est empreinte de transphobie, il est compréhensible que les acteur·ice·s et non-binaires ne se dirigent pas vers ce genre de rôle. 

Des films et séries ont fait appel à des consultants qui les ont aidés entre autre à trouver des acteur·ice·s trans  : Skam France, Boy meets Girl (série), Euphoria, The Craft : Legacy (film), Studio City.

Faire le choix d’un·e acteur·ice trans, c’est suivre le sens du progrès.

8. Les émotions du public

Les fictions aident à faire avancer le mouvement social plus large pour les droits des personnes trans. GLAAD rapporte que les mentalités autour du “mariage gay” ont évolué en partie grâce aux séries comme Modern Family, Glee ou encore The New Normal. L’attachement que les spectateur·ice·s cis auront pour le personnage trans pourra se transférer à l’acteur·ice trans, et à toutes les autres personnes trans et leur combat pour plus de droits.

Cela permettra également aux personnes trans (car oui, elles font aussi partie des spectateur·ice·s !) de se voir à l’image, et surtout de se projeter dans une réalité. Elles pourront ainsi envisager un futur, une chose compliquée aujourd’hui dû aux discriminations déjà subies individuellement, celles subies par nos camarades trans, et à une médiatisation importante des violences envers les personnes trans.

Faire le choix d’un·e acteur·ice trans, c’est changer les mentalités du public cis, et c’est surtout penser au public trans, trop souvent ignoré.

9. Confusion des pronoms, confusion des transidentités

Si le genre de l’acteur·ice diffère de celui du personnage, cela peut créer une confusion quant aux pronoms à utiliser. J’en parlais dans ma critique de A Good Man : de nombreuses personnes sont perdues entre “elle” pour Noémie Merlant, l’actrice, et “il” pour Benjamin, le personnage.

Cette confusion peut mener à une mauvaise compréhension des transidentités : “l’homme trans n’est pas vraiment un homme, mais une femme” car c’est une femme qui l’interprète. Et inversement, lorsqu’un homme cisgenre interprète le rôle d’une femme trans.

Cela a comme conséquence de desservir totalement le propos, qui devrait être que les hommes trans sont des hommes, et les femmes trans des femmes.

Faire le choix d’un·e acteur·ice trans, c’est renforcer le message que les hommes trans sont des hommes, les femmes trans sont des femmes et les personnes non-binaires existent.

En conclusion...

Le problème n’est pas seulement celui du choix d’un·e acteur·ice, il se situe également dans les histoires racontées. Ce sont principalement des histoires de coming out et de transition. Pour éviter le problème technique que cela pose (mais qui n’en est pas vraiment un, comme expliqué dans un point précédent), il est possible de raconter d’autres histoires avec des personnages trans. En effet, les personnes trans ne passent pas toute leur vie à transitionner. Il faut donc diversifier les rôles proposés.

Le choix de l’acteur·ice trans ne se fait pas seulement au moment du casting, mais dès la création des histoires. 

Le sujet n’est donc pas “Les rôles trans devraient-ils être interprétés par des acteur·ice·s trans ?” mais “Comment faire en sorte qu’il y ait plus de rôles trans et plus d’acteur·ice·s trans dans le paysage audiovisuel ?”.

Co-écrit avec Chloé Hatimi