Représenter les transidentités autrement

Pourquoi les séries comme “One Day at a Time” sont importantes — une interview avec Gloria Calderón Kellett

Le 7 janvier 2017 sort sur Netflix la première saison de la série One Day at a Time, développée par Gloria Calderón Kellett et Mike Royce. Inspirée de la série de 1975 du même nom de Norman Lear, elle suit une famille cubo-américaine monoparentale. En saison 1, le personnage d’Elena, la fille de la famille, fait son coming out lesbien entraînant un arc narratif sur l’acceptation de son orientation par sa mère et sa grand-mère. Un an plus tard, la saison 2 nous permet de retrouver Penelope, sa fille Elena et son fils Alex, leur grand-mère Lydia et leur voisin et propriétaire, Schneider — mais pas seulement. C’est ainsi qu’est introduit le personnage de Syd, futur·e petit·e ami·e d’Elena.

Syd se présente immédiatement comme étant non-binaire et annonce qu’iel utilise les pronoms neutres they/them (traduit par iel dans les sous-titres et le doublage). Bien que la famille Alvarez se trouve légèrement déconcertée — ce qui donne lieu à une scène pleine d’originalité et de comédie — elle comprend vite les enjeux pour les personnes concernées et, surtout, ne les mégenrent pas ni ne font preuve d’une quelconque malice, y compris la grand-mère, bien que très religieuse.

Le succès de la série One Day At A Time

C’est cet aspect positif et bienveillant qui fait le succès de la série. En effet, lorsqu’en 2019 Netflix annule la série, les fans se mobilisent : hashtags, campagnes sur Twitter, tout est bon pourvu qu’ils reviennent. Et ça n’y manque pas : le 27 juin 2019, la co-showrunner Gloria Calderón Kellett annonce sur Twitter que oui, “WE’RE BACK!”. C’est PopTV cette fois-ci, chaîne du câble, qui leur commande 13 épisodes. Mais, encore une fois, le sort est cruel : la pandémie du Covid-19 frappe et force l’arrêt du tournage. 6 épisodes et un épisode animé sortiront, avant que la série soit à nouveau arrêtée fin 2020.

Depuis son apparition dans l’épisode 3 de la saison 2, Syd apparaît un total de 11 fois sur 32 épisodes. C’est un personnage que l’on pourrait appeler fan favorite, préféré·e des fans, et sa relation avec Elena devient rapidement l’un des atouts de la série.

Interview de la showrunner Gloria Calderón Kellett 

Gloria Calderón Kellett, co-showrunner de la série, a gentiment accepté de répondre à mes questions sur ce personnage et son approche quant à l’écriture d’un personnage non binaire en tant que personne cisgenre.

Sibylle Piquet: One Day at a Time compte beaucoup pour moi. Cette série était vraiment spéciale et m’a énormément appris. Ça a aussi été la première fois que j’ai vu une personne non binaire à l’écran. J’en avais entendu parlé et en connaissais une, mais ma propre non binarité ne m’est parue évidente que lorsque j’ai vu Syd. Pourriez-vous m’en dire un peu plus sur comment ce personnage a vu le jour et pourquoi c’était important pour vous en tant qu’alliée cisgenre?

Photo gracieusement fournie par Gloria Calderón Kellett.

Gloria Calderón Kellett: One Day at a Time était surtout une
représentation de ma propre famille et j’ai pu faire cela pour quelques
saisons. Quand il a été temps de trouver un.e partenaire pour Elena,
nous avons eu la chance d’avoir beaucoup de scénaristes LGBTQ qui nous
ont éduqué sur les membres de la communauté qui étaient aussi
sous-représentés. C’était la première fois que j’entendais parler de non
binarité et cela me semblait être quelque chose que je ne connaissais
ni ne voyais et donc quelque chose que nous pouvions mettre en avant
pour permettre à ces personnes de se sentir vues. Nous avons donc fait
des recherches et parlé à des personnes non binaires et ensuite avons
décidé de faire de Syd un personnage qui l’était aussi.

Il y a un arc-en-ciel d’identités non-binaires et c’est important de le mettre en lumière aussi.

SP: La féminité subtile de Syd malgré sa non binarité est l’une des raisons principales pour lesquelles je me suis senti.e proche et me suis vu.e en ellui, ce qui est, je le sais, le cas pour beaucoup de personnes. Avez-vous parlé avec des interprètes et/ou scénaristes non binaires qui auraient peut-être souligné l’importance de personnes non binaires non-androgynes/pas “exactement-au-milieu” à l’écran, ou est-ce que l’idée générale que vous aviez du personnage depuis le début a fini en heureux hasard? 

GCK: Tout cela, tout cela est arrivé. D’après ce que nous ont dit les scénaristes LGBTQ dans la writer’s room, il faut un peu de temps pour développer son identité en tant qu’adulte, donc avoir Syd à ce point à 100% ne leur semblait pas exact. Vous savez, iel est un personnage assez jeune, donc nous voulions montrer leur chemin et montrer qu’iel aime ses cheveux longs et expérimenter avec du maquillage de temps en temps. Ces scénaristes nous ont expliqué qu’il y a un arc-en-ciel d’identités non binaires et que c’était important de le mettre en lumière aussi.

 

SP: Vous avez fait un épisode complet sur l’importance des pronoms lors de la deuxième saison, ce qui a poussé pas mal de personnes que je connais à ajouter leurs pronoms dans leur bio sur internet. Dans un monde où les personnes trans et non binaires sont souvent harcelées pour cette raison, réalisiez-vous l’influence que cet épisode aurait et combien il compterait pour la communauté?

GCK: Je suis heureuse de l’entendre! C’était en effet ce que nous espérions — c’est ce que nous espérons avec tout ce que nous faisons, humaniser les gens. Ça me fait plaisir de l’entendre et je suis heureuse que cela ait été le résultat !

 

SP: Votre nouvelle série With Love, sortie sur Prime Video en décembre dernier, compte aussi un personnage trans non binaire parmi sa distribution, Sol, joué.e par Isis King, cette fois un.e interprète trans. De One Day at a Time à With Love, votre approche a-t-elle changé d’une autre façon, de l’écriture à la production?

GCK: Il m’a semblé que plus je m’ancrais dans cette forme de récit, plus je réalisais que c’était important pour les gens de se voir correctement représentés à l’écran. Même si l’actrice qui jouait Syd est charmante, elle est, de ce que je sais, une femme cis et hétérosexuelle donc cette fois-ci je voulais faire en sorte de réellement représenter ce que nous montrions a l’écran. Avoir Isis, qui utilise les pronoms elle/iel, nous semblait important. Cela nous a paru être un approfondissement de ce monde d’identités et représentation correcte.

Gloria Calderón Kellett via Instagram

With Love a pour but de célébrer et montrer à quoi ressemble la vie dix ans dans le futur quand le trauma et le coming out et les difficultés sont un peu plus derrière nous.

SP: Puisque nous parlons de With Love, outre les pronoms de Sol et son identité non binaire annoncés au début, la série ne s’éternise pas dessus ni ne tombe dans un pathos de coming out tragique que nous avons tous vu tellement de fois. Était-ce une décision volontaire?

GCK: Très volontaire, oui. Cette série a pour but de célébrer et montrer à quoi ressemble la vie dix ans dans le futur quand le trauma et le coming out et les difficultés sont un peu plus derrière nous. À quoi cela peut-il ressembler pour donner de l’espoir aux plus jeunes? De voir comment est l’autre côté, une fois que les relations ont guéri et évolué parce que tout le monde a été honnête sur son identité et qu’elle a été accueillie avec amour. Cette famille est très aimante et compréhensive. Bien sûr il y a eu quelques difficultés par le passé, dont iel parle dans la série, notamment ses parents ayant eu un peu plus de mal, mais c’est agréable de voir que tout ce qu’il reste est de l’amour.

 

SP: Le travail de consultant est presque inexistant en France, donc c’est intéressant pour nous de voir ce qui marche et ne marche pas, ainsi que le lien entre une bonne représentation à l’écran et des personnes trans qui consultent. Est-ce que, vous-même, vous aviez des consultants queers qui vous aidaient? Et comment avez-vous travaillé avec la communauté trans pour raconter ces histoires?

GCK: Nous avions des scénaristes! J’adore les consultants mais les consultants vont et viennent. C’était très important pour moi d’avoir des scénaristes qui étaient présents tous les jours et pouvaient partager leur vécu avec nous et faire en sorte que nous fassions les choses bien et me tenir responsable. Donc, oui — c’est très important et nous avions plusieurs scénaristes queers et un·e scénariste trans qui est latin·e et noir·e et capable de réellement comprendre et expliquer le chemin de Sol.

 

Les séries comme One Day at a Time et With Love sont en effet importantes, de par leur impact sur la société et, surtout du fait que, les personnes concernées étant incluses dans le processus créatif, elles font preuve d’une authenticité rafraîchissante.

 

One Day at a Time, saisons 1-3, sont disponibles sur Netflix et With Love saison 1 sur Prime Video.

Vous pouvez retrouver Gloria sur Twitter @everythingloria et Instagram @gloriakellett.

Les propos ont été recueillis et traduits par Sibylle Piquet.

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