Note : Bonjour et déjà : pardon, ça fait longtemps. Je vous avais promis un article par mois pour arriver au bout des articles détaillés sur les critères du regard cis, mais après le 5ème le rythme est devenu intenable. Après j’ai culpabilisé et du coup j’ai procrastiné. Après vous avez été plusieurs à me dire que mes articles étaient utiles et du coup merci, vous permettez à cet article sur le 6ème critère du regard cis au cinéma d’exister ! C’est parti.
Pour ce sixième article détaillé, nous allons parler de l’utilisation volontaire du deadname et du mégenrage dans les films sur les personnes trans. Pour vous donner un ordre d’idée de la fréquence de cet usage, le film référencé sur Représentrans qui coche le moins de critères coche celui-ci (il s’agit de Rurangi, 1 critère coché et encore, le son est “flouté”) ; et sur les 12 films recensés pour le moment, 9 le cochent. Il s’agit à priori du 3ème critère le plus présent dans les productions autour d’un personnage trans, juste derrière les critères “le personnage s’habille ou se maquille” et “le personnage est victime d’une agression”.
Mégenrage et deadname : des violences transphobes banalisées par le cinéma
Cela nous permet une très bonne transition vers le premier point de cet article : l’utilisation du deadname d’une personne trans et / ou son mégenrage, que ce soit volontaire ou non, répété ou non, sont des formes de violences transphobes.
Dans les films, ces procédés de violence verbale sont utilisés notamment dans les cercles proches des personnes trans, par des personnes de confiance. Parmi les innombrables exemples, nous pouvons citer :
- Gerda, dans The Danish Girl (Tom Hooper, 2015), qui réclame son “mari”. Au sein de son couple, Lili est victime d’une violence quotidienne et psychologique. L’usage du deadname du personnage et son mégenrage sont répétitifs.
- Le petit frère complice de Lara, dans Girl (Lukas Dhont, 2017), utilise son deadname dans un moment d’énervement. L’enfant sait qu’il n’a pas le droit de l’utiliser et le fait, dans le contexte, pour provoquer la stupeur du personnage trans.
- Dans Lola vers la mer (Laurent Micheli, 2019), la jeune femme fait face à du mégenrage et la mention de son deadname par son père à plusieurs reprises.
- C’est le cœur de l’histoire dans Tomboy (Céline Sciamma, 2011) dont l’ouverture finale est la demande, par l’amoureuse, de ce “vrai” prénom.
Côté séries, alors qu’elles sont applaudis pour une représentation plus juste : Buck dans The OA (Zal Batmanglij et Brit Marling, 2016-2019) et Nomi dans Sense8 (Lana et Lilly Wachowski, 2015-2018) subissent toustes les deux le mégenrage et les mentions de deadname de la part de leurs familles biologiques.
En vrac, c’est également le cas dès le titre dans le téléfilm de TF1 Il est elle (Clément Michel, 2020), dans Une Nouvelle Amie (François Ozon, 2014), dans Une Femme Fantastique (Sebastian Lelio, 2017), dans la saison 1 d’Océan (Océan, 2019)…
Le deadname et la position d’allié-e :
• On ne demande pas le “vrai” prénom / l’ancien prénom / “le-prénom-que-tes-parents-t’ont-donné” à une personne trans ni à toute personne en ayant changé. Si elle veut vous le dire, elle vous le dira. Sinon, à quoi vous servira cette information ? La crainte est donc que si vous demandez le deadname d’une personne trans, c’est que vous comptez vous en servir pour vous moquer / blesser / humilier / outer la personne. • On s’adresse à une personne trans/ on parle d’elle avec le prénom qu’elle utilise ou avec un surnom cool dont elle a connaissance (par exemple “mon pote trans” c’est pas un surnom cool ; “Charlito” c’est un surnom cool).
Attention : certaines personnes trans ne changent pas de prénom et / ou n’ont pas d’aversion particulière pour leur prénom de naissance, voire l’apprécient. Ce n’est jamais (à ma connaissance) montré.
Comment évaluer ce critère ?
Dans ce critère il y a aussi un mot clé qui fait toute la différence : volontairement. En effet, combien de personnes trans ont entendu, après leur coming-out, leurs proches leur demander “tu m’excuseras, je risque de faire des bourdes” ? Beaucoup. Combien savent faire la différence entre une personne qui effectivement se trompe et une personne qui n’y met aucune volonté ou bien le fait volontairement ? Beaucoup (si ce n’est toutes).
Cependant, la question de la volonté ici ne se pose pas vraiment : les personnages n’ont pas de volonté propre, iels disent ce qui a été écrit pour elleux. Derrière le scénario, il y a l’intention. On peut donc présupposer que tout mégenrage et / ou mention de deadname dans une œuvre de fiction est volontaire.
La question qu’on peut alors se poser c’est : quel est l’intérêt, dans l’histoire, de mégenrer / deadnamer son personnage ?
To mégenrer or not to mégenrer, telle est la question
On sort ici de ce qui était expliqué précédemment, à propos de l’intérêt général de connaître le deadname de quelqu’un-e, pour se tourner vers l’intérêt dans la construction d’une histoire. Si ce critère est aussi présent, c’est d’une part parce qu’il traduit une violence bien réelle pour la plupart des personnes trans et c’est cette violence que les récits vont chercher à illustrer.
D’autre part, les fictions sur les personnes trans accordent (trop) souvent une place importante à la douleur des proches face à la transition. C’est un sujet que nous aborderons à travers un autre critère mais qui peut déjà nous éclairer ici.
En effet, si le deadname ou le mégenrage vient fréquemment d’une personne proche du personnage trans, c’est parce que le récit est avant tout écrit pour permettre aux proches de personnes trans, d’avoir un repère auquel iels peuvent se rattacher. Même si l’utilisation d’un deadname n’est pas montrée comme un comportement à encourager, elle traduit avant tout la difficulté de l’entourage ; elle vient légitimer le vécu de tous les parents qui, à l’image de la mère dans Sense8 ou du père dans Lola vers la mer, ne comprennent pas ce “choix” de leur enfant ; de toustes les partenaires qui, à l’image de Gerda réclament leur époux-se “perdu-e”…
Ce qui transparaît alors ce n’est pas tant la violence pour les personnes trans que celle pour les personnes cis d’utiliser les bons mots, le bon prénom, les bons accords. La plupart des parents / partenaires / proches le diront d’ailleurs au cours du film : c’est difficile pour elleux aussi…
Au final, l’intérêt pour l’histoire reste relativement nul et bien souvent, à l’image des 6 secondes d’homosexualité de Dumbledore dans le dernier film des Animaux Fantastiques, on pourrait retirer tous les mégenrages et utilisation de deadname que ça ne changerait pas grand chose à l’histoire : les parents resteraient maltraitant-es, les couples se briseraient toujours, bref, la routine.
Si vous n’êtes toujours pas convaincu-es : 2 arguments chocs
Vous ne rendez service ni à votre personnage trans ni à la communauté trans en mégenrant / deadnamant votre personnage.
En effet, déjà que la transidentité n’est pas simple à comprendre pour une grande partie des personnes cis, vous risquez d’ajouter à la confusion. On peut en effet partir du principe que si, tout au long du film, le pronom “elle” et le féminin sont utilisés, le public a plus de chances de mémoriser et d’assimiler qu’il s’agit du bon pronom. Cependant, à partir du moment où le personnage est mégenré, le public ne sait plus s’il faut dire il ou elle.
L’illustration parfaite : la promotion du film Girl. Alors que Lukas Dhont et Victor Polster sont invités sur le plateau de Laurent Ruquier (On n’est pas couchés, 11 mai 2018) ce dernier mégenre plusieurs fois violemment le personnage et dit par exemple “il veut être danseur étoile”. Il n’est jamais corrigé par l’acteur ni par le réalisateur… Pour justifier ce mégenrage et cette confusion, Ruquier souligne le fait que dans le film, le personnage est appelé une fois “Victor”. C’est non seulement le deadname du personnage mais en plus le prénom de l’acteur qui l’incarne. Comment créer la confusion : cas d’école.
On peut raconter des histoires sans mégenrer / deadnamer un personnage trans
Pour ça, il suffit de changer de perspective et d’avoir en tête les enjeux mentionnés précédemment. Dans la série WIP (Abby McEnany et Tim Mason, 2020-2022), Abby apprend par inadvertance le deadname de Chris, son petit ami. Le prénom n’est cependant pas lisible car flouté, et lorsqu’il est prononcé à l’oral, l’audio est modifié. Lae spectateur-trice a donc bien compris ce qu’il se passe sans avoir connaissance du deadname.
L’intérêt de ces scènes n’étant pas le prénom en lui-même, il n’est pas nécessaire de le connaître, ni pour les auteurices d’en trouver un.
Pour éviter d’avoir recours à des effets spéciaux visuels ou sonores, il est tout à fait possible que cela se passe par le dialogue. Par exemple, un personnage trans parlant d’un proche ne l’ayant pas respecté : “Ma grand-mère est bien gentille de prendre de mes nouvelles mais elle n’a toujours pas compris que je ne lui répondrai plus tant qu’elle ne m’appellera pas correctement”.
Cela peut permettre de faire aborder par vos personnages les difficultés qu’iels rencontrent au quotidien avec les processus de genrement arbitraires et de leur permettre ainsi d’avoir une voix active et pédagogique permettant au public de comprendre les conduites à avoir / ne pas avoir. Un autre exemple : “Qu’est ce que ça coûte à la pharmacie de juste dire “bonjour” ? Pourquoi toujours insister sur le “madame/monsieur” ?”
C’est terminé pour moi sur ce critère, n’hésitez pas à me faire vos retours sur le sujet et à diffuser ce petit tuto à vos ami-es réal / scénaristes.
PS : désolé de ne vous avoir rien donné pendant 10 mois et de revenir avec un article de 4p.