Focus sur les représentations trans à la télévision

La 5e édition du festival CANNESERIES s’est déroulée du 1er au 6 avril et a réuni des séries du monde entier en mettant l’accent sur « la créativité et l’audace ». 

Outre ses partenariats avec des associations telles que 1000 visages, Passeurs d’images et le Collectif 50/50, CANNESERIES présente deux prix non genrés depuis sa première édition en 2018 : le Prix de la meilleure interprétation qui récompense une performance individuelle, et le Prix spécial de l’interprétation qui récompense une performance d’ensemble. Un troisième a été intégré récemment, le Prix Dior de la Révélation, récompensant une performance dans une série courte.

Avec une telle actualité, nous avons décidé de partager avec vous une synthèse des représentations transgenres à la télévision

Un certain retard français

En France, l’ARCOM, Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (organisme issu de la fusion du CSA et de HADOPI) « est chargé, par la loi, de faire appliquer une juste représentation de la diversité de la société française dans les médias audiovisuels (télévision et radio) et sur tous leurs supports. ».

L’ARCOM n’indexe pas les personnages transgenres. Nous n’avons donc pas de données chiffrées à vous partager sur les personnages trans diffusés à la télévision française et sur les plateformes numériques.

Cependant, nous pouvons tout de même citer les 5 personnages suivants :

  • Max dans la série Skam France (France TV Slash),
  • Morgane Guého dans le feuilleton quotidien Demain Nous Appartient (TF1),
  • Eliott dans le feuilleton quotidien Ici Tout Commence (TF1),
  • Elijah dans la série Les Engagés (France TV Slash),
  • et Léna dans la série La Faute à Rousseau (France 2). Le professeur de philosophie accueillera cette élève trans en deuxième saison. Ce personnage écrit avec l’accompagnement de Représentrans est interprété par Andréa Furet, actrice trans.

Pour la saison télé 2021-2022, nous comptabilisons donc 2 femmes, 2 hommes, et 1 personnne non-binaire. Léna est le seul nouveau personnage de cette saison TV.

« Où nous sommes à la télévision »

Si les données en France sont insuffisantes, le travail de GLAAD nous offre une visibilité chiffrée sur une partie des représentations auxquelles nous sommes exposé·e·s, les séries américaines étant largement diffusées de notre côté de l’Atlantique. 

Depuis 2005, GLAAD publie annuellement le rapport « Where We Are On TV » qui comptabilise les personnages LGBTQ présents dans le paysage audiovisuel américain. Les personnages comptabilisés sont ceux présents dans les séries diffusées pendant la saison TV : du 1er juin 2021 au 31 mai 2022 (en fonction de leur date de diffusion confirmée par les chaînes et plateformes) à la télévision, sur le câble et sur les plateformes de streaming. Les unitaires ne sont pas pris en compte.

Ce rapport évolue au fur et à mesure que la télévision américaine change. Avec l’engouement récent pour les plateformes numériques lié à la pandémie, GLAAD a ainsi élargi son panel de chaînes. Grâce à de nouvelles représentations de plus en plus inclusives, GLAAD a également fait évoluer leurs différentes catégories LGBTQ.

Ainsi, « Where We Are On TV » comprend désormais une catégorie non-binaire ainsi qu’une catégorie asexuelle. La catégorie non-binaire est différenciée de la catégorie trans car GLAAD a noté que le sens du mot s’est élargi et que toutes les personnes non-binaires ne s’identifient pas comme trans. En ce sens, les personnages non-binaires non identifiés comme trans dans la série même ou par la chaîne sont comptabilisés dans cette nouvelle catégorie.

GLAAD : association américaine de veille médiatique œuvrant à dénoncer les discriminations et les attaques à l’encontre des personnes LGBTQ au sein des médias.

Que de progrès depuis 2005

Dans la première édition de « Where We Are On TV » il y a 17 ans, seuls 12 personnages LGBTQ avaient pu être comptabilisés. En 2019, le nombre de personnages a passé la barre symbolique des 10% pour la première fois. Dû à l’impact de la pandémie sur les productions, le rapport 2020 avait indiqué une baisse du nombre de personnages LGBTQ, représentant alors seulement 9,1 % des personnages.

Cette année, GLAAD comptabilise 637 personnages LGBTQ à la télévision et sur les plateformes US. Un chiffre record, représentant 11,9 % des personnages. Sur ces 637, les personnages trans sont au nombre de 42, soit 6 % des personnages LGBTQ, et moins de 1 % des +5300 personnages présents sur les écrans.

Si le nombre de personnages trans est record, le pourcentage parmi les personnages LGBTQ est lui en baisse. Cela s’explique par une augmentation des personnages LGBQ cisgenres.

Qui sont ces personnages trans ?

Parmi les 42 personnages trans, 13 sont nouveaux. Et sur les 36 séries qui incluent ces personnages, 10 sont nouvelles ! Malheureusement, il est déjà annoncé que 7 de ces 36 séries ne reviendront pas la saison prochaine (fin de série ou série arrêtée).

On compte dans ces personnages 20 femmes, 14 hommes et 8 personnes trans non-binaires. 18 d’entre elleux sont blanc·he·s, 9 sont latinx, 6 sont noir·e·s, 4 sont asiatiques ou insulaires du Pacifique et 4 sont métis·ses ou d’autres ethnicités (catégories présentes dans le rapport de GLAAD).

Sur ces 42 personnages, 20 sont identifiés comme hétérosexuels, 7 sont bisexuel·le·s, 1 est gay et 1 est lesbien. 13 ont une orientation sexuelle non-identifiée (et non confirmée par la chaîne). Cela s’explique par le jeune âge de certains personnages ou encore par l’absence d’histoire romantique, mais également par un manque de vision ou encore une certaine ignorance quant à la différence entre identité de genre et orientation sexuelle.

Où sont-iels ?

Les séries accessibles gratuitement comptent seulement 8 personnages trans : 4 femmes et 4 hommes. Les séries listées par GLAAD sont (les séries soulignées sont accessibles en France) : Supergirl, 4400 (Syfy), Coroner, Charmed, New Amsterdam, 9-1-1 Lone Star (M6), Big Sky.

Les séries accessibles par le câble comptent seulement 8 personnages également : 2 femmes, 4 hommes et 2 personnes trans non-binaires. Les séries listées par GLAAD sont : Euphoria, Good Trouble, Single Drunk Female, Somebody Somewhere, Billions, The L Word : Generation Q, The End.

Ce sont évidemment les séries des plateformes numériques qui comptabilisent le plus de personnages trans : 14 femmes, 6 hommes, 6 personnes trans non-binaires. À noter qu’Apple TV+ et Disney+ n’avaient pas de personnages trans. Les séries listées par GLAAD sont (liste non-exhaustive) : Sort Of (Canal+ et Salto), Dafne and the Rest, With Love, Sex Education, Cowboy Bebop, Dear White People, Heartstopper (à venir sur Netflix), Sandman (à venir sur Netflix), Star Trek Discovery, Saved by the Bell.

La catégorie non-binaire comptabilise 17 personnages que vous pouvez retrouver dans les séries suivantes (liste non-exhaustive) : Grey’s Anatomy, Another Life, Motherland: Fort Salem, Feel Good, And Just Like That, The Sex Lives of College Girls, The Girl in the Woods, Ridley Jones, Rutherford Falls.

Des chiffres prometteurs

Les mots de Nick Adams, vice-président, GLAAD Media Institute & Transgender Advocate :

« C’est merveilleux de voir plus de personnages trans apparaître dans des comédies, car cela permet aux gens de rire avec nous, et non de nous. Cependant, il y a encore des efforts à faire, car 9 des 11 comédies qui incluent des personnages trans sont sur des plateformes de streaming. Il n’y a pas de personnages trans dans les comédies diffusées à la télévision. Nous espérons également voir plus de créateurices raconter des histoires de personnes trans dans des relations amoureuses – en particulier des relations lesbiennes, gays et bisexuelles. À la télévision, seuls 5 % des personnages trans sont lesbiennes ou gays, ce qui ne reflète pas fidèlement la communauté. Enfin, alors que les chaînes et les services de streaming planifient leur programmation, nous espérons qu’ils utiliseront ce rapport pour comprendre en quoi la représentation trans peut être améliorée, et qu’ils tendront la main à GLAAD et aux scénaristes, réalisateurices et producteurices trans pour continuer à créer des personnages et des intrigues trans et non binaires plus nuancées et plus complexes à la télévision. »

(traduction par Gab Harrivelle)

Un grand pouvoir implique une grande responsabilité

Cette citation de cinéma s’applique très bien au paysage audiovisuel, américain comme français. Les séries ont elles aussi ce lourd pouvoir des représentations, concret et quantifiable.

C’est le think tank Le Lab Femmes de cinéma qui nous le rappelle dans leur note « La parité et la mixité dans les séries : où en sommes-nous ? » (avril 2022).

La série Friends comme la série Modern Family ont changé les regards des américains sur les lesbiennes, les gays et le mariage pour tou·te·s. Vous pouvez en apprendre plus dans le lien ci-dessus, page 5 particulièrement. 

Le Lab Femmes de cinéma indique également qu’en France, en 2019, 66 % de la population regarde une série au moins une fois par semaine et 92 % en regardent régulièrement.

Ces chiffres associés aux impacts tangibles sont preuves de l’importance des représentations. Il est crucial de les penser au-delà des images et d’inclure la diversité de la société derrière les caméras.

Nous espérons que les chaînes et les plateformes verront dans notre article des pistes d’amélioration des représentations trans en France et qu’iels se tourneront vers les personnes à même de les aider, telles que Représentrans pour les représentations trans et non-binaires.

Collaborez avec nous !

Nous pouvons vous accompagner dans votre recherche d'acteur·ice·s, dans la relecture de votre scénario, la pédagogie auprès de votre équipe, dans la création d'une représentation des transidentités plus juste en somme.

Relecture par Chloé Hatimi

Au-delà des images, que retenir de Disclosure (2020)

Disclosure est un documentaire réalisé par Sam Feder et diffusé en 2020 sur Netflix. Le film est constitué de témoignages de personnes trans qui s’expriment sur la représentation trans à Hollywood, entrecoupés d’extraits de films et de séries. À partir de ce contexte spécifique américain, le film met en lumière un grand nombre de points très importants concernant la représentation trans en général.

Premièrement, les personnages trans (au sens large) existent depuis que le cinéma existe. La représentation de ces dernières années n’est pas une grande première mais s’inscrit dans une continuité. Une continuité malheureusement néfaste pour les personnes trans.

Le film évoque ensuite rapidement l’apport des représentations trans aux personnes qui témoignent : il a été clé pour elles de se voir à l’écran. Nombre d’entre elles apprécient des films et personnages considérés comme problématiques aujourd’hui : car c’était les premiers qu’elles voyaient, les seuls qui existaient à l’époque.

Toutes parlent de cette dualité à apprécier des œuvres qui, d’une part, leur ont fait comprendre qu’elles n’étaient pas seules ou leur ont donné du travail quand elles en avaient besoin, et qui, d’autre part, ont souvent été préjudiciables à la vision que les personnes cis ont des personnes trans.

Ensuite, le documentaire aborde les représentations elles-mêmes. Elles sont pour la majorité négative : si le personnage trans n’est pas simplement là pour faire rire, il est alors soit coupable, soit victime. Quand il est là pour faire rire, les blagues sont extrêment violentes : on voit des hommes cis qui vomissent à l’idée de faire l’amour avec une femme trans. Quand la femme trans est coupable, elle est tueuse en série, psychopathe. Quand elle est victime (presque toujours d’un crime transphobe), elle est morte, et souvent travailleuse du sexe. Et lorsque le sujet de la transidentité est abordé dans les dialogues par les autres personnages, souvent au-dessus du corps sans vie d’une femme trans, le respect est absent des mots utilisés.

Disclosure relève également un phénomène récurrent : les rôles de personnages trans les plus connus sont joués par des personnes cis qui remportent des prix pour ces interprétations.

En effet, de nombreux hommes cis ont interprété des femmes trans à l’écran et par la suite ont affiché des barbes fournies lors de remises de prix au cours desquelles ils étaient récompensés. Jen Richards, actrice, explique dans le documentaire à quel point ces rôles trans joués par des hommes cis nourrissent la violence à l’encontre des femmes trans.

Un rôle trans interprété par un·e acteur·ice trans permet aux spectateur·ice·s de ressentir pour l’acteur·ice trans la même compassion qu’iel ressent pour le personnage. Or, en voyant un acteur cis avec sa barbe bien fournie, le·a spectateur·ice est renvoyé·e au jeu, à la performance de l’acteur. Le raccourci est rapide et simple pour elleux : les femmes trans ne sont que des hommes déguisés, qui performent la féminité mais qui ne sont pas des femmes.

Les représentations des hommes trans, plus récentes et bien moins nombreuses, ont moins souffert de ce phénomène : seule Hilary Swank a été récompensée pour son rôle de Brandon dans Boys Don’t Cry. Cependant, le problème reste le même : lorsque la·e spectateur·ice apprend que l’actrice qui a interprété un homme trans est cis, alors le raccourci est le même, simplement inverse. Le genre resterait une performance est non une identité.

Les violences que subissent les hommes trans sont différentes de celles subies par les femmes trans, qui en plus de subir la transphobie subissent également la misogynie et la transmisogynie. Si les femmes trans ont été victimes de mauvaises représentations depuis le début du cinéma, il est difficile de trouver des représentations d’hommes trans. De nombreux films jouent avec un personnage féminin qui se fait passer pour un homme pour avoir de meilleures conditions de vie, être entendu, être considéré. Mais le personnage finit toujours par “redevenir” une femme pour plaire à l’homme qu’elle désire ou pour simplement avoir une vie vraiment heureuse. Les hommes trans souffrent donc différemment des représentations : l’absence de rôles ne leur permet pas de se reconnaître à l’écran, ni aux autres de connaître leur existence. Or, ce qui n’est pas visible n’est pas inexistant.

Les hommes trans ne sont vraiment présents que depuis le début des années 2000, notamment grâce à The L Word. Mais encore une fois, les représentations sont négatives : la testostérone les fait devenir violents, agressifs, manipulateurs, sexistes. Ces représentations sont en train de changer, notamment grâce à des séries qui incluent des auteur·ice·s trans et des personnages trans récurrents : The L Word : Generation Q et Les Chroniques de San Francisco. Ou encore des séries dont les hommes trans récurrents n’existent pas qu’à travers leur transidentité : Les Nouvelles aventures de Sabrina, The Politician, Titans, Grey’s Anatomy, The OA, Druck, Tales of the City, etc.

Disclosure met en exergue le manque de diversité des représentations, l’absence de personnes trans à la création de ces représentations et l’impact que les représentations peuvent avoir sur les personnes trans comme sur les personnes cis.

Si l’on devait émettre une liste de critères pour une bonne représentation à la suite du documentaire, ce serait :

  • Une œuvre créée par des personnes trans
  • Une œuvre qui implique des personnes trans dans la production
    Une œuvre qui diversifie les représentations des personnes trans
  • Une œuvre qui représente les personnes trans positivement
  • Une œuvre qui inclut les personnes trans dans son public cible

Pour autant, la qualité des représentations n’est pas l’objectif ultime du combat pour une meilleure représentation. Disclosure se conclut ainsi : « Having positive representation can only succeed in changing the conditions of life for trans people when it is part of a much broader movement for social change. Changing representation is not the goal, it’s just the means to an end. » Susan Stryker

Les représentations positives sont clés pour faire changer les mentalités, mais si un changement plus large de la société n’est pas en œuvre alors elles n’auront pas d’effets concrets sur les vies des personnes trans comme l’accès à l’emploi, à la parentalité, à la santé, à la sécurité, à la scolarité, etc.

« Une représentation positive ne peut changer les conditions de vie des personnes trans que si elle s’inscrit dans un changement social plus large. Changer la représentation n’est pas le but. C’est un moyen. »

Susan Stryker (traduction Netflix)

Représentrans, représenter les transidentités autrement

Représentrans est né d’une volonté de se voir à l’écran. De se voir représenté avec authenticité et respect. Représentrans est né également d’une volonté de changer le regard des personnes cis sur les transidentités. Ce regard, il est nourri de tout ce qui est a été dit, vu et entendu à propos des personnes trans. En changeant les représentations, nous pouvons changer ce regard.

Représentrans a donc l’ambition de faire changer les représentations des transidentités en France. Si Disclosure de Sam Feder témoigne d’une évolution des représentations aux États-Unis, la France accuse un certain retard.

L’objectif des représentations trans, c’est rendre visible ce qui est absent. Absent et non pas inexistant. Les représentations visent donc à rendre visible au plus grand nombre les personnes trans, leurs vécus, leurs histoires personnelles comme les histoires de la communauté, mais aussi et surtout les problèmes qu’elles peuvent rencontrer. Qu’ils soient dû à la transphobie ou aux simples problèmes de la vie.

Tout art n’a pas vocation à être pédagogique mais si la représentation d’une certaine minorité est au cœur d’une fiction, il est alors crucial de se poser la question du contexte dans lequel elle s’inscrit. Le contexte politique, culturel, mais aussi celui des représentations existantes. Les anciennes représentations, souvent mauvaises ou incomplètes, nourrissent les nouvelles. Il est important de les remettre en question et de travailler à créer de nouvelles représentations plus justes et plus positives des personnes trans. Et il est vital d’y impliquer des personnes trans concernées et expertes des représentations.

Une seule œuvre ne pourra répondre à toutes les problématiques des représentations mais il est primordial d’aborder les transidentités avec justesse et bienveillance. Ces représentations auront des répercussions sur les vies réelles des personnes trans. Certains choix qui paraissent anodins peuvent avoir des conséquences bien plus larges qu’une personne cis peut envisager. Et bien qu’il n’y ait eu aucune intention malveillante, ces conséquences peuvent continuer à ancrer des informations transphobes dans l’imaginaire collectif.

L’équipe Représentrans

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Gabriel Harrivelle (iel), fondateur de Représentrans
“J’ai créé Représentrans car je crois au pouvoir des images. C’est en voyant d’autres personnes trans exister et vivre leur vie que j’ai pu comprendre que j’étais trans. C’est en voyant des fictions avec des personnes trans que j’ai pu commencer à m’imaginer un futur. Après avoir accompagné quelques projets et après avoir enfin été écouté, Représentrans est né. Il est temps que les représentations trans évoluent en France.”

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Charlie Fabre (il), co-fondateur de Représentrans
"J'ai été inspiré par le projet Représentrans parce que je suis fasciné par la manière dont les médias façonnent les imaginaires collectifs. La recherche de figure d'identification, pour soi-même et pour les autres est primordiale, à mon sens, dans notre sociabilisation. Je crois au pouvoir des mots et des images et donc à l'importance de ce qu'on en fait."

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Chloé Hatimi (elle), Relectrice et traductrice

Qu’en est-il des créateur·ice·s trans ?

La plupart des écrits sur les personnes trans dans le cinéma parlent de représentation à l’écran, mais pas des personnes derrière la caméra. Les médias de ces dernières années ont souvent fait mention de “Premier personnage trans à la télévision française !”, “Première héroïne trans !” pour parler de films et séries écrit·e·s et réalisé·e·s par des personnes cisgenres.

Or de nombreux·ses artistes trans ont produit et continuent à produire des œuvres par des moyens parfois alternatifs. Youtube, par exemple, héberge des milliers de vidéos produites par des personnes trans, que ce soit des courts métrages, des reportages ou des témoignages.

Dans une interview pour JumpCut en 2016, le réalisateur de Disclosure (2020), Sam Feder, en parle ainsi : “Trans people are not yet authorized to set the terms of our own visibility.” “Les personnes trans ne sont pas encore autorisées à imposer les termes de leur propres visibilité.” Il continue : “To be visible, we must conform to the demands placed on us by a public that wants to buy a story that affirms their sense of themselves as ethical.” “Pour être visibles, nous devons nous conformer aux attentes d’un public qui souhaite être conforté dans l’éthique de sa propre identité.” Autrement dit, le public ne souhaite pas être bousculé dans sa façon de voir les choses.

Et cela a un impact très important et très grave : “In their rush to present themselves as doing something new, [filmmakers and show runners] remove from view a rich legacy and history of trans people in the media.” “Dans leur précipitation à vouloir se présenter comme des pionniers, [les réalisateurs et producteurs] éclipsent un héritage et une histoire riches de créateur·ice·s trans.”

Quelques créateur·ice·s trans et “gender variant” (comme iels s’identifiaient à l’époque), du début du cinéma aux années 80 :

  • Germaine Dulac, réalisatrice, habillée de façon très masculine et ayant eu de nombreuses amantes, a réalisé 30 films de 1915 à 1936.
  • Christine Jorgensen a filmé quelques uns de ses voyages, et a également écrit plusieurs scripts qui n’ont jamais été produit.
  • Dorothy Arzner, réalisatrice, scénariste et monteuse américaine, a réalisé 20 films de 1927 à 1943.
  • Ed Wood, s’identifiant lui-même comme travesti, a fait au moins 8 films entre 1947 et 1978, dont un s’inspirant de sa propre histoire, Glen or Glenda.
  • Angela Morley, compositrice, chef d’orchestre et orchestratrice britannique, a composé les bandes-son de 16 films entre 1952 et 1977, dont Le Petit Prince  (1974) et Les Garennes de Watership Down (1977). Elle a remporté trois Emmy Awards, et a été nommée pour deux Oscars et un BAFTA.
  • Ashley Hans Scheirl, artiste multimédia autrichien, a commencé à produire des courts métrages lors de ses études à l’Academy of Fine Arts de Vienne en 1979. Depuis, il a créé 54 courts, et deux longs : Flaming Ears (Rote Ohren fetzen durch Asche, 1992) et Dandy Dust (1998).
  • Wendy Carlos, compositrice et interprète de musique électronique américaine, a développé le synthé Moog avec Robert Moog, et l’a popularisé avec son album Switched-On Bach (1968) qui a notamment gagné trois Grammy Awards. Elle a ensuite composé la bande-son d’Orange Mécanique (1971),The Shining (1980), TRON (1982), and Woundings (1998).
  • Divine a travaillé avec John Waters tout au long de sa vie, ses plus grands succès étant Pink Flamingos (1972), Female Trouble (1974), et Polyester (1981).

Les identités de genre des personnes derrière les caméras n’ont pas toujours été connues, et les œuvres de nombreux·ses créateur·ice·s trans ont été perdu avec le temps dû à l’absence d’archives spécifiques. Mais il est indéniable que des personnes trans ont été devant et derrière la caméra, de par le nombre d’artistes travestis qui fascinaient les publics et le nombre de fois où le sujet du genre a été abordé.

En 1984 et en 1985, des personnes trans ont enfin pu prendre un peu de contrôle sur leur visibilité en étant au centre des documentaires Paradise is Not For Sale (Paradiset er eike til salg, 1984) et What Sex Am I? (1985). Quelques années plus tard en Angleterre, la documentariste Kristiene Clarke réalise le documentaire Sex Change – Shock! Horror! Probe! (1988) pour la chaîne de télévision Channel Four. Le film a été présenté comme le premier documentaire sur la “transsexualité” réalisé et produit par une personne “transsexuelle”.

Avec les années 2000, les créateur·ice·s trans tentent de reprendre le contrôle

En 2002, Alec Butler, une personne intersexe Two-Spirit canadienne, a produit la trilogie animée Misadventures of PussyBoy qui explore la vie sociale et la sexualité d’Alick. En 2006, Sam Feder réalise Boy I am sur des sujets peu souvent abordés lorsqu’on parle de transidentité masculine. La même année, Jules Rosskam produit le documentaire Transparent qui suit 19 personnes trans qui ont donné naissance et élèvent leurs enfants. En 2008, Kimberly Reed filme dans son documentaire Prodigal Sons sa “highschool reunion” alors qu’elle n’a pas mis les pieds dans sa ville natale depuis 20 ans. La même année, Kortney Ryan Ziegler suit la vie de 6 hommes trans noirs dans Still Black: A Portrait of Black Transmen.

En 2020, Fow et Owl du collectif MyGenderation produisent I am They: A non-binary love story sur l’histoire de leurs co-fondateur·ice·s. Iels produisent des courts, sketchs et reportages sur Youtube depuis 2013.

Du côté des fictions, les soeurs Wachowski ont réalisés de nombreux films avant et depuis leur coming out trans : Bound (1996), la trilogie Matrix, la série Sense8, etc. Silas Howard et Harry Dodge ont réalisé leur “queer buddy movieBy Hook or By Crook en 2001. Sam Berliner réalise en 2010 la comédie Genderbusters dont le résumé est le suivant : “Coincé dans le système binaire Homme / Femme ? Faites appel à nos super-héros. Ils sont là pour vous aider à en sortir !”. Ester Martin Bergsmark réalise She Male Snails (Pojktanten) en 2012, puis Something Must Break (Nånting måste gå sönder) en 2014, très appréciés par la critique de films expérimentaux.

Les créateur·ice·s trans produisent également de nombreuses web-séries :

  • Falling in Love…with Chris and Greg (2008-2013)
  • True Trans (2014)
  • Her Story (2015)
  • This Is Me (2015)
  • Eden’s Garden (2015)
  • CRAVE (2015)
  • Brothers (2015)
  • We’ve Been Around (2016)
  • The Switch (2016)
  • GENDERS* (2018)
  • These Thems (2020)

Ces artistes sont pour la majorité américains, car de nombreuses études sont produites. En France, les trans studies sont moins financées et donc moins nombreuses. En octobre 2020, Laurier The Fox a lancé l’initiative #TransCreation et a ainsi recensé un grand nombre d’artistes trans. On y retrouve Kelsi Phụng, avec son court Les Lèvres Gercées, les BD de Sophie Labelle, Dreadnought d’April Daniels, Tout va bien de Charlie Genmor, Les corps sonores de Jul Maroh, Rebecca Sugar, créatrice non-binaire notamment à l’origine de Steven Universe, le chanteur Sohan Pague, la chanteureuse Mélodie Lauret, les livres et les vidéos de Mx Cordélia, le projet de websérie lancé par Charlie Fabre, et plein d’autres que vous pouvez retrouver dans le hashtag #TransCreation ou dans le fil alimenté par Laurier.

 

 

 

Sources :

  • Tracing the History of Trans and Gender Variant Filmmakers, Laura Horak, https://www.academia.edu/33278594/Tracing_the_History_of_Trans_and_Gender_Variant_Filmmakers
  • Does visibility equal progress? A conversation on trans activist media, interview de Sam Feder, https://www.ejumpcut.org/archive/jc57.2016/-Feder-JuhaszTransActivism/text.html
  • Tweets de Laurier, https://twitter.com/Laurier_the_Fox/status/1312121791788195840

ℹ Relecture et traduction des extraits de l’interview de Sam Feder par Chloé Hatimi.

A Good Man (2020), critique d’une personne trans

A Good Man, réalisé par Marie-Castille Mention Schaar, est un film qui a déjà beaucoup fait parler de lui. Il raconte l’histoire de Benjamin et Aude qui veulent être parents, mais Aude ne pouvant porter d’enfants, c’est Benjamin qui se propose pour le faire.

Une polémique sur le choix de noémie merlant

Le film a d’abord fait polémique par son synopsis révélant le prénom de naissance de Benjamin, puis à nouveau lors de l’annonce du casting de Noémie Merlant dans le rôle du personnage principal trans. L’explication dans la note d’intention est insuffisante : il n’y aurait tout simplement pas assez d’acteurs trans en France. L’enquête #ActoraTrans prouve que ce n’est pas le cas (résultats complets disponibles ici).

« Les acteurs trans FTM (female to male) se comptent sur les doigts de la main. »

Extrait de la note d’intention présente dans le document de présentation à la presse (modifié par le diffuseur depuis)

En réaction à la diffusion de cette note d’intention et à l’annonce de sa programmation au Festival de Deauville, Charlie Guibert et moi-même avons organisé un rassemblement. Ce rassemblement ne visait pas particulièrement ce film mais toute l’industrie du cinéma qui oublie encore et encore nos existences, qui ne nous inclut pas dans les projets et qui se sert de nos histoires.

Organisé très tardivement et très rapidement, ce rassemblement du 6 septembre n’a pas réuni beaucoup de monde. Il en est tout de même ressorti une rencontre avec l’équipe du film dont Marie-Castille Mention-Schaar, Noémie Merlant et Jonas Ben-Ahmed. Cette rencontre s’est faite grâce à Jonas, que je connaissais déjà personnellement.

Nous avons ainsi pu mieux comprendre le casting : les canaux habituels de l’industrie n’ont pas connaissance de beaucoup d’acteurs trans. De plus, un directeur de casting, connu pour son travail sur des projets LGBTQ+, a effectivement refusé de travailler avec eux. Parmi les acteurs trans que la réalisatrice a rencontrés, aucun ne correspondait au Benjamin qu’elle avait en tête. Alors, préférant travailler avec un·e acteur·ice expérimenté·e, elle a choisi Noémie Merlant, avec qui elle avait déjà collaboré sur trois autres films.

Une histoire inspirée de faits réels

Marie-Castille Mention-Schaar a décidé de faire ce film après avoir participé à la production du documentaire Coby (2018), réalisé par Christian Sonderegger, également co-scénariste de A Good Man. Elle s’est basée sur la vie de Thomas Beatie, médiatisé comme étant le premier homme enceint, et de Jacob Hunt, déjà sujet du documentaire Coby. Par exemple, la compagne de Thomas Beatie ne pouvait pas porter d’enfant, comme Aude dans le film. Le personnage de Benjamin fait le même métier que Jacob : secouriste. Des moments du documentaire ont également été réécrits et figurent dans le film. La réalisatrice s’est aussi rapprochée de pères trans ayant fait leur parcours en France, ainsi que de Laurence Hérault, chercheuse en sciences sociales à l’Université d’Aix-Marseille.

Jonas Ben Ahmed au 46e Deauville American Film Festival (04/09/2020)
à Deauville. (Photo par Foc Kan/WireImage)

Un autre point abordé dans la note d’intention est celui du choix de Jonas Ben-Ahmed pour interpréter un personnage cis. Jonas Ben-Ahmed est un acteur trans, révélé par son rôle dans Plus Belle La Vie lorsque le soap a abordé la transidentité à travers son personnage d’Antoine. Dans A Good Man, Jonas Ben-Ahmed interprète Niels, caissier au supermarché le jour, barman le soir. Il est présent dans trois scènes et a quelques lignes de dialogues. Sa présence dans l’intrigue n’est pas prépondérante, et c’est dommage parce que je pense qu’il était possible qu’il soit plus présent dans la vie de Benjamin et Aude.

La réalisatrice a fait ce film avec de bonnes intentions en tête, souhaitant donner de la visibilité à ces familles transparentales, mais est-ce suffisant ?

Je n’arrive pas à avoir un avis tranché sur ce film d’un côté ou de l’autre. Le choix d’une actrice cis, malgré toutes les explications, me dérange toujours. Le maquillage, la barbe et les effets spéciaux sur la voix ne m’ont pas convaincu. J’ai pu ignorer ces éléments pendant la majeure partie du film, mais je ne pense pas qu’ils permettent aux personnes trans de s’identifier. Ce choix nuit à l’authenticité de l’histoire et du personnage comme j’ai pu le remarquer dans les premiers retours de personnes cisgenres sur ce film. Ce choix d’une actrice cis crée la confusion.

Dans les critiques que j’ai lues et écoutées, les personnes cis ne savent plus quels pronoms utiliser, pour le personnage, pour l’actrice, pour les flashbacks où on voit Benjamin pré-transition. Et c’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle nous, militant·e·s trans, nous opposons au choix d’un·e acteur·ice cis pour interpréter un rôle trans. Le documentaire Identités trans : au-delà de l’image (2020) de Sam Feder vous en dira beaucoup plus encore sur les représentations trans et l’importance du choix d’un·e acteur·ice trans.

J’ai apprécié plusieurs moments du film, notamment les scènes où Benjamin est clairement enceint car ce ne sont pas des images que l’ont voit d’habitude au cinéma. J’en suis ressorti avec le sentiment d’avoir passé un bon moment tout de même, et pour moi, les points positifs l’emportent sur les points négatifs. Je pense pouvoir recommander ce film aux personnes trans sans avoir à les avertir de quelconques scènes dérangeantes. Ce qui est assez rare pour le noter.

Je note positivement que le film n’a pas consacré de scène à faire de la pédagogie sur la transidentité. Ces scènes sont clairement destinées à un public cisgenre, et lorsqu’elles sont présentes dans un film, donnent l’impression que le public trans n’a pas été pris en compte. Le film, basées sur des faits réels, n’est pas plus dramatique que la réalité. Les scènes de violences transphobes (qui ne sont jamais physiques) n’ont pas pour but de créer de l’empathie envers Benjamin. Contrairement à beaucoup de films sur la transidentité, ce n’est ni une histoire de coming-out ni une histoire de transition.

Ma critique est personnelle, motivée par le besoin d’écrire après avoir vu trop de critiques d’hommes cisgenres énervés sans réels arguments. Mon avis est le mien et j’invite les personnes qui l’ont vu à me contacter pour en discuter car j’aimerais beaucoup avoir d’autres avis de personnes concernées (trans ou proches).

(critique mise à jour en septembre 2021)