Tableau noir avec un texte écrit à la craie "Hello, my name is..."

Les critères du regard cis 1 à 1 (6/20)

Note : Bonjour et déjà : pardon, ça fait longtemps. Je vous avais promis un article par mois pour arriver au bout des articles détaillés sur les critères du regard cis, mais après le 5ème le rythme est devenu intenable. Après j’ai culpabilisé et du coup j’ai procrastiné. Après vous avez été plusieurs à me dire que mes articles étaient utiles et du coup merci, vous permettez à cet article sur le 6ème critère du regard cis au cinéma d’exister ! C’est parti.

Pour ce sixième article détaillé, nous allons parler de l’utilisation volontaire du deadname et du mégenrage dans les films sur les personnes trans. Pour vous donner un ordre d’idée de la fréquence de cet usage, le film référencé sur Représentrans qui coche le moins de critères coche celui-ci (il s’agit de Rurangi, 1 critère coché et encore, le son est “flouté”) ; et sur les 12 films recensés pour le moment, 9 le cochent. Il s’agit à priori du 3ème critère le plus présent dans les productions autour d’un personnage trans, juste derrière les critères “le personnage s’habille ou se maquille” et “le personnage est victime d’une agression”.

Mégenrage et deadname : des violences transphobes banalisées par le cinéma

Cela nous permet une très bonne transition vers le premier point de cet article : l’utilisation du deadname d’une personne trans et / ou son mégenrage, que ce soit volontaire ou non, répété ou non, sont des formes de violences transphobes.

Dans les films, ces procédés de violence verbale sont utilisés notamment dans les cercles proches des personnes trans, par des personnes de confiance. Parmi les innombrables exemples, nous pouvons citer :

  • Gerda, dans The Danish Girl (Tom Hooper, 2015), qui réclame son “mari”. Au sein de son couple, Lili est victime d’une violence quotidienne et psychologique. L’usage du deadname du personnage et son mégenrage sont répétitifs.
  • Le petit frère complice de Lara, dans Girl (Lukas Dhont, 2017), utilise son deadname dans un moment d’énervement. L’enfant sait qu’il n’a pas le droit de l’utiliser et le fait, dans le contexte, pour provoquer la stupeur du personnage trans.
  • Dans Lola vers la mer (Laurent Micheli, 2019), la jeune femme fait face à du mégenrage et la mention de son deadname par son père à plusieurs reprises.
  • C’est le cœur de l’histoire dans Tomboy (Céline Sciamma, 2011) dont l’ouverture finale est la demande, par l’amoureuse, de ce “vrai” prénom.

Côté séries, alors qu’elles sont applaudis pour une représentation plus juste : Buck dans The OA (Zal Batmanglij et Brit Marling, 2016-2019) et Nomi dans Sense8 (Lana et Lilly Wachowski, 2015-2018) subissent toustes les deux le mégenrage et les mentions de deadname de la part de leurs familles biologiques.

En vrac, c’est également le cas dès le titre dans le téléfilm de TF1 Il est elle (Clément Michel, 2020), dans Une Nouvelle Amie (François Ozon, 2014), dans Une Femme Fantastique (Sebastian Lelio, 2017), dans la saison 1 d’Océan (Océan, 2019)…

Le deadname et la position d’allié-e :

• On ne demande pas le “vrai” prénom / l’ancien prénom / “le-prénom-que-tes-parents-t’ont-donné” à une personne trans ni à toute personne en ayant changé. Si elle veut vous le dire, elle vous le dira. Sinon, à quoi vous servira cette information ? La crainte est donc que si vous demandez le deadname d’une personne trans, c’est que vous comptez vous en servir pour vous moquer / blesser / humilier / outer la personne. • On s’adresse à une personne trans/ on parle d’elle avec le prénom qu’elle utilise ou avec un surnom cool dont elle a connaissance (par exemple “mon pote trans” c’est pas un surnom cool ; “Charlito” c’est un surnom cool).
Attention : certaines personnes trans ne changent pas de prénom et / ou n’ont pas d’aversion particulière pour leur prénom de naissance, voire l’apprécient. Ce n’est jamais (à ma connaissance) montré.

Comment évaluer ce critère ?

Dans ce critère il y a aussi un mot clé qui fait toute la différence : volontairement. En effet, combien de personnes trans ont entendu, après leur coming-out, leurs proches leur demander “tu m’excuseras, je risque de faire des bourdes” ? Beaucoup. Combien savent faire la différence entre une personne qui effectivement se trompe et une personne qui n’y met aucune volonté ou bien le fait volontairement ? Beaucoup (si ce n’est toutes).

Cependant, la question de la volonté ici ne se pose pas vraiment : les personnages n’ont pas de volonté propre, iels disent ce qui a été écrit pour elleux. Derrière le scénario, il y a l’intention. On peut donc présupposer que tout mégenrage et / ou mention de deadname dans une œuvre de fiction est volontaire.

La question qu’on peut alors se poser c’est : quel est l’intérêt, dans l’histoire, de mégenrer / deadnamer son personnage ?

To mégenrer or not to mégenrer, telle est la question

On sort ici de ce qui était expliqué précédemment, à propos de l’intérêt général de connaître le deadname de quelqu’un-e, pour se tourner vers l’intérêt dans la construction d’une histoire. Si ce critère est aussi présent, c’est d’une part parce qu’il traduit une violence bien réelle pour la plupart des personnes trans et c’est cette violence que les récits vont chercher à illustrer.

D’autre part, les fictions sur les personnes trans accordent (trop) souvent une place importante à la douleur des proches face à la transition. C’est un sujet que nous aborderons à travers un autre critère mais qui peut déjà nous éclairer ici.

En effet, si le deadname ou le mégenrage vient fréquemment d’une personne proche du personnage trans, c’est parce que le récit est avant tout écrit pour permettre aux proches de personnes trans, d’avoir un repère auquel iels peuvent se rattacher. Même si l’utilisation d’un deadname n’est pas montrée comme un comportement à encourager, elle traduit avant tout la difficulté de l’entourage ; elle vient légitimer le vécu de tous les parents qui, à l’image de la mère dans Sense8 ou du père dans Lola vers la mer, ne comprennent pas ce “choix” de leur enfant ; de toustes les partenaires qui, à l’image de Gerda réclament leur époux-se “perdu-e”…

Ce qui transparaît alors ce n’est pas tant la violence pour les personnes trans que celle pour les personnes cis d’utiliser les bons mots, le bon prénom, les bons accords. La plupart des parents / partenaires / proches le diront d’ailleurs au cours du film : c’est difficile pour elleux aussi…

Au final, l’intérêt pour l’histoire reste relativement nul et bien souvent, à l’image des 6 secondes d’homosexualité de Dumbledore dans le dernier film des Animaux Fantastiques, on pourrait retirer tous les mégenrages et utilisation de deadname que ça ne changerait pas grand chose à l’histoire : les parents resteraient maltraitant-es, les couples se briseraient toujours, bref, la routine.

Si vous n’êtes toujours pas convaincu-es : 2 arguments chocs

Vous ne rendez service ni à votre personnage trans ni à la communauté trans en mégenrant / deadnamant votre personnage.

En effet, déjà que la transidentité n’est pas simple à comprendre pour une grande partie des personnes cis, vous risquez d’ajouter à la confusion. On peut en effet partir du principe que si, tout au long du film, le pronom “elle” et le féminin sont utilisés, le public a plus de chances de mémoriser et d’assimiler qu’il s’agit du bon pronom. Cependant, à partir du moment où le personnage est mégenré, le public ne sait plus s’il faut dire il ou elle.

L’illustration parfaite : la promotion du film Girl. Alors que Lukas Dhont et Victor Polster sont invités sur le plateau de Laurent Ruquier (On n’est pas couchés, 11 mai 2018) ce dernier mégenre plusieurs fois violemment le personnage et dit par exemple “il veut être danseur étoile”. Il n’est jamais corrigé par l’acteur ni par le réalisateur… Pour justifier ce mégenrage et cette confusion, Ruquier souligne le fait que dans le film, le personnage est appelé une fois “Victor”. C’est non seulement le deadname du personnage mais en plus le prénom de l’acteur qui l’incarne. Comment créer la confusion : cas d’école.

On peut raconter des histoires sans mégenrer / deadnamer un personnage trans

Pour ça, il suffit de changer de perspective et d’avoir en tête les enjeux mentionnés précédemment. Dans la série WIP (Abby McEnany et Tim Mason, 2020-2022), Abby apprend par inadvertance le deadname de Chris, son petit ami. Le prénom n’est cependant pas lisible car flouté, et lorsqu’il est prononcé à l’oral, l’audio est modifié. Lae spectateur-trice a donc bien compris ce qu’il se passe sans avoir connaissance du deadname.

L’intérêt de ces scènes n’étant pas le prénom en lui-même, il n’est pas nécessaire de le connaître, ni pour les auteurices d’en trouver un.

Pour éviter d’avoir recours à des effets spéciaux visuels ou sonores, il est tout à fait possible que cela se passe par le dialogue. Par exemple, un personnage trans parlant d’un proche ne l’ayant pas respecté : “Ma grand-mère est bien gentille de prendre de mes nouvelles mais elle n’a toujours pas compris que je ne lui répondrai plus tant qu’elle ne m’appellera pas correctement”. 

Cela peut permettre de faire aborder par vos personnages les difficultés qu’iels rencontrent au quotidien avec les processus de genrement arbitraires et de leur permettre ainsi d’avoir une voix active et pédagogique permettant au public de comprendre les conduites à avoir / ne pas avoir. Un autre exemple : “Qu’est ce que ça coûte à la pharmacie de juste dire “bonjour” ? Pourquoi toujours insister sur le “madame/monsieur” ?”

C’est terminé pour moi sur ce critère, n’hésitez pas à me faire vos retours sur le sujet et à diffuser ce petit tuto à vos ami-es réal / scénaristes.

PS : désolé de ne vous avoir rien donné pendant 10 mois et de revenir avec un article de 4p.

Focus sur les représentations trans à la télévision

La 5e édition du festival CANNESERIES s’est déroulée du 1er au 6 avril et a réuni des séries du monde entier en mettant l’accent sur « la créativité et l’audace ». 

Outre ses partenariats avec des associations telles que 1000 visages, Passeurs d’images et le Collectif 50/50, CANNESERIES présente deux prix non genrés depuis sa première édition en 2018 : le Prix de la meilleure interprétation qui récompense une performance individuelle, et le Prix spécial de l’interprétation qui récompense une performance d’ensemble. Un troisième a été intégré récemment, le Prix Dior de la Révélation, récompensant une performance dans une série courte.

Avec une telle actualité, nous avons décidé de partager avec vous une synthèse des représentations transgenres à la télévision

Un certain retard français

En France, l’ARCOM, Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (organisme issu de la fusion du CSA et de HADOPI) « est chargé, par la loi, de faire appliquer une juste représentation de la diversité de la société française dans les médias audiovisuels (télévision et radio) et sur tous leurs supports. ».

L’ARCOM n’indexe pas les personnages transgenres. Nous n’avons donc pas de données chiffrées à vous partager sur les personnages trans diffusés à la télévision française et sur les plateformes numériques.

Cependant, nous pouvons tout de même citer les 5 personnages suivants :

  • Max dans la série Skam France (France TV Slash),
  • Morgane Guého dans le feuilleton quotidien Demain Nous Appartient (TF1),
  • Eliott dans le feuilleton quotidien Ici Tout Commence (TF1),
  • Elijah dans la série Les Engagés (France TV Slash),
  • et Léna dans la série La Faute à Rousseau (France 2). Le professeur de philosophie accueillera cette élève trans en deuxième saison. Ce personnage écrit avec l’accompagnement de Représentrans est interprété par Andréa Furet, actrice trans.

Pour la saison télé 2021-2022, nous comptabilisons donc 2 femmes, 2 hommes, et 1 personnne non-binaire. Léna est le seul nouveau personnage de cette saison TV.

« Où nous sommes à la télévision »

Si les données en France sont insuffisantes, le travail de GLAAD nous offre une visibilité chiffrée sur une partie des représentations auxquelles nous sommes exposé·e·s, les séries américaines étant largement diffusées de notre côté de l’Atlantique. 

Depuis 2005, GLAAD publie annuellement le rapport « Where We Are On TV » qui comptabilise les personnages LGBTQ présents dans le paysage audiovisuel américain. Les personnages comptabilisés sont ceux présents dans les séries diffusées pendant la saison TV : du 1er juin 2021 au 31 mai 2022 (en fonction de leur date de diffusion confirmée par les chaînes et plateformes) à la télévision, sur le câble et sur les plateformes de streaming. Les unitaires ne sont pas pris en compte.

Ce rapport évolue au fur et à mesure que la télévision américaine change. Avec l’engouement récent pour les plateformes numériques lié à la pandémie, GLAAD a ainsi élargi son panel de chaînes. Grâce à de nouvelles représentations de plus en plus inclusives, GLAAD a également fait évoluer leurs différentes catégories LGBTQ.

Ainsi, « Where We Are On TV » comprend désormais une catégorie non-binaire ainsi qu’une catégorie asexuelle. La catégorie non-binaire est différenciée de la catégorie trans car GLAAD a noté que le sens du mot s’est élargi et que toutes les personnes non-binaires ne s’identifient pas comme trans. En ce sens, les personnages non-binaires non identifiés comme trans dans la série même ou par la chaîne sont comptabilisés dans cette nouvelle catégorie.

GLAAD : association américaine de veille médiatique œuvrant à dénoncer les discriminations et les attaques à l’encontre des personnes LGBTQ au sein des médias.

Que de progrès depuis 2005

Dans la première édition de « Where We Are On TV » il y a 17 ans, seuls 12 personnages LGBTQ avaient pu être comptabilisés. En 2019, le nombre de personnages a passé la barre symbolique des 10% pour la première fois. Dû à l’impact de la pandémie sur les productions, le rapport 2020 avait indiqué une baisse du nombre de personnages LGBTQ, représentant alors seulement 9,1 % des personnages.

Cette année, GLAAD comptabilise 637 personnages LGBTQ à la télévision et sur les plateformes US. Un chiffre record, représentant 11,9 % des personnages. Sur ces 637, les personnages trans sont au nombre de 42, soit 6 % des personnages LGBTQ, et moins de 1 % des +5300 personnages présents sur les écrans.

Si le nombre de personnages trans est record, le pourcentage parmi les personnages LGBTQ est lui en baisse. Cela s’explique par une augmentation des personnages LGBQ cisgenres.

Qui sont ces personnages trans ?

Parmi les 42 personnages trans, 13 sont nouveaux. Et sur les 36 séries qui incluent ces personnages, 10 sont nouvelles ! Malheureusement, il est déjà annoncé que 7 de ces 36 séries ne reviendront pas la saison prochaine (fin de série ou série arrêtée).

On compte dans ces personnages 20 femmes, 14 hommes et 8 personnes trans non-binaires. 18 d’entre elleux sont blanc·he·s, 9 sont latinx, 6 sont noir·e·s, 4 sont asiatiques ou insulaires du Pacifique et 4 sont métis·ses ou d’autres ethnicités (catégories présentes dans le rapport de GLAAD).

Sur ces 42 personnages, 20 sont identifiés comme hétérosexuels, 7 sont bisexuel·le·s, 1 est gay et 1 est lesbien. 13 ont une orientation sexuelle non-identifiée (et non confirmée par la chaîne). Cela s’explique par le jeune âge de certains personnages ou encore par l’absence d’histoire romantique, mais également par un manque de vision ou encore une certaine ignorance quant à la différence entre identité de genre et orientation sexuelle.

Où sont-iels ?

Les séries accessibles gratuitement comptent seulement 8 personnages trans : 4 femmes et 4 hommes. Les séries listées par GLAAD sont (les séries soulignées sont accessibles en France) : Supergirl, 4400 (Syfy), Coroner, Charmed, New Amsterdam, 9-1-1 Lone Star (M6), Big Sky.

Les séries accessibles par le câble comptent seulement 8 personnages également : 2 femmes, 4 hommes et 2 personnes trans non-binaires. Les séries listées par GLAAD sont : Euphoria, Good Trouble, Single Drunk Female, Somebody Somewhere, Billions, The L Word : Generation Q, The End.

Ce sont évidemment les séries des plateformes numériques qui comptabilisent le plus de personnages trans : 14 femmes, 6 hommes, 6 personnes trans non-binaires. À noter qu’Apple TV+ et Disney+ n’avaient pas de personnages trans. Les séries listées par GLAAD sont (liste non-exhaustive) : Sort Of (Canal+ et Salto), Dafne and the Rest, With Love, Sex Education, Cowboy Bebop, Dear White People, Heartstopper (à venir sur Netflix), Sandman (à venir sur Netflix), Star Trek Discovery, Saved by the Bell.

La catégorie non-binaire comptabilise 17 personnages que vous pouvez retrouver dans les séries suivantes (liste non-exhaustive) : Grey’s Anatomy, Another Life, Motherland: Fort Salem, Feel Good, And Just Like That, The Sex Lives of College Girls, The Girl in the Woods, Ridley Jones, Rutherford Falls.

Des chiffres prometteurs

Les mots de Nick Adams, vice-président, GLAAD Media Institute & Transgender Advocate :

« C’est merveilleux de voir plus de personnages trans apparaître dans des comédies, car cela permet aux gens de rire avec nous, et non de nous. Cependant, il y a encore des efforts à faire, car 9 des 11 comédies qui incluent des personnages trans sont sur des plateformes de streaming. Il n’y a pas de personnages trans dans les comédies diffusées à la télévision. Nous espérons également voir plus de créateurices raconter des histoires de personnes trans dans des relations amoureuses – en particulier des relations lesbiennes, gays et bisexuelles. À la télévision, seuls 5 % des personnages trans sont lesbiennes ou gays, ce qui ne reflète pas fidèlement la communauté. Enfin, alors que les chaînes et les services de streaming planifient leur programmation, nous espérons qu’ils utiliseront ce rapport pour comprendre en quoi la représentation trans peut être améliorée, et qu’ils tendront la main à GLAAD et aux scénaristes, réalisateurices et producteurices trans pour continuer à créer des personnages et des intrigues trans et non binaires plus nuancées et plus complexes à la télévision. »

(traduction par Gab Harrivelle)

Un grand pouvoir implique une grande responsabilité

Cette citation de cinéma s’applique très bien au paysage audiovisuel, américain comme français. Les séries ont elles aussi ce lourd pouvoir des représentations, concret et quantifiable.

C’est le think tank Le Lab Femmes de cinéma qui nous le rappelle dans leur note « La parité et la mixité dans les séries : où en sommes-nous ? » (avril 2022).

La série Friends comme la série Modern Family ont changé les regards des américains sur les lesbiennes, les gays et le mariage pour tou·te·s. Vous pouvez en apprendre plus dans le lien ci-dessus, page 5 particulièrement. 

Le Lab Femmes de cinéma indique également qu’en France, en 2019, 66 % de la population regarde une série au moins une fois par semaine et 92 % en regardent régulièrement.

Ces chiffres associés aux impacts tangibles sont preuves de l’importance des représentations. Il est crucial de les penser au-delà des images et d’inclure la diversité de la société derrière les caméras.

Nous espérons que les chaînes et les plateformes verront dans notre article des pistes d’amélioration des représentations trans en France et qu’iels se tourneront vers les personnes à même de les aider, telles que Représentrans pour les représentations trans et non-binaires.

Collaborez avec nous !

Nous pouvons vous accompagner dans votre recherche d'acteur·ice·s, dans la relecture de votre scénario, la pédagogie auprès de votre équipe, dans la création d'une représentation des transidentités plus juste en somme.

Relecture par Chloé Hatimi

Pourquoi vous ne pouvez pas comparer les personnes trans’ avec les elfes…

… et autres zombies, orcs, aliens, etc.

 

En réalité, sur certains points, vous pouvez comparer les personnes trans’ à des elfes. Par exemple, nous avons beaucoup de style, des capacités surnaturelles et tous les vêtements nous vont. 

 

Mais si je soulève la question aujourd’hui, c’est à cause de certaines réactions à l’article de Gab intitulé “est-ce que les rôles trans devraient être joués par des acteur.ice.s trans ?”. Sous le post instagram correspondant, un commentaire demande “mais on fait comment pour les films de zombies ?”, tandis qu’une story dénonce la condition des pauvres elfes dans le Seigneur des Anneaux, joués par des humain.es tel.les qu’Orlando Bloom ou Liv Tyler. 

Ce n’est ni la première, ni la dernière fois, que ce genre de remarques fleurissent aussi il me semble important de rappeler que (désolé pour la déception) : les elfes n’existent pas. Pas plus que les sirènes, les centaures, les zombies et tout un tas de créatures fantastiques ou inventées. Par conséquent, il n’existe pas d’acteur.ices elfes, sirènes, centaures, zombies etc, bref, vous avez l’idée. En revanche, vous savez ce qui existe ? Les acteur.ices trans’ ; et le combat mené pour qu’iels aient accès à l’industrie du jeu au même titre que leurs comparses cis. 

Donc, pour faire simple : vous ne pouvez pas comparer un truc impossible à accomplir, avec un truc potentiellement possible à accomplir et dont le non-accomplissement est largement dû à un système transphobe

 

Ce n’est pas pour rien si l’article sur l’actorat trans a été (de loin) le plus lu et partagé de notre page : aujourd’hui c’est une question qui concentre les débats et cristallise la transphobie. Débattre en boucle de qui doit ou ne doit pas jouer une personne trans’, c’est faire l’impasse sur l’écriture du personnage ; sur son temps de parole à l’écran ; sur son temps de nudité à l’écran ; sur tous les stéréotypes que l’on retrouve. 

Oui, dans un monde idéal où tout est bien représenté, où la transphobie n’existe pas, peut-être, qu’alors, on pourrait accepter que des personnes cis jouent des personnages trans’… Mais à l’heure où les écarts de niveau de vie se creusent entre personnes cis et trans’, à l’heure où l’accès à un emploi est inégal ; à l’heure où l’un des ressorts les plus violents de la transphobie est l’idée que nous nous déguisons pour tromper les cis : les personnes trans doivent jouer les personnages trans. 

 

Et pour la question des personnages gays / lesbiens, est-ce que cela voudrait dire que seules des acteur-ices gays / lesbiennes pourraient les interpréter ? À notre sens oui, pourquoi pas ? 

Mais là encore, l’actorat ne devrait pas être le seul enjeu. Quand un film sur une romance homosexuelle est écrit, on peut vite sentir si la plume est hétéronormée ou non. On ne peut pas dire que les représentations lesbiennes et gays à l’écran soient incroyables jusqu’à maintenant… Entre les couples avec 20 ans d’écart, les relations toxiques, les tromperies, les morts, les scènes de cul bien fétichistes… franchement, on mérite mieux. 

 

Et pour être vraiment clair : on ne demande pas à ce que les acteur-ices trans’ ne puissent jouer QUE des personnages trans’ / clairement identifiés en tant que tels. D’après notre enquête, 95% des répondant-es souhaitent interpréter des rôles trans / non-binaires, mais pas exclusivement et seulement 3% souhaitent n’interpréter que des rôles trans / non-binaires;) 

L’idée donc, pour simplifier : toustes les acteur-ices trans’ ne doivent pas jouer que des rôles de personnages trans’ mais tous les rôles de personnages trans’ doivent être donnés à des acteur-ices trans’ (qui existent en grand nombre… contrairement aux elfes).

Les critères du regard cis 1 à 1 (2/20) 

On poursuit aujourd’hui notre analyse détaillée des critères du regard cis dans l’audiovisuel en nous intéressant au second critère : “le personnage trans’ est félicité-e car iel rentre dans une norme cis centrée”. Comme les quatre premiers, ce critère a été pensé dans un premier temps par Nissa Mitchell et à lui tout seul, il peut faire écho à la deuxième partie de la définition du regard cis qui dit que les représentations trans’ “ne remettent pas en question l’hégémonie de ce regard et [se conforment] à des stéréotypes établis”. 

Dans les faits, il est plus courant qu’un personnage cis s’offusque de ne pas avoir deviné qu’un personnage était trans’ plutôt que de lui adresser des félicitations. Il s’agit d’un schéma de narration courant dans le cadre de la représentation de relations amoureuses dans lesquelles une personne ne révèle pas immédiatement sa transidentité. C’est le cas par exemple dans la saison 2 de la série Les Engagés (2018), à l’amorce de la relation entre Elijah et Hicham ou encore dans le film Port Authority (2019) dans le cadre de la relation entre le personnage principal, Paul, et Wye, interprétée par Leyna Bloom. Dans les deux cas, la réaction de dégoût est montrée comme réprimandable, ce qui était loin d’être le cas dans Ace Ventura (1994) dont les scènes transmisogynes sont tristement connues. 

Ce n’est donc pas la capacité à passer des personnages trans’ qui est félicitée. Celle-ci est au contraire une manière de présenter ces personnages comme déloyaux mais c’est un point que nous aborderons plus tard. 

Ce que les personnes cis apprécient, dans les fictions comme dans le public, c’est lorsqu’elles ont connaissance de la transidentité d’une personne et qu’elles peuvent y apposer un sceau d’approbation conditionné par la normativité de l’apparence de la dite personne. En effet, il est fréquent de voir les médias ou le public cis féliciter un film a posteriori car celui-ci met en scène des personnes trans’ “””normales””” et ne tombe pas dans le piège des “thématiques sociales inhérentes au genre” (coucou les commentaires du public sur la page AlloCiné de Girl). Derrière ces félicitations il y a un remerciement, à demi-mot, “merci, de ne pas être trop queer”… On félicite le personnage qui est conforme car grâce à lui le public n’aura pas à remettre en question ses propres conceptions du genre, il sera conforté. Mettre en scène des personnages cis qui félicitent un personnage trans’ cisnormé et binaire c’est un peu créer un écho sans fin entre la réception du film et son contenu. 

Ce critère conditionne les parcours trans’ que le cinéma accepte de représenter. 

En effet, si dans les films grand public on ne voit pas de personnes trans’ qui ne font pas de transition, de personnes non-binaires, de personnes qui passent leur temps à questionner leur genre, de personnes non-conformes dans le genre ou de personnes dont l’identité et l’expression de genre diffèrent, c’est parce que toutes ces représentations rendraient trop visibles toutes les questions que soulèvent la transidentité à propos de la construction des genres et de la binarité. C’est aussi pour ça que les personnages trans’ gays ou lesbiennes ne trouvent pas leur place sur le grand écran : la cisnormativité se double d’hétéronormativité

En somme, il y aurait d’une part les personnes trans’ respectables, acceptables car invisibles par la manière dont elles se fondent dans la masse cisnormée ; et d’autre part les trop visibles, les pas assez binaires, les queers, celleux qui desservent la cause en remettant en question les normes binaires faites par et pour le confort des cis. 

Ce que je dis là ça ne veut pas dire qu’une personne trans’ / un personnage trans’ sera moins exposé-e à la transphobie en se conformant aux normes binaires et ciscentrées. La transphobie systémique (médicale, familiale, administrative…) se fiche souvent pas mal de savoir si nous sommes les bon-nes ou les mauvais-es trans’. Mais encore une fois c’est à travers la multiplicité et l’invariance des représentations qu’il faut envisager ce critère. Il n’est pas anodin que chaque réalisateur-trice faisant un film qui met en scène une personne trans’ s’auto-perçoive comme le fer de lance qui fera avancer la cause de cette fameuse communauté. Derrière cette phrase toute faite et pleine de bonne volonté, il y a l’idée de normaliser, de lisser, de montrer que les personnes trans’ sont des gens tout à fait comme les autres, tout à fait comme il faut. Et c’est un peu ça le vrai problème ici… Oui, c’est bien gentil de vouloir montrer qu’on est des humains comme les autres mais ce n’est pas en appuyant sur notre invisibilisation et la nécessité de passer pour cis que les choses vont changer

La visibilité de nos identités a toujours été, et reste aujourd’hui, un outil politique. Nous revendiquons notre droit à exister dans l’espace collectif, que ce soit dans la rue ou dans l’imaginaire à travers des médias comme le cinéma. Ce droit à exister c’est un droit à la pluralité de nos expressions de genre, un droit à la pluralité de nos identités aussi. 

Bref, tout ça ne vous avance pas vraiment sur la manière d’utiliser ce critère dans le cadre de vos visionnages. Mais en fait je crois que même pour moi ça reste assez flou (bonjour l’auto-critique). J’ai l’impression qu’il s’agit vraiment d’un critère qui concerne plus la réception du film que la conception / réalisation de celui-ci. Je me demande s’il faut le cocher à partir du moment où un film met en scène un personnage avec un passing dont on sait qu’il correspond à la norme binaire et ciscentrée ou s’il faut vraiment que les félicitations soient explicitées dans le film… Et vous, vous en pensez quoi ? 

Les critères du regard cis 1 à 1 (1/20)

Dans une série d’articles à venir, je vous propose d’approfondir un à un les vingt critères qui composent l’évaluation du regard cis ! L’idée est d’illustrer ces critères avec des exemples concrets et de discuter de leur pertinence. 

Pour commencer donc, nous allons nous intéresser au premier critère : “le personnage trans’ s’habille ou se maquille”. Comme les quatre suivants, ce critère a été pensé par Nissa Mitchell. Dans son article sur le cis gaze, cette dernière souligne à quel point l’habillement, lorsqu’il n’est pas conforme aux normes de genre, est une source soit de rire soit de pitié pour le public1. Elle rejoint également la pensée de Julia Serano puisqu’elles soulignent toutes les deux “la facsimilation trans” ou “le fait de présenter et décrire les genres transsexuels comme des facsimilés des genres cissexuels2

Concrètement qu’est-ce que ça veut dire tout ça et pourquoi cela devient particulièrement pertinent quand on parle de représentations visuelles des personnes trans’ ? 

Le regard cis préconçoit une idée, une vision des personnes trans’. Dans cette optique, le genre dit “biologique” est mis en opposition avec le genre “construit”. Cette pensée ciscentrée – et évidemment transphobe – nourrit un inconscient collectif dans lequel en tant que personnes trans’, nous nous construisons socialement pour être perçues en tant que le genre auquel nous nous identifions. La notion de construction est centrale et doit être pensée comme une chose péjorative qui repousse les genres des personnes trans’ dans le domaine de l’artifice, du déguisement et du faux.

Cela semble signifier que les producteurs de cinéma, de télévision et de journaux ne se satisfont pas seulement de montrer des femmes trans habillées et maquillées de façon féminine. Ils veulent en plus les voir en train de mettre du rouge à lèvres, d’enfiler une robe et de mettre des talons hauts, donnant ainsi l’impression au public que le genre féminin des femmes trans n’est rien d’autre qu’un masque ou un costume, purement artificiels.
Julia Serano, Manifeste d’une femme trans et autres textes3

On oppose ici un genre qui serait acquis (de naissance, pour les personnes cis), contre un genre qui serait construit (au cours de la vie, pour les personnes trans’). Tout ça, je ne l’invente pas et là encore je ne peux que vous renvoyer à l’écriture de Julia Serano. En effet, on se trouve ici en plein dans ce qu’elle appelle “le cissexisme – c’est-à-dire la tendance à appliquer au genres transsexuels des standards différents de ceux appliqués aux genres cissexuels4

C’est tout bon pour vous ? Ok, parce que c’est vraiment important pour comprendre la pertinence de ce premier critère !

On a beau dire ce qu’on veut à propos des vêtements ou du maquillage qui ne devraient pas être des marqueurs de genre (et c’est bien vrai), il n’en reste pas moins que, socialement et majoritairement, une jupe et des talons hauts par exemple restent identifiés comme des marqueurs de féminité. Dans cette optique, maquiller ou habiller un personnage trans’ à l’écran, ça n’a rien de neutre, sans mauvais jeu de mot. 

Ce que j’ai pu constater de mes visionnages personnels, c’est que la plupart du temps, les scènes d’habillage ou de maquillage des personnes trans’ dans les films font le jeu des stéréotypes de genre. Tous les personnages trans’, comme toutes les personnes trans’, n’ont bien sûr pas pour obligation de détruire à elles seules les normes de genre. Par ailleurs, l’expression de genre la plus en phase avec ce qui est attendu de nous, c’est aussi une garantie supplémentaire (quoique conditionnelle) de sécurité. Cependant les récurrences d’un certain type de représentations devrait nous questionner. 

Pour prendre un exemple très récent, vous avez peut-être vu le documentaire de Sébastien Lifschitz, Petite Fille, diffusé sur Arte5 ? Dans celui-ci, nous pouvons voir à plusieurs reprises Sasha, la petite fille désignée par le titre, qui s’habille. Si cet exemple me semble parlant, c’est parce que les vêtements revêtent une importance particulière pour l’enfant et que les premières secondes du documentaire correspondent à une séance d’essayage dans sa chambre. La miniature du film la représente par ailleurs avec des ailes de fée et on la voit pendant le documentaire essayer un maillot de bain rose ou encore jouer au foot dans son jardin avec des petites chaussures à talon. Attention, mon intention n’est absolument pas de blâmer cette enfant parce qu’elle aime le rose et les talons ! Ce qui me pose question ici c’est ce que le réalisateur du film, un homme cis, et son équipe, décident de montrer d’une personne trans’

À mon sens, l’étalage de gros plans sur les talons et les séances d’essayage à répétition viennent appuyer sur ce point bien spécifique de l’artificialisation du genre. À tant vouloir nous prouver que “mais oui bien sûr que c’est une petite fille ! Regardez comme elle aime les robes, enfin c’est évident, non ?” le film renforce une idée transphobe – et même plus spécifiquement transmisogyne – selon laquelle les filles / femmes trans’ comptent sur des déguisements et surjouent une féminité stéréotypée pour passer6

Performer le genre à travers l’aspect visuel ou le mimétisme est un caractère partagé de toustes ; que l’on soit des enfants, des adolescent-e-s ou des adultes ; que l’on soit cis ou trans’. Pourtant, cet aspect performatif n’est particulièrement épié et critiqué que lorsqu’il intervient dans le processus d’identification et de socialisation d’une personne trans’. On va alors dire de cette enfant qu’elle est influençable, qu’elle ne peut pas juste faire semblant…

Est-ce qu’un film sur une personne cis s’attarderait aussi longtemps sur ces mêmes aspects de mimétisme ? Quand bien même ce serait le cas, la démonstration ne serait pas la même. Ici, en soulignant la manière dont Sasha s’habille, on souligne l’écart avec ce qui est attendu, on souligne la difficulté, on souligne les problèmes que cela peut poser et on souligne la construction, l’artifice, le déguisement (encore une fois il n’est pas anodin de représenter la petite fille déguisée en fée sur la miniature…). 

Ce premier critère est donc intéressant à mon avis car, une fois que l’on dépasse l’énoncé particulièrement simpliste, on trouve derrière des mécanismes bourrés de violences symboliques et sociales. Montrer une scène d’habillage en soi n’a pas de valeur. Ce qui crée cette valeur c’est aussi l’accumulation, la multiplication de ces représentations et pourtant leur manque de diversité. Dans Petite Fille ce sont de multiples essayages de robes et de parures ; dans The Danish Girl7 c’est aussi un essayage de robe qui provoque la révélation du personnage de Lili ; dans Tomboy8 la robe fait office de punition… Le traitement de ces personnages et de leurs habillements confortent des normes ciscentrées et binaires dans lesquelles les multiplicités des identités trans’ et de leurs expressions sont effacées

En remplissant la grille d’analyse, on peut alors décider de ne pas cocher ce premier critère si l’on voit simplement une scène où le personnage enfile un t-shirt au saut du lit par exemple. En revanche, il devient important de noter ces séquences si elles sont récurrentes ou bien si elles agissent comme des moments quasi-magiques de révélation pour le personnage et / ou ses proches. 

Il y a un monde entre rester dans le déni et dire que tous les personnages trans’ n’ont pas pour vocation de révolutionner les représentations, et ne jamais faire l’effort de fournir le moindre personnage qui aille effectivement dans ce sens. L’argument, lorsqu’il est invoqué par un-e n-ième réalisateur-ice cis, peut légitimement nous énerver et nous pousser à répondre : en 120 ans de cinéma et presque autant de représentations de personnages non-cis, combien ont réellement été pensés pour ne pas satisfaire un regard cis ? Si ce critère mérite sa place en tant que premier marqueur du cis gaze au cinéma, c’est bien parce que la manière dont un personnage trans’ exprime son genre à l’écran est définie par les attentes ciscentrées qui pèsent sur les vies des personnes trans’.

 

 
Notes
1. https://transsubstantiation.com/the-cis-gaze-6c151f9374ca
2. SERANO Julia, Manifeste d’une femme trans et autres textes, éditions Cambourakis, 2020, p 118.
3. SERANO Julia, Manifeste d’une femme trans et autres textes, éditions Cambourakis, 2020, p 40.
4. SERANO Julia, Manifeste d’une femme trans et autres textes, éditions Cambourakis, 2020, p 103.
5. LIFSCHITZ Sébastien, Petite Fille, 2020. Pour le voir : https://www.arte.tv/fr/videos/083141-000-A/petite-fille/
6. Le concept de passing pour une personne trans’ correspond au fait de chercher à être perçu-e socialement comme le genre auquel on s’identifie. Il repose sur des stéréotypes binaires et ciscentré et attribue une valeur différente aux genres des personnes cis et trans’. À ce sujet, Julia Serano dit également beaucoup au cours d’une longue sous partie intitulée “l’obsession du passing” : SERANO Julia, Manifeste d’une femme trans et autres textes, éditions Cambourakis, 2020, p 125 à 129.
7. HOOPER Tom, The Danish Girl, 2015.

8. SCIAMMA Céline, Tomboy, 2012.

Comment utiliser le test du cis gaze ?

À l’occasion de mon précédent article « Le cis gaze en bref », je vous avais rapidement présenté la notion de cis gaze et à cette occasion, vous aviez pu découvrir la liste des critères permettant d’établir si un film met en avant un regard cis sur les transidentités. 

Dans ce nouvel article, il me semble important de détailler l’utilisation qui peut être faite de cette liste. Pour rappel, voilà les critères énoncés :

Le personnage trans’ :

  1. s’habille / se maquille
  2. est félicité·e car iel rentre dans une norme ciscentrée
  3. fait face à une remarque qui souligne le fait que nous n’aurions jamais pu deviner qu’iel était trans’
  4. est travailleuse·eur du sexe (et ses collègues sont également trans’)
  5. a un comportement de prédateurice / est déloyal·e
  6. est appelé·e par son deadname / mégenré·e volontairement
  7. suit un parcours médical et l’on peut voir ses prises d’hormones et / ou des opérations chirurgicales / esthétiques liées à son parcours de transition
  8. a pour préoccupation centrale ou unique sa transition
  9. voit ses organes génitaux exposés à l’écran et / ou à d’autres personnages sans son consentement
  10. cause la détresse émotionnelle de l’un·e de ses proches
  11. est la victime passive d’une agression
  12. se fait du mal, de quelque manière que ce soit
  13. voit son identité remise en question par un personnage cis
  14. voit son identité validée par une analyse psychiatrique
  15. imite un personnage cis pour performer son genre
  16. n’a aucune interaction avec d’autres personnages trans’
  17. a des relations amoureuses et / ou sexuelles exclusivement hétérosexuelles
  18. se regarde entièrement nu·e dans un miroir
  19. détourne son regard de son propre corps mais reste exposé·e à au moins un autre regard
  20. est joué·e par un·e acteur·ice cis (surtout si son genre n’est pas conforme à celui du personnage)
Pour rappel, les 5 premiers critères ont été établis par Nissa Mitchell.

Première utilisation : dresser des constats généraux et comparer les oeuvres 

Dans un premier temps, pour amorcer une réflexion et se rendre rapidement compte de l’étendu du cis gaze dans une oeuvre, il peut s’agir de simplement cocher les critères qui nous semblent correspondre.

Cette première étape permet de comparer rapidement les films entre eux. Par exemple, d’après l’analyse de Gabriel Harrivelle et moi-même, le film The Danish Girl (Tom Hooper, 2015) coche 16 des 20 critères tandis que Une Femme Fantastique (Sebastian Lelio, 2017) n’en coche “que” 8, tout comme Lola vers la mer (Laurent Micheli, 2019).

Tous ces films cochent bien plus que trois critères et nous pouvons donc affirmer qu’ils correspondent par de nombreux aspects, à une vision ciscentrée des transidentités. En revanche, si une personne cis nous demande si on connaît “un film qui serait un peu moins pire que les autres par hasard”, alors peut-être éviterons-nous de l’aiguiller vers The Danish Girl

Deuxième utilisation : rentrer dans le détail de l’analyse critique d’un film

Cette liste peut, dans un second temps, nous permettre d’avoir une base afin de dresser un regard critique détaillé sur une œuvre. En effet, chaque critère peut en réalité être pensé le long d’un continuum. 

Par exemple, pour le premier critère, “le personnage trans’ s’habille ou se maquille” : un film ne peut être traité de la même manière si l’on voit simplement le personnage enfiler un t-shirt au saut du lit ou bien si l’on assiste à une séquence entière d’essayages. Dans The Danish Girl (oui, peut-être que je m’acharne), le personnage principal est une femme trans’ et les scènes de maquillage et de démaquillage sont présentées comme centrales dans la construction de son identité. Il s’agit de moments forts de sa transition mais également de mises en scène qui artificialisent son genre, c’est-à-dire de moyens de rendre son identité superficielle et fausse. 

Ce qui peut être noté ici, c’est la récurrence de certains motifs (le nombre de fois où le personnage s’habille ou se maquille) ; le temps à l’écran accordé à ce critère (une scène de quelques secondes ou bien une séquence de plusieurs minutes) ; la mise en scène (la musique de la scène est-elle dramatique ? Est-ce que le personnage semble avoir une illumination en relevant les yeux et en se voyant maquillé-e pour la première fois ? …) ; la manière dont la présence de ce critère renforce des stéréotypes de genre (un personnage trans féminin ne porte que des robes ; enfile des bas ; met soigneusement son rouge à lèvres…). En bref, tout ce qui peut vous sembler pertinent pour souligner la présence d’un critère dans un film et la manière dont il renforce le regard cis. 


Troisième utilisation : se servir de ces constats pour s’améliorer

Pour les créateur-ice-s, la liste de critères peut (et devrait) être un outil de questionnement et une sorte de check-list afin de s’assurer de l’amélioration des représentations des personnages trans’. En effet, si en consultant votre histoire, vous vous rendez compte que vous cochez 14 critères, alors peut-être est-ce le moment de revoir votre écriture et de faire appel à des personnes concernées pour vous épauler. 

Cependant ne soyons pas dupes, certaines personnes trans’ véhiculent également, à travers leurs productions, des éléments du cis gaze. Il est parfois compliqué de réaliser que ce que l’on produit est construit en accord avec ce à quoi nous avons toujours été exposé-e-s et / ou limité-e-s au sein d’un système transphobe. Il nous appartient également de chercher à faire mieux et de ne pas toujours chercher à satisfaire et à rassurer le public cis. 

En tant que public et qu’allié-e-s, ces critères peuvent vous permettre d’évaluer les films que vous décidez d’aller voir et de vous rendre compte des automatismes développés au contact d’images peu variées. La prochaine fois que vous trouverez un film sur une personne trans’ “très beau et incroyablement touchant”, prenez tout de même le temps de consulter les critères et de vous questionner sur ce qui vous touche. 

Il me semble au final que ces critères servent à ouvrir un dialogue et une discussion critique entre ce qui existe et ce qui est possible. Qu’est-ce que vous en pensez ? 

Pour aller plus loin :

  • pour en savoir plus sur la notion de “genre artificiel” : Julia Serano, Manifeste d’une femme trans et autres textes, traduit et publié aux éditions Cambourakis en 2020. 

Collaborez avec nous !

Nous pouvons vous accompagner dans votre recherche d'acteur·ice·s, dans la relecture de votre scénario, la pédagogie auprès de votre équipe, dans la création d'une représentation des transidentités plus juste en somme.

Le cis gaze, en bref

L’an dernier, dans le cadre de mon Master en études de genre, littérature et culture, j’ai rédigé un mémoire intitulé “Le cis gaze reflété au cinéma”. En 200 pages, je reviens sur plusieurs années de représentations de personnages trans’, sur grand écran, en m’appuyant sur des exemples précis. Pour faciliter l’accessibilité de ce travail, cet article va revenir rapidement sur le pourquoi du cis gaze, sa définition et ses caractéristiques.

À force de regarder des films centrés sur des personnages trans’, on constate assez rapidement certaines récurrences :

  • les personnages sont tous hormonés ou bien il s’agit de l’enjeu du film ;
  • tout le monde est hétérosexuel ;
  • les trans’ n’ont pas d’ami-e-s trans’ et vivent seulement entouré-e-s de cis qui souffrent de leurs transitions ;
  • les médecins sont omniprésent-e-s ;
  • les personnages détestent leurs corps ;
  • tout le monde est binaire ;
  • tous ces films sont des drames…

Écrire ces histoires et mettre en scène ces récurrences, cela donne une vision restreinte et souvent blessante de ce que sont les transidentités. Ces films découlent d’une vision ciscentrée, elle-même inscrite dans un système cisnormatif, c’est-à-dire qui défini la norme par défaut comme cis. C’est à partir de ce constat qu’il faut penser la notion de cis gaze.

La notion de cis gaze pré-existe à cette recherche, parce que le regard cis, avant d’être un procédé cinématographique et narratif, inconscient ou non, c’est une réalité. C’est le regard quotidien des personnes cis sur nos corps et sur nos vies de personnes trans’.

Définition du cis gaze

Cette notion se base également sur les écrits de Nissa Mitchell, écrivaine et musicienne, et de Julia Serano, chercheuse et militante trans-bi. La première écrit en 2017, dans TransSubstantiation, que « le cis gaze fait référence aux moyens mis en oeuvre pour présenter les personnes trans’ comme si elles existaient uniquement pour satisfaire le voyeurisme des personnes cis et pour les divertir »1. La seconde souligne notamment, dans son Manifeste d’une femme trans, que cette vision tend à naturaliser les identités cis et à artificialiser les identités trans’2.

Enfin, le cis gaze, c’est surtout un amas de fantasmes, ou comme le dit Ray Filar : « la “transition”, le “changement de sexe”, et même dans une certaine mesure le “coming out” sont des fantasmes cis. Ce sont des fantasmes cis qui effacent les processus par lesquels les personnes cis façonnent également leur propre genre »3.

On peut garder à l’esprit le fait que ce regard se trouve dans les arts visuels et la littérature mais n’est pas un regard limité à ces champs. Il est applicable à la société de manière large. Le cis gaze est un regard systémique. Il a une influence réelle sur la manière dont les personnes trans’ ont conscience de leurs corps et de leurs apparences qui sont constamment épiées à travers le cis gaze. En ce sens, les personnes trans’ portent souvent sur elles-même ce que nous pouvons qualifier de cis gaze interiorisé. Le concept abordé ici existe à travers les films parce qu’il existe socialement, porté par une classe de genre dominante. Ce regard cristallise des comportements violents, fétichisants, menaçants et globalement stigmatisants à l’encontre des personnes trans’.

Ce qui résulte de tout ça, c’est notamment une objectification des personnes trans’, qui ne sont pas des sujets pour le cinéma mais des objets maléables et soumis aux personnes qui ont le pouvoir sur l’écriture, la mise en scène, la réalisation et le jeu : les personnes cis. Ces dernières ne réfléchissent pas à l’ordre de domination et perpétuent des stéréotypes, qui eux-mêmes contribuent à l’alimentation d’un cercle vicieux. Le public n’est exposé qu’à un certain type de représentation qui nourrit l’imaginaire. Les créations qui suivent en sont à leur tour alimentées.

Ce qui intéresse le public cis c’est une représentation de la transidentité qui ne défie pas ses propres représentations du genre. Il n’en reste pas moins qu’il y a, derrière l’intérêt pour les figures trans’, un intérêt pour l’altérité. À ce titre, les personnages trans’ doivent représenter une altérité acceptable. Les corps des personnes trans’ sont alors des corps sur lesquels la société cisnormée aurait un droit de regard, lui permettant de définir à la fois des normes binaires et des manières d’être trans’.

Pour terminer je peux vous livrer la définition du cis gaze qui m’a semblée la plus claire :

« Le cis gaze est une notion qui caractérise la manière dont les personnes trans’ sont représentées, au cinéma, afin d’intriguer le public cis et le regard cisnormé tout en ne remettant pas en question l’hégémonie de ce regard et en se conformant à des stéréotypes établis à propos de l’existence tolérée des personnes trans’ dans la société. »

Évaluer la présence du cis gaze dans une oeuvre

De futurs articles me permettront de revenir plus en détails sur les différentes caractéristiques identifiées dans les films comme correspondant à du cis gaze. En attendant, voilà une liste non détaillée de 20 critères permettant d’évaluer la présence du cis gaze dans une oeuvre. Si un film coche au moins trois de ces critères alors il est porteur d’un regard cis sur les transidentités.
Le personnage trans’ :
  1. s’habille / se maquille
  2. est félicité·e car iel rentre dans une norme ciscentrée
  3. fait face à une remarque qui souligne le fait que nous n’aurions jamais pu deviner qu’iel était trans’
  4. est travailleuse·eur du sexe (et ses collègues sont également trans’)
  5. a un comportement de prédateurice / est déloyal·e
  6. est appelé·e par son deadname / mégenré·e volontairement
  7. suit un parcours médical et l’on peut voir ses prises d’hormones et / ou des opérations chirurgicales / esthétiques liées à son parcours de transition
  8. a pour préoccupation centrale ou unique sa transition
  9. voit ses organes génitaux exposés à l’écran et / ou à d’autres personnages sans son consentement
  10. cause la détresse émotionnelle de l’un·e de ses proches
  11. est la victime passive d’une agression
  12. se fait du mal, de quelque manière que ce soit
  13. voit son identité remise en question par un personnage cis
  14. voit son identité validée par une analyse psychiatrique
  15. imite un personnage cis pour performer son genre
  16. n’a aucune interaction avec d’autres personnages trans’
  17. a des relations amoureuses et / ou sexuelles exclusivement hétérosexuelles
  18. se regarde entièrement nu·e dans un miroir
  19. détourne son regard de son propre corps mais reste exposé·e à au moins un autre regard
  20. est joué·e par un·e acteur·ice cis (surtout si son genre n’est pas conforme à celui du personnage)
Ces critères sont purement descriptifs et servent à alimenter une amorce de réflexion. Ils peuvent être pensés le long d’un continuum et sont plus ou moins pertinents selon le contexte. C’est ce que les futurs articles nous permettront de détailler ! D’ici là, n’hésitez pas à les utiliser quand même pour évaluer les films que vous regardez et à nous envoyer vos résultats pour qu’on puisse les comparer avec les nôtres !
 

Pour aller plus loin :

  • lecture des articles complets de Nissa Mitchell et Ray Filar
  • Julia Serano : Manifeste d’une femme trans et autres textes, récemment traduit et publié aux éditions Cambourakis
  • Jeu vidéo interactif de Caelyn Sandell, intitulé Cis gaze : https://inurashii.itch.io/cis-gaze

1. “Sophia Banks, a trans photographer, first brought the phrase to the internet in a tweet on March 22nd, 2014”, MITCHELL Nissa, “The Cis Gaze”, TransSubstantiation, 7 mars 2017, consultable sur https://transsubstantiation.com/the-cis-gaze-6c151f9374ca, traduit par Charlie Fabre

2.SERANO Julia, Whipping girl, a transsexual woman on sexism and the scapegoating of femininity, Seal Press, 2007

3.FILAR Ray, « ”Is it a man or a women ? Transitioning and the cis gaze” by Ray Filar », Verso, 24 septembre 2015, traduit par Charlie Fabre

Au-delà des images, que retenir de Disclosure (2020)

Disclosure est un documentaire réalisé par Sam Feder et diffusé en 2020 sur Netflix. Le film est constitué de témoignages de personnes trans qui s’expriment sur la représentation trans à Hollywood, entrecoupés d’extraits de films et de séries. À partir de ce contexte spécifique américain, le film met en lumière un grand nombre de points très importants concernant la représentation trans en général.

Premièrement, les personnages trans (au sens large) existent depuis que le cinéma existe. La représentation de ces dernières années n’est pas une grande première mais s’inscrit dans une continuité. Une continuité malheureusement néfaste pour les personnes trans.

Le film évoque ensuite rapidement l’apport des représentations trans aux personnes qui témoignent : il a été clé pour elles de se voir à l’écran. Nombre d’entre elles apprécient des films et personnages considérés comme problématiques aujourd’hui : car c’était les premiers qu’elles voyaient, les seuls qui existaient à l’époque.

Toutes parlent de cette dualité à apprécier des œuvres qui, d’une part, leur ont fait comprendre qu’elles n’étaient pas seules ou leur ont donné du travail quand elles en avaient besoin, et qui, d’autre part, ont souvent été préjudiciables à la vision que les personnes cis ont des personnes trans.

Ensuite, le documentaire aborde les représentations elles-mêmes. Elles sont pour la majorité négative : si le personnage trans n’est pas simplement là pour faire rire, il est alors soit coupable, soit victime. Quand il est là pour faire rire, les blagues sont extrêment violentes : on voit des hommes cis qui vomissent à l’idée de faire l’amour avec une femme trans. Quand la femme trans est coupable, elle est tueuse en série, psychopathe. Quand elle est victime (presque toujours d’un crime transphobe), elle est morte, et souvent travailleuse du sexe. Et lorsque le sujet de la transidentité est abordé dans les dialogues par les autres personnages, souvent au-dessus du corps sans vie d’une femme trans, le respect est absent des mots utilisés.

Disclosure relève également un phénomène récurrent : les rôles de personnages trans les plus connus sont joués par des personnes cis qui remportent des prix pour ces interprétations.

En effet, de nombreux hommes cis ont interprété des femmes trans à l’écran et par la suite ont affiché des barbes fournies lors de remises de prix au cours desquelles ils étaient récompensés. Jen Richards, actrice, explique dans le documentaire à quel point ces rôles trans joués par des hommes cis nourrissent la violence à l’encontre des femmes trans.

Un rôle trans interprété par un·e acteur·ice trans permet aux spectateur·ice·s de ressentir pour l’acteur·ice trans la même compassion qu’iel ressent pour le personnage. Or, en voyant un acteur cis avec sa barbe bien fournie, le·a spectateur·ice est renvoyé·e au jeu, à la performance de l’acteur. Le raccourci est rapide et simple pour elleux : les femmes trans ne sont que des hommes déguisés, qui performent la féminité mais qui ne sont pas des femmes.

Les représentations des hommes trans, plus récentes et bien moins nombreuses, ont moins souffert de ce phénomène : seule Hilary Swank a été récompensée pour son rôle de Brandon dans Boys Don’t Cry. Cependant, le problème reste le même : lorsque la·e spectateur·ice apprend que l’actrice qui a interprété un homme trans est cis, alors le raccourci est le même, simplement inverse. Le genre resterait une performance est non une identité.

Les violences que subissent les hommes trans sont différentes de celles subies par les femmes trans, qui en plus de subir la transphobie subissent également la misogynie et la transmisogynie. Si les femmes trans ont été victimes de mauvaises représentations depuis le début du cinéma, il est difficile de trouver des représentations d’hommes trans. De nombreux films jouent avec un personnage féminin qui se fait passer pour un homme pour avoir de meilleures conditions de vie, être entendu, être considéré. Mais le personnage finit toujours par “redevenir” une femme pour plaire à l’homme qu’elle désire ou pour simplement avoir une vie vraiment heureuse. Les hommes trans souffrent donc différemment des représentations : l’absence de rôles ne leur permet pas de se reconnaître à l’écran, ni aux autres de connaître leur existence. Or, ce qui n’est pas visible n’est pas inexistant.

Les hommes trans ne sont vraiment présents que depuis le début des années 2000, notamment grâce à The L Word. Mais encore une fois, les représentations sont négatives : la testostérone les fait devenir violents, agressifs, manipulateurs, sexistes. Ces représentations sont en train de changer, notamment grâce à des séries qui incluent des auteur·ice·s trans et des personnages trans récurrents : The L Word : Generation Q et Les Chroniques de San Francisco. Ou encore des séries dont les hommes trans récurrents n’existent pas qu’à travers leur transidentité : Les Nouvelles aventures de Sabrina, The Politician, Titans, Grey’s Anatomy, The OA, Druck, Tales of the City, etc.

Disclosure met en exergue le manque de diversité des représentations, l’absence de personnes trans à la création de ces représentations et l’impact que les représentations peuvent avoir sur les personnes trans comme sur les personnes cis.

Si l’on devait émettre une liste de critères pour une bonne représentation à la suite du documentaire, ce serait :

  • Une œuvre créée par des personnes trans
  • Une œuvre qui implique des personnes trans dans la production
    Une œuvre qui diversifie les représentations des personnes trans
  • Une œuvre qui représente les personnes trans positivement
  • Une œuvre qui inclut les personnes trans dans son public cible

Pour autant, la qualité des représentations n’est pas l’objectif ultime du combat pour une meilleure représentation. Disclosure se conclut ainsi : « Having positive representation can only succeed in changing the conditions of life for trans people when it is part of a much broader movement for social change. Changing representation is not the goal, it’s just the means to an end. » Susan Stryker

Les représentations positives sont clés pour faire changer les mentalités, mais si un changement plus large de la société n’est pas en œuvre alors elles n’auront pas d’effets concrets sur les vies des personnes trans comme l’accès à l’emploi, à la parentalité, à la santé, à la sécurité, à la scolarité, etc.

« Une représentation positive ne peut changer les conditions de vie des personnes trans que si elle s’inscrit dans un changement social plus large. Changer la représentation n’est pas le but. C’est un moyen. »

Susan Stryker (traduction Netflix)

Représentrans, représenter les transidentités autrement

Représentrans est né d’une volonté de se voir à l’écran. De se voir représenté avec authenticité et respect. Représentrans est né également d’une volonté de changer le regard des personnes cis sur les transidentités. Ce regard, il est nourri de tout ce qui est a été dit, vu et entendu à propos des personnes trans. En changeant les représentations, nous pouvons changer ce regard.

Représentrans a donc l’ambition de faire changer les représentations des transidentités en France. Si Disclosure de Sam Feder témoigne d’une évolution des représentations aux États-Unis, la France accuse un certain retard.

L’objectif des représentations trans, c’est rendre visible ce qui est absent. Absent et non pas inexistant. Les représentations visent donc à rendre visible au plus grand nombre les personnes trans, leurs vécus, leurs histoires personnelles comme les histoires de la communauté, mais aussi et surtout les problèmes qu’elles peuvent rencontrer. Qu’ils soient dû à la transphobie ou aux simples problèmes de la vie.

Tout art n’a pas vocation à être pédagogique mais si la représentation d’une certaine minorité est au cœur d’une fiction, il est alors crucial de se poser la question du contexte dans lequel elle s’inscrit. Le contexte politique, culturel, mais aussi celui des représentations existantes. Les anciennes représentations, souvent mauvaises ou incomplètes, nourrissent les nouvelles. Il est important de les remettre en question et de travailler à créer de nouvelles représentations plus justes et plus positives des personnes trans. Et il est vital d’y impliquer des personnes trans concernées et expertes des représentations.

Une seule œuvre ne pourra répondre à toutes les problématiques des représentations mais il est primordial d’aborder les transidentités avec justesse et bienveillance. Ces représentations auront des répercussions sur les vies réelles des personnes trans. Certains choix qui paraissent anodins peuvent avoir des conséquences bien plus larges qu’une personne cis peut envisager. Et bien qu’il n’y ait eu aucune intention malveillante, ces conséquences peuvent continuer à ancrer des informations transphobes dans l’imaginaire collectif.

L’équipe Représentrans

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Gabriel Harrivelle (iel), fondateur de Représentrans
“J’ai créé Représentrans car je crois au pouvoir des images. C’est en voyant d’autres personnes trans exister et vivre leur vie que j’ai pu comprendre que j’étais trans. C’est en voyant des fictions avec des personnes trans que j’ai pu commencer à m’imaginer un futur. Après avoir accompagné quelques projets et après avoir enfin été écouté, Représentrans est né. Il est temps que les représentations trans évoluent en France.”

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Charlie Fabre (il), co-fondateur de Représentrans
"J'ai été inspiré par le projet Représentrans parce que je suis fasciné par la manière dont les médias façonnent les imaginaires collectifs. La recherche de figure d'identification, pour soi-même et pour les autres est primordiale, à mon sens, dans notre sociabilisation. Je crois au pouvoir des mots et des images et donc à l'importance de ce qu'on en fait."

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Chloé Hatimi (elle), Relectrice et traductrice

Qu’en est-il des créateur·ice·s trans ?

La plupart des écrits sur les personnes trans dans le cinéma parlent de représentation à l’écran, mais pas des personnes derrière la caméra. Les médias de ces dernières années ont souvent fait mention de “Premier personnage trans à la télévision française !”, “Première héroïne trans !” pour parler de films et séries écrit·e·s et réalisé·e·s par des personnes cisgenres.

Or de nombreux·ses artistes trans ont produit et continuent à produire des œuvres par des moyens parfois alternatifs. Youtube, par exemple, héberge des milliers de vidéos produites par des personnes trans, que ce soit des courts métrages, des reportages ou des témoignages.

Dans une interview pour JumpCut en 2016, le réalisateur de Disclosure (2020), Sam Feder, en parle ainsi : “Trans people are not yet authorized to set the terms of our own visibility.” “Les personnes trans ne sont pas encore autorisées à imposer les termes de leur propres visibilité.” Il continue : “To be visible, we must conform to the demands placed on us by a public that wants to buy a story that affirms their sense of themselves as ethical.” “Pour être visibles, nous devons nous conformer aux attentes d’un public qui souhaite être conforté dans l’éthique de sa propre identité.” Autrement dit, le public ne souhaite pas être bousculé dans sa façon de voir les choses.

Et cela a un impact très important et très grave : “In their rush to present themselves as doing something new, [filmmakers and show runners] remove from view a rich legacy and history of trans people in the media.” “Dans leur précipitation à vouloir se présenter comme des pionniers, [les réalisateurs et producteurs] éclipsent un héritage et une histoire riches de créateur·ice·s trans.”

Quelques créateur·ice·s trans et “gender variant” (comme iels s’identifiaient à l’époque), du début du cinéma aux années 80 :

  • Germaine Dulac, réalisatrice, habillée de façon très masculine et ayant eu de nombreuses amantes, a réalisé 30 films de 1915 à 1936.
  • Christine Jorgensen a filmé quelques uns de ses voyages, et a également écrit plusieurs scripts qui n’ont jamais été produit.
  • Dorothy Arzner, réalisatrice, scénariste et monteuse américaine, a réalisé 20 films de 1927 à 1943.
  • Ed Wood, s’identifiant lui-même comme travesti, a fait au moins 8 films entre 1947 et 1978, dont un s’inspirant de sa propre histoire, Glen or Glenda.
  • Angela Morley, compositrice, chef d’orchestre et orchestratrice britannique, a composé les bandes-son de 16 films entre 1952 et 1977, dont Le Petit Prince  (1974) et Les Garennes de Watership Down (1977). Elle a remporté trois Emmy Awards, et a été nommée pour deux Oscars et un BAFTA.
  • Ashley Hans Scheirl, artiste multimédia autrichien, a commencé à produire des courts métrages lors de ses études à l’Academy of Fine Arts de Vienne en 1979. Depuis, il a créé 54 courts, et deux longs : Flaming Ears (Rote Ohren fetzen durch Asche, 1992) et Dandy Dust (1998).
  • Wendy Carlos, compositrice et interprète de musique électronique américaine, a développé le synthé Moog avec Robert Moog, et l’a popularisé avec son album Switched-On Bach (1968) qui a notamment gagné trois Grammy Awards. Elle a ensuite composé la bande-son d’Orange Mécanique (1971),The Shining (1980), TRON (1982), and Woundings (1998).
  • Divine a travaillé avec John Waters tout au long de sa vie, ses plus grands succès étant Pink Flamingos (1972), Female Trouble (1974), et Polyester (1981).

Les identités de genre des personnes derrière les caméras n’ont pas toujours été connues, et les œuvres de nombreux·ses créateur·ice·s trans ont été perdu avec le temps dû à l’absence d’archives spécifiques. Mais il est indéniable que des personnes trans ont été devant et derrière la caméra, de par le nombre d’artistes travestis qui fascinaient les publics et le nombre de fois où le sujet du genre a été abordé.

En 1984 et en 1985, des personnes trans ont enfin pu prendre un peu de contrôle sur leur visibilité en étant au centre des documentaires Paradise is Not For Sale (Paradiset er eike til salg, 1984) et What Sex Am I? (1985). Quelques années plus tard en Angleterre, la documentariste Kristiene Clarke réalise le documentaire Sex Change – Shock! Horror! Probe! (1988) pour la chaîne de télévision Channel Four. Le film a été présenté comme le premier documentaire sur la “transsexualité” réalisé et produit par une personne “transsexuelle”.

Avec les années 2000, les créateur·ice·s trans tentent de reprendre le contrôle

En 2002, Alec Butler, une personne intersexe Two-Spirit canadienne, a produit la trilogie animée Misadventures of PussyBoy qui explore la vie sociale et la sexualité d’Alick. En 2006, Sam Feder réalise Boy I am sur des sujets peu souvent abordés lorsqu’on parle de transidentité masculine. La même année, Jules Rosskam produit le documentaire Transparent qui suit 19 personnes trans qui ont donné naissance et élèvent leurs enfants. En 2008, Kimberly Reed filme dans son documentaire Prodigal Sons sa “highschool reunion” alors qu’elle n’a pas mis les pieds dans sa ville natale depuis 20 ans. La même année, Kortney Ryan Ziegler suit la vie de 6 hommes trans noirs dans Still Black: A Portrait of Black Transmen.

En 2020, Fow et Owl du collectif MyGenderation produisent I am They: A non-binary love story sur l’histoire de leurs co-fondateur·ice·s. Iels produisent des courts, sketchs et reportages sur Youtube depuis 2013.

Du côté des fictions, les soeurs Wachowski ont réalisés de nombreux films avant et depuis leur coming out trans : Bound (1996), la trilogie Matrix, la série Sense8, etc. Silas Howard et Harry Dodge ont réalisé leur “queer buddy movieBy Hook or By Crook en 2001. Sam Berliner réalise en 2010 la comédie Genderbusters dont le résumé est le suivant : “Coincé dans le système binaire Homme / Femme ? Faites appel à nos super-héros. Ils sont là pour vous aider à en sortir !”. Ester Martin Bergsmark réalise She Male Snails (Pojktanten) en 2012, puis Something Must Break (Nånting måste gå sönder) en 2014, très appréciés par la critique de films expérimentaux.

Les créateur·ice·s trans produisent également de nombreuses web-séries :

  • Falling in Love…with Chris and Greg (2008-2013)
  • True Trans (2014)
  • Her Story (2015)
  • This Is Me (2015)
  • Eden’s Garden (2015)
  • CRAVE (2015)
  • Brothers (2015)
  • We’ve Been Around (2016)
  • The Switch (2016)
  • GENDERS* (2018)
  • These Thems (2020)

Ces artistes sont pour la majorité américains, car de nombreuses études sont produites. En France, les trans studies sont moins financées et donc moins nombreuses. En octobre 2020, Laurier The Fox a lancé l’initiative #TransCreation et a ainsi recensé un grand nombre d’artistes trans. On y retrouve Kelsi Phụng, avec son court Les Lèvres Gercées, les BD de Sophie Labelle, Dreadnought d’April Daniels, Tout va bien de Charlie Genmor, Les corps sonores de Jul Maroh, Rebecca Sugar, créatrice non-binaire notamment à l’origine de Steven Universe, le chanteur Sohan Pague, la chanteureuse Mélodie Lauret, les livres et les vidéos de Mx Cordélia, le projet de websérie lancé par Charlie Fabre, et plein d’autres que vous pouvez retrouver dans le hashtag #TransCreation ou dans le fil alimenté par Laurier.

 

 

 

Sources :

  • Tracing the History of Trans and Gender Variant Filmmakers, Laura Horak, https://www.academia.edu/33278594/Tracing_the_History_of_Trans_and_Gender_Variant_Filmmakers
  • Does visibility equal progress? A conversation on trans activist media, interview de Sam Feder, https://www.ejumpcut.org/archive/jc57.2016/-Feder-JuhaszTransActivism/text.html
  • Tweets de Laurier, https://twitter.com/Laurier_the_Fox/status/1312121791788195840

ℹ Relecture et traduction des extraits de l’interview de Sam Feder par Chloé Hatimi.