Emilia Pérez est-il un film transphobe ?

Cet article s’intéresse seulement à la représentation de la transidentité, mais nous souhaitons également alerter les personnes qui nous lisent que d’autres questions de représentations se sont posées, notamment celle de la représentation du Mexique. De nombreux articles traitent de ce sujet, voici ceux que nous vous recommandons : 
« Vision eurocentrée », « inexactitudes culturelles »: Emilia Pérez, le film de Jacques Audiard, sous le feu des critiques au Mexique – Geo.fr (en français)
Why Is ‘Emilia Perez’ Controversial? A Timeline. (en anglais)

Sorti le 21 août dernier, Emilia Pérez fait parler de lui depuis sa présentation à Cannes et les deux palmes reçues en récompense : le Prix de l’interprétation féminine, partagé par les quatre actrices, dont Karla Sofía Gascón qui interprète l’héroïne éponyme, et le Prix du jury. Sa sélection aux Oscars annoncée le 23 janvier dernier remet la question de la représentation trans sur le devant de la scène.

Le film a été écrit et réalisé par Jacques Audiard qui dit avoir tiré son inspiration d’un roman, Écoute de Boris Razon. Ce livre comporte un personnage de baron de la drogue qui souhaite échapper à cette vie en transitionnant, mais sans être une femme trans. Jacques Audiard a décidé, lui, d’en faire une femme trans qui souhaite s’échapper de sa vie de chef de cartel. Jacques Audiard précise que Karla Sofía Gascón a été pour lui une “grande institutrice en cause LGBT”(interview de Charles Pépin sur France Inter, 21.08.2024).

Emilia Pérez, le film, est donc l’histoire d’Emilia Pérez, le personnage : une femme trans à la tête d’un des plus gros cartels de Mexico sous l’apparence de Manitas. Elle est prête à tout sacrifier, du lien avec ses enfants et sa femme à sa position sociale, pour être la femme qu’elle est vraiment. Des années après sa transition, elle se consacre à une œuvre caritative de grande envergure avant d’être rattrapée par son passé.

Emilia Pérez est un mélange de beaucoup de choses : comédie musicale, film de gang, thriller, drame… Ce qui est certain, c’est que ce n’est ni un film sur le genre ni un film sur la transidentité. Alors comment savoir si c’est un film transphobe ? Il va être nécessaire d’analyser plusieurs éléments, notamment le regard cis.

/!\ Cet article comporte des spoilers.

Le regard cis dans Emilia Pérez

Le cis gaze est défini ainsi par Charlie Fabre, chercheur en études trans, qui s’est basé sur les travaux de Julia Serano et Ray Filar :

“Le cis gaze est une notion qui caractérise la manière dont les personnes trans’ sont représentées au cinéma, afin d’intriguer le public cis et le regard cisnormé tout en ne remettant pas en question l’hégémonie de ce regard et en se conformant à des stéréotypes établis à propos de l’existence tolérée des personnes trans’ dans la société.”

Si on prend l’analyse du regard cis selon les critères développés par Charlie Fabre, le film obtient une note de 16/20 (pour rappel, plus la note est haute, plus elle est positive). C’est autant qu’Un Homme Heureux de Tristan Séguéla ou Anything’s Possible de Billy Porter, moins que L’Immensita de Emanuele Crialese (19/20) mais bien mieux que Girl de Lukas Dhont (6/20).

En points positifs, on peut citer les suivants :

🟢 Le critère le plus simple à évaluer est celui de l’actorat. Emilia Pérez est incarnée par une actrice trans, Karla Sofía Gascón, même lors de scènes pré-transition.

🟢 Emilia n’est jamais entièrement nue, et sa nudité (partielle) est suggérée lorsqu’elle dévoile sa poitrine pour montrer ses changements physiques à un autre personnage.

🟢 Il est aussi important de noter que la transidentité d’Emilia n’est pas source de malheur ou de détresse. Elle est heureuse lorsqu’elle y a enfin accès et c’est visible. Ses proches n’étant pas au courant, il n’y a pas de réactions négatives. Son identité trans n’est pas “découverte”, ressort narratif trop souvent utilisé pour faire souffrir les personnages trans. Lorsqu’elle en parle à son ex-femme, c’est son choix et rien ne l’y oblige. Et surprenamment, sa chute finale n’est pas causée par sa transidentité, mais par sa violence passée et actuelle.

Côté points négatifs, il y a tout de même ceux-ci :

🔴 Le parcours médical est bien visible : le premier tiers du film lui est effectivement consacré et le choix du chirurgien est mis en scène dans deux chansons différentes.

🔴 On note l’absence d’autres personnages trans, Emilia ne pouvant pas vivre sa transidentité ouvertement.

Enfin, il y a quelques points qui ne sont ni 100% positifs ni 100% négatifs :

🟡 Les miroirs sont présents, mais heureusement, leur utilisation est limitée. Une scène marquante montre Emilia observant le résultat de son opération à l’aide d’un miroir de poche dont le reflet n’est pas visible à l’écran.

🟡 Si son identité trans est remise en question par un chirurgien cis, cela n’a lieu que lors des scènes autour de sa transition, dans la première partie du film. Son identité trans n’est plus remise en question par la suite, elle est identifiée et respectée en tant que femme dans tout le reste de l’histoire.

🟡 Un critère est compliqué à évaluer : Emilia a-t-elle un comportement prédateur et est-elle déloyale ? Ce critère a été défini par Nissa Mitchell en réaction à l’absence de représentation de personnages trans honnêtes et qui ont du succès. Si le personnage ne fait pas nécessairement preuve d’honnêteté, elle rencontre un certain succès tout au long du film. D’abord en tant que narcotrafiquante, puis en tant que responsable d’une association caritative (qu’elle finance avec l’argent de ses anciens trafics) grâce à laquelle elle espère se racheter de ses crimes passés. Elle trouve également le bonheur dans sa vie personnelle pendant un temps, puisqu’elle réussit à ramener ses enfants auprès d’elle et rencontre l’amour. Cet amour est vécu auprès d’une femme, ce qui fait d’elle une femme trans lesbienne, une représentation assez rare.

Un autre point à relever qui ne fait pas partie des 20 critères définis par Charlie Fabre est celui de la mort du personnage trans. De nombreuses représentations comportent des personnages trans qui meurent et trop souvent violemment. Emilia Pérez ne déroge pas à ce cliché. Emilia Pérez décède, qui plus est, dans des circonstances très violentes.

L’objectivation des transidentités

Emilia Pérez est l’adaptation d’un thriller dans lequel un personnage de narcotrafiquant transitionne pour échapper à sa vie de crimes. Un livre écrit par un homme cisgenre qui n’a pas eu l’intention, lui, d’y représenter les transidentités. Cette histoire a provoqué un questionnement chez Jacques Audiard qu’il formule ainsi :  “En ayant changé la carrosserie, l’âme a-t-elle été changée ?”. 

Cet intérêt pour la transition et cette utilisation dans la narration réduit les identités trans à des opérations et des changements physiques. Cette obsession pour nos transitions médicales transforme nos vies et nos corps en objet et non plus en sujet, comme l’explique Charlie Fabre dans son mémoire Le regard cis reflété au cinéma. Emilia Pérez ne peut exister en tant qu’Emilia qu’à travers une mise en scène de ses opérations. 

Ce point de départ – l’opposition entre narcotrafiquant viril et femme trans féminine qui mène une association contre le crime – pose un autre problème, car il y a dans ce contraste un point de vue essentialiste : les hommes seraient violents et les femmes douces, et Emilia ayant tout de même ressort à la violence ne serait donc pas une “vraie” femme. Si l’interprétation voulue par le réalisateur n’est peut-être pas celle-là, le choix de faire ressortir sa voix basse lorsqu’elle s’énerve contre son ex-femme soutient cette interprétation. Le message final de la violence qui rattrape Emilia peut également soutenir ce point de vue.

Est-ce que des personnes trans ont été incluses dans la production de cette représentation ? Et surtout, comment ?

Les personnes trans sont trop souvent catégorisées comme un objet d’étude, n’ayant pour seul but que d’être étudié, analysé, décrit, examiné. Il y a la volonté d’écrire sur nous, mais pas avec nous. Ces dernières années, les choses changent, les personnes trans commencent à être impliquées dans les histoires, voire à en être à l’origine. Cependant, cette inclusion n’est pas toujours faite de la meilleure des façons pour obtenir de nouvelles représentations qui sont vraiment différentes.

Lorsqu’un·e acteurice trans est choisie pour un rôle trans, son travail va généralement aller au-delà de celui d’un·e acteurice cis. Iels deviennent des fixeureuses : une personne qui sert de guide à un·e autre, le plus souvent un·e journaliste dans un pays peu sûr. Iels guident les scénaristes et les cinéastes pour les aider à comprendre la communauté trans, le vocabulaire, l’histoire des transidentités.

« [Sans] Karla Sofía Gascón, […] il n’y a pas de film »

Jacques Audiard, interview de Charles Pépin sur France Inter, 21.08.2024

Et c’est bien ce qu’il s’est passé pour Emilia Pérez, comme le raconte Jacques Audiard au micro de France Inter le 21 août dernier : “Si je ne croise pas Karla Sofía Gascón, je pense sincèrement aujourd’hui qu’il n’y a pas de film. Ce n’est pas que j’ai eu de la chance, mais si Karla n’est pas là, je crois que j’y suis encore ou j’ai déjà abandonné. Ma grande institutrice en cause LGBT et cætera, c’est Karla Sofía. C’est elle qui m’a initié à tout ça. Quand on tournait, je lui demandais “est-ce que je m’égarais, est-ce que j’étais juste, est-ce que je pouvais m’approcher ou pas”. Elle était une boussole. C’était la boussole complète, voilà. Elle a été ma référence tout le temps.” 

Ce point est important, car il permet de mettre en avant le travail invisible et très souvent gratuit des personnes trans pour que les représentations s’améliorent de film en film. Cela sous-entend que les acteurices devraient tou·tes être des expert·es des représentations trans et que les réalisateurices souhaitant faire de tels films peuvent se reposer sur elleux. On en demande toujours plus aux marginalisé·es…

Il est risqué également de faire confiance à une seule personne. Cette dernière ne représente pas forcément l’entièreté de la communauté et n’a pas toujours conscience de tous les enjeux politiques, ni des représentations passées sur lesquelles reposent les imaginaires actuels. Cela s’est vu avec la série Netflix Élite. En saison 6, le comédien trans a dû défendre lui-même la série face à des critiques à propos de l’intrigue autour de son personnage, considérée comme utilisant des clichés transphobes.

Être épaulé·e par un·e acteurice trans peut permettre d’éviter le pire, comme dans une scène au début du film où Emilia Pérez recrute l’avocate et lui fait son coming out trans. Dans de nombreux films, la transidentité est révélée à un ou des personnages ou aux spectateurices en dévoilant le corps nu du personnage trans. Ici, Emilia dévoile sa poitrine, mais elle n’est pas visiblement nue à l’image. C’est très probablement du fait de Karla Sofía Gascón, comme l’a expliqué Jacques Audiard.

Cependant, chez Représentrans, nous souhaitons remettre en question la notion même d’utiliser la nudité pour révéler la transidentité. Ce problème se réfléchit dès l’écriture et n’est pas seulement une question d’image. L’intervention de Karla Sofía Gascón est insuffisante pour proposer une représentation des transidentités innovante et respectueuse.

Alors, est-ce qu’Emilia Pérez est un film transphobe ?

Selon l’analyse du regard cis, la note de 16/20 est honorable. Les clichés sont présents, mais moins nombreux que ce qu’on peut avoir l’habitude de voir et surtout abordés différemment. En effet, Emilia Pérez rencontre l’amour et du succès au point d’être élevée au rang de madone.

Cependant, les clichés sont bien là : la transition est encore une fois utilisée comme élément narratif et la fin de l’histoire pour le personnage est encore la mort. 

L’attention portée sur la justesse de la représentation trans est arrivée tardivement dans le processus de production du film. Cela n’a donc pas permis de remettre en question l’idée de départ d’utiliser la transition pour répondre à la question du réalisateur.

C’est pourquoi Représentrans recommande de faire appel à un·e consultant·e pour une lecture du scénario, voire un ou des entretiens avec læ·s scénariste·s et/ou læ·s réalisateurices. L’objectif de ce travail est d’aider à créer de nouvelles représentations respectueuses et inclusives envers les personnes trans, tout en encourageant la créativité. Il y a tant de choses à raconter, à montrer au-delà de la transition et du coming-out. 

Nous vous avons proposé différentes grilles de lecture pour évaluer la transphobie présente dans le film, son message et sa production. Comme la note de 16/20 des critères du regard cis l’illustre bien, ce film n’est pas dans la lignée des films les plus transphobes à ce jour. Cependant, il ne propose pas pour autant de représentations tout à fait nouvelles et respectueuses des transidentités comme a pu le faire comme Orlando, ma biographie politique de Paul B. Preciado sortie la même année.

Si vous souhaitez lire plus d’opinions de personnes trans au sujet de ce film, GLAAD (l’association états-unienne qui surveille les représentations LGBT+ aux États-Unis) a partagé de nombreux articles écrits par des personnes trans : “Emilia Pérez” is Not Good Trans Representation | GLAAD (en anglais).

Édité par Chloé Hatimi

Comment participer à l’appel à projets pour notre Bourse Représentrans 2025 ?

Comme annoncé l’été dernier, Représentrans crée sa bourse pour soutenir les projets audiovisuels et scéniques contribuant à l’amélioration des représentations culturelles des personnes trans et non-binaires. En 2024, nous avons choisi d’attribuer la bourse Représentrans au projet de court-métrage L’Étape, créé par Tadeo Escalante et Laura Legall !

Découvrez maintenant les grandes lignes de cette aide et les conditions pour envoyer votre dossier en 2025 :

👉 La bourse sera attribuée annuellement. Elle aura pour but de soutenir la création de nouvelles représentations trans, et de favoriser l’autonomisation des personnes trans dans l’audiovisuel et le spectacle vivant.

Calendrier 2025

  • 20 Janvier : lancement de l’appel à projets et début de la période de soumission
  • 23 Mars : fin de la période de soumission.
  • 27 Avril : annonce par email au·x participant·es du projet soutenu.
  • Juin : annonce publique du projet sélectionné & remise de la bourse à l’occasion d’un événement (date à définir avec les porteur·euses de projet).

Les engagements de Représentrans auprès du projet sélectionné :

  • Une contribution financière à hauteur des moyens de l’association.
  • Des communications sur le site internet & les réseaux sociaux.
  • Une possibilité d’accompagnement avec des points d’avancement réguliers, des consultations avec professionnel·les, la mise en relation avec des membres de l’annuaire…

Critères d’éligibilité

Pour cette première année d’ouverture au public, nous nous sommes mis quelques contraintes afin de pouvoir gérer au mieux ; les critères d’éligibilité sont susceptibles de s’ouvrir dans les années à venir, dépendamment de nos moyens humains et financiers.

Typologie de projets acceptés :

  • Format : Court-métrage de fiction (15’ / 15 à 20 p. max).
  • Porté par un·e membre de l’association. (Si vous n’êtes pas membre, vous pouvez adhérer ici : Adhésion 2025 – Représentrans)
  • Écrit, produit et/ou réalisé par une personne trans.
  • Le projet doit s’inscrire dans le thème des représentations trans et être respectueux de celles-ci.
  • Vous pouvez postuler même si votre projet n’est pas / pas encore soutenu financièrement par ailleurs.

Éléments à joindre à votre candidature :

  • Courte présentation de la personne soumettant le projet (10 lignes)*
  • CV artistique*
  • Note de motivation (10 lignes)*
  • Liens vers de précédentes productions
  • Scénario (15 à 20 pages)*
  • Note d’intention (1 page)*
  • Moodboard (2 pages)*
  • Stratégie de production (équipe, production, plan temporaire)*

*éléments obligatoires

Comment envoyer son dossier ?

Envoyez votre dossier à l’adresse bourse@representrans.fr avec une adresse email que vous consultiez régulièrement, car c’est avec cette adresse que nous vous recontacterons par la suite.

Pour s’assurer que tous les projets sont lisibles et ont les mêmes contraintes, merci de sélectionner la police Arial, taille 12pt pour le scénario, la courte présentation, la note de motivation, la note d’intention et la stratégie de production.

Processus de sélection du projet

Le projet soutenu sera sélectionné parmi les candidatures par les membres du bureau de Représentrans. Une pré-sélection permettra de vérifier que les projets soumis correspondent bien aux conditions de l’appel en cours.

Nous avons hâte de recevoir vos projets !

Découvrez quels critères du cis gaze sont présents dans les films

Une nouvelle page a fait son apparition sur le site ! Vous pouvez y accéder directement depuis la page d’accueil, en faisant défiler la page après l’affichage de l’annuaire ou depuis le menu en haut de cette page en survolant « Notre travail » et en cliquant sur « Analyse du cis gaze dans les films ».

Qu'est-ce que le cis gaze ?

Le cis gaze ou regard cis est défini ainsi : « Le cis gaze est une notion qui caractérise la manière dont les personnes trans’ sont représentées, au cinéma, afin d’intriguer le public cis et le regard cisnormé tout en ne remettant pas en question l’hégémonie de ce regard et en se conformant à des stéréotypes établis à propos de l’existence tolérée des personnes trans’ dans la société. »

Charlie Fabre, co-fondateur de l’association, a abordé le regard cis dans de nombreux articles que vous pouvez retrouver sur notre page dédiée.

Un répertoire filtrable

Vous pouvez afficher les films selon leur titre, année de sortie ou leur score, de la note la plus basse à la note la plus haute ou inversement. À savoir qu’une note élevée indique un cis gaze (ou regard cis) peu présent dans le film. Plus la note est basse, plus le cis gaze est présent.

Vous pouvez également filtrer pour n’afficher que les films comportant un certain critère. Ou encore n’affiche que certains scores, en-dessous ou au-dessus de 1, 5, 10, 15, dans la limite de 20 bien évidemment.

Pour rappel, les critères du cis gaze sont les suivants. Le personnage trans :

  1. s’habille / se maquille
  2. est félicité·e car iel rentre dans une norme ciscentrée
  3. fait face à une remarque qui souligne le fait que nous n’aurions jamais pu deviner qu’iel était trans’
  4. est travailleuse·eur du sexe (et ses collègues sont également trans’)
  5. a un comportement de prédateurice / est déloyal·e
  6. est appelé·e par son deadname / mégenré·e volontairement
  7. suit un parcours médical et l’on peut voir ses prises d’hormones et / ou des opérations chirurgicales / esthétiques liées à son parcours de transition
  8. a pour préoccupation centrale ou unique sa transition
  9. voit ses organes génitaux exposés à l’écran et / ou à d’autres personnages sans son consentement
  10. cause la détresse émotionnelle de l’un·e de ses proches
  11. est la victime passive d’une agression
  12. se fait du mal, de quelque manière que ce soit
  13. voit son identité remise en question par un personnage cis
  14. voit son identité validée par une analyse psychiatrique
  15. imite un personnage cis pour performer son genre
  16. n’a aucune interaction avec d’autres personnages trans’
  17. a des relations amoureuses et / ou sexuelles exclusivement hétérosexuelles
  18. se regarde entièrement nu·e dans un miroir
  19. détourne son regard de son propre corps mais reste exposé·e à au moins un autre regard
  20. est joué·e par un·e acteur·ice cis (surtout si son genre n’est pas conforme à celui du personnage)

Un répertoire en évolution

Nous ajoutons au fur et à mesure les films, il est également possible que nous modifions avec le temps les analyses présentes sur les films. En effet, comme l’explique Charlie Fabre dans ses articles : les critères du cis gaze sont une grille de lecture des œuvres. La réflexion qui s’ensuit est personnelle, et l’interprétation est donc subjective.

Comment créer des œuvres abordant les transidentités de façon inclusive ?

Temps de lecture : 5 minutes

Rūrangi (2020), une mini-série inclusive du début à la fin du processus de production

À travers nos différents articles, nous mettons en lumière les problèmes de représentations des transidentités à l’écran. Aujourd’hui, je souhaite parler de Rūrangi (2020), une mini-série néo-zélandaise inclusive (montée en film pour certains festivals).

Les problématiques de représentations des personnes marginalisées sont les bases de la création de Rūrangi. Les créateur·ice·s ont donc travaillé à trouver des solutions à tous les niveaux de développement et de production.

Comme je vous en parlais dans mon article sur ce qu’il faut retenir de Disclosure (2020), il est temps de prendre en compte les personnes trans dans tout le processus de création. Du développement jusqu’aux personnes trans qui verront les œuvres. Ce que les créateur·ice·s de Rūrangi avaient déjà bien compris comme iels l’expliquent sur le site rurangi.com.

Ce site a en en-tête de toutes les pages ce hashtag “#byusandaboutus” : par nous et pour nous. Cela rejoint également l’enjeu dont parle Charlie Fabre dans ses articles sur le cis gaze : ce regard cis présent dans les oeuvres réalisées par des personnes cisgenres qui donne à voir seulement les points de vue des personnes cis sur les transidentités.

Une stratégie pour anticiper les problèmes récurrents de représentations des personnes trans et non-binaires

Le site de Rūrangi présente également leur “kaupapa” (“politique”, “stratégie” en Māori) en 11 points. Dès la création, l’équipe a travaillé pour que l’oeuvre le soit la plus inclusive et la plus respectueuse possible. Cette stratégie en 11 points pourrait être le point de départ de toute création souhaitant aborder les transidentités. Revenons sur chacun des points ensemble.

Qui détient le pouvoir ?

Les populations marginalisées n’ont que peu accès aux positions de pouvoirs. Les mouvements #metoo et autres mouvements sociaux de ces dernières années l’ont bien montré.

Dans la production de Rūrangi, des personnes trans et non-conforme dans le genre étaient présentes parmi les postes à responsabilité. Le panel de consultant·e·s avait également la possibilité de mettre un veto à plusieurs points clé de développement, production et post-production

Former pour mieux intégrer

Comme nous le précisons dans l’article sur les 9 raisons pourquoi les personnes trans devraient être les interprètes des rôles trans, l’accès à la formation est compliqué pour les personnes trans et non-binaires.

L’équipe de Rūrangi a ainsi pris l’initiative de recruter des personnes trans et non-conformes dans le genre en tant que que stagiaires rémunéré·e·s. Ces dernier·e·s ont ainsi été mentoré·e·s par des personnes cisgenres pour apprendre le métier. Leur position n’était cependant pas seulement celles de personnes apprenantes, mais également de formateur·ice·s. Les personnes cis ont ainsi appris sur les transidentités et les enjeux en étant au contact de personnes trans dans leur quotidien.

Revoir le système de hiérarchie classique

Les enjeux de pouvoir et de prise de décision sont les enjeux principaux auxquels nous faisons face en tant que personnes trans. C’est le cas dans la vie de tous les jours avec des lois écrites et pensées par des personnes cis. Et c’est le cas dans les productions avec des personnes cisgenres à l’origine d’œuvres sur les personnes trans.

Pour briser la chaîne de pouvoir, toutes les personnes concernées par les décisions de production étaient toujours présentes lors de la prise de ces décisions. Cela a créé une atmosphère de confiance pour que des personnes dont la position dans la chaîne de pouvoir est traditionnellement plus basse de s’exprimer sur l’approche de certaines scènes.

Des personnes trans pour incarner des rôles trans

C’est un point que nous avons déjà abordé longuement dans un de nos articles : le casting des rôles trans.

La production de Rūrangi était intransigeante là-dessus : les rôles trans devaient tous être interprétés par des personnes trans. Elz Carrad, une personne transmasculine Māori, interprète le rôle-titre de Caz.

Des personnes trans ont d’ailleurs joué des rôles cisgenres ou perçu en tant que tel. L’objectif est de déjouer la dynamique qui pourrait enfermer les acteur·ice·s trans dans des rôles trans. Un enjeu qui nous tient à cœur tout autant. Il n’est pas question d’enfermer les personnes trans dans les rôles trans. L’un des objectifs de notre annuaire est de donner de la visibilité à tous les acteur·ice·s trans pour pouvoir les imaginer dans tous les types de rôles.

Des personnes trans parmi les équipes techniques et les figurant·e·s

Ce point-là rejoint celui de la formation et des enjeux de pouvoir. Toutes positions dans la production de Rūrangi qui ne nécessitent pas une grande expérience ont ainsi été proposés en priorité à des personnes trans ou non-conformes dans le genre. Tou·te·s les figurant·e·s ont été recruté·e·s parmi la communauté et ses allié·e·s.

Leur rémunération a été au-dessus du salaire minimum néo-zélandais indique également le site internet. En effet, nous ne sommes pas sans savoir qu’il existe déjà des inégalités de salaires. Elles existent entre les hommes et les femmes, entre les personnes blanches et les personnes racisées. Il nous semble plus qu’important d’aborder ce point. Il est crucial que les personnes trans soient payées au même niveau que leurs collègues cisgenres.

Un panel de consultant·e·s

Ce panel de 5 à 6 consultant·e·s a pris part au développement, à la production et la post-production. Leur travail était d’analyser les représentations, les triggers potentiels et le symbolisme. Leur analyse se partageait entre « non-négociable » et “proposition bonus”. C’est-à-dire ce qui était impossible à représenter tel qu’écrit, et ce qui serait positif à avoir mais pas obligatoire.

Si vous souhaitez faire appel à un·e consultant·e pour votre œuvre, vous pouvez consulter la liste des consultant·e·s. Il y figure des membres de l’équipe Représentrans, mais pas seulement. Vous y trouverez par exemple un·e consultant·e spécialiste des thématiques intersexe, ou encore un·e spécialiste des thématiques sur l’asexualité.

La formation des personnes cis sur les transidentités

Un point compliqué lorsque nous, personnes trans, sommes out parmi des personnes cisgenres, c’est la peur d’être la cible de questions intrusives. Pour anticiper cela, il est important que toutes les personnes faisant partie du tournage aient un socle commun de connaissance.

En amont du tournage, les personnes cisgenres des équipes techniques de Rūrangi ont suivi une formation.

Une œuvre inclusive c’est aussi une œuvre accessible

Un poste a été créé pour gérer l’accessibilité des bureaux, du plateau, et pour gérer les horaires de certaines personnes de l’équipe avec des handicaps, visibles ou invisibles. Lorsqu’il est question d’inclusion, il n’est pas seulement question d’inclure un groupe de personnes marginalisées. Il est important d’anticiper l’intersection de différentes oppressions, et les besoins différents selon les discriminations.

Archiver pour les productions futures

Tout au long de la production, l’équipe a documenté leur expérience pour que leurs apprentissages servent aux autres. Ainsi, d’autres projets pourront être plus bienveillant·e·s ainsi que plus accessibles pour les communautés marginalisées. Vous pouvez visiter rurangi.com (si vous parlez anglais) pour découvrir tout ce qu’iels ont mis en place pour la création de Rūrangi.

Voir plus loin que la seule production de cette œuvre

C’est une première étape que de soutenir la voix des personnes marginalisées. La deuxième étape est encore plus importante. Elle consiste à mettre en place des processus sur le long terme.

La production Rūrangi a ainsi été créée pour qu’une partie des gains reviennent à la communauté pour profiter à d’autres productions. Le nom de leur agence de production vient d’ailleurs de cette envie-là : Autonomous signifiant “autonome” en anglais.

Diffuser l’œuvre le plus largement possible

Rūrangi se déroule dans une ville rurale, et l’équipe a l’intention de montrer cette œuvre dans les zones rurales pour favoriser la visibilité, l’éducation et la connexion entre personnes LGBTQ+ qui peuvent se sentir isolées. Une œuvre inclusive, c’est une œuvre réalisée en faisant attention aux problématiques que rencontre le public ira la voir.

Dans tous les cas, j’espère que cela fera réfléchir à de nouveaux modèles de création d’œuvre inclusive qui permettent d’amplifier et soutenir sur le long terme les voix des personnes marginalisées, que cela soit celles des personnes trans ou tout autre communauté marginalisée.

Rūrangi n’est actuellement pas disponible en France, que cela soit sous forme de série ou de film. Rūrangi est disponible sur Hulu aux États-Unis, si jamais vous êtes expatrié·e.