Représenter les transidentités autrement

Le regard cis dans A Good Man (2021)

À l’occasion de la sortie de A Good Man le 13 octobre prochain, il est intéressant de s’intéresser au film par l’approche du « regard cis » développé par Charlie Fabre. En effet, j’ai regardé le film en ayant en tête les représentations trans passées. C’est-à-dire : les clichés, les fanstasmes cis, les facilités que prennent souvent les auteur·ice·s et réalisateur·ice·s cis. 

En se basant sur les travaux de Nissa Mitchell et Julia Serano, Charlie Fabre a défini 20 critères pour évaluer le regard cis dans un film. Vous pouvez les retrouver dans son article, ou dans chacun de ses articles détaillant chaque critère et son application.

De ces 20 critères, A Good Man affiche un score de 16/20, quand Girl (2018) atteint un un score de 6/20, Tomboy (2011) est à 9/20, Une Femme Fantastique (2017) est à 12/20. Plus la note est basse, plus le regard cis est présent.

Les critères qu’on retrouve dans A Good Man

  • Le personnage est désigné par son deadname et / ou mégenré volontairement
  • Le personnage suit un parcours médicalisé et nous pouvons voir la prise d’hormones et / ou les opérations
  • Le personnage est montré comme la cause d’une détresse émotionnelle chez l’un·e de ses proches
  • Le personnage n’a aucune interaction avec d’autres personnages trans’
  • Le personnage a des relations amoureuses / sexuelles hétérosexuelles
  • Le personnage est joué par un·e acteur·rice cis

Ce score témoigne d’un cis gaze peu présent par rapport à aux autres films.

Analyse du cis gaze dans les images et les mots

La transidentité de Benjamin a été la cause de détresse émotionnelle chez certains de ses proches, son choix de porter son enfant est également la cause d’une certaine détresse pour son frère.

Sa transition est illustrée par les images de sa copine qui lui injecte de la testostérone. Il y a aussi une scène où une chirurgienne explique les étapes d’une hystérectomie. Cependant, il n’y a pas de détails graphiques, à la différence Girl et son explication des différentes opérations pour le personnage de Lara…

Il est également mégenré volontairement par sa mère (dans une seule scène). Son prénom de naissance est lui aussi révélé lors d’un flashback montrant sa rencontre avec sa compagne.

Benjamin est également victime de deux agressions verbales. La première étant celle de son frère qui ne comprend pas. La deuxième étant lors de son coming-out à son meilleur ami. Ce dernier ne comprend pas non plus et en plus de cela, se sent trahi. Benjamin répond à tous les deux, et finit par exprimer sa transidentité avec fierté. En ce sens, le critère du personnage trans qui subit une agression de façon passive n’est pas dans ce film.

Enfin, il n’a pas d’interactions avec d’autres personnages trans, il est dans une relation hétérosexuelle et est interprété par une actrice cisgenre.

Ce que A Good Man apporte aux représentations trans

Cependant, à la différence de beaucoup d’autres films, s’il se regarde dans le miroir, c’est lors d’actes du quotidien. Il n’est pas non plus montré entièrement nu. Il n’est pas montré comme souffrant de sa transidentité ou de sa transition. Il n’est pas « validé » par quiconque. Il n’est pas félicité non plus pour son apparence, ses choix vestimentaires ou ses activités « masculines ».

Il est même rayonnant de bonheur quand il reçoit l’avis favorable du tribunal pour son changement de marqueur de genre sur ses papiers d’identités. Il est affirmé dans son genre par sa compagne. Il affirme que son désir de porter son enfant n’est pas un sacrifice. Cela ne remet pas en question son identité d’homme. Il dit être fier de son identité trans et de son chemin parcouru.

Les images et les mots montrent la transidentité de Benjamin d’une façon positive. Lorsque lui et sa compagne se posent des questions sur leur capacité à être parent, il est rappelé que c’est un questionnement par lequel passe toute personne qui va devenir parent.

Premier film à aborder le sujet ainsi

En excluant le choix d’une actrice cis et les conséquences que cela a en termes de maquillage et d’effets spéciaux, la représentation de la transidentité est donc rafraîchissante. Car ce n’est pas la première fois que le cinéma aborde la grossesse d’un homme trans. Two4One (2014) aborde la grossesse accidentelle d’Adam alors qu’il commençait à planifier sa « dernière » opération. La « révélation » de la transidentité d’Adam se fait après 20 minutes de quiproquos (censés être) comiques. De plus, la transidentité du personnage est « révélée » par une infirmière. Adam n’a pas bien vécu sa transition, il est mégenré et morinomé par son ex. S’il n’est pas montré nu ou exposé aux regards des spectateurs, il est préoccupé principalement par sa transition. Il imite les hommes cis autour de lui, et le film joue sur la différence entre lui et les autres.

Et c’est sans parler des nombreux films ayant aborder la grossesse chez les hommes cis oubliant et invisibilisant l’existence des hommes trans, et toujours sous l’angle de la comédie : L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune (1973), Junior (1994), Alors ça! (2015), Birthday (2015), MamaBoy (2016), etc.

Et dans la réalité ?

Les hommes trans qui portent des enfants sont nombreux dans le monde. C’est le cas de Thomas Beatie qui en a parlé publiquement dès 2009, il y a également Trystan Reese qui a tenu pendant de longues années un instagram, ou encore Freddy McConnell qui raconte son histoire dans le documentaire Seahorse (2019). Sur Instagram, il suffit de parcourir les hashtag « #SeahorseDad », « #TransPregnancy », « #TransDad » pour voir des personnes trans prendre la parole.

En France, il n’est actuellement pas possible de porter son enfant si on est un homme trans, que l’on ait changé son état-civil ou non, et d’être reconnu père. Il est possible de porter son enfant mais comme l’explique Ali, il pourra être demandé de le déclarer comme né·e sous X et par la suite l’adopter. La législation française ne prévoit pas non plus de rembourser les PMA des couples où l’homme trans souhaite porter l’enfant. Les hommes trans et personnes trans masculines souhaitant enfanter doivent donc se rendre en Belgique ou en Espagne comme les couples de femmes actuellement.

Pour aller plus loin

Pour ce qui est des représentations des personnes trans dans les médias, nous vous invitons à visionner Disclosure (2020), lire les articles de Charlie Fabre sur ce site même 😉, à lire les publications (plus académiques) de Karine Espineira ou encore son documentaire Gare aux Trans 2.0 (2018) en 6 chapitres (suite du premier documentaire Gare aux Trans datant de 2005). N’hésitez pas également à consulter notre rubrique Ressources où vous trouverez de nombreuses initiatives et nombreux ouvrages pour aller plus loin.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *