Parce que nos identités sont encore marginalisées, pathologisées, surmédicalisées et scrutées jusqu’à dans les bases de données de films, il est essentiel de rendre compte de cette violence et de la dénoncer, avec les outils à notre disposition.
Les outils utilisés
Pourquoi IMDb ? Parce que l’Internet Movie DataBase est une base de données en ligne sur le cinéma mondial. Non seulement, l’accès aux informations est gratuit, mais en plus presque tous les films y sont référencés avec un grand nombre d’informations.
En 2020, puis en 2021, nous avons réalisé une étude sur les films étiquetés « transgender » dans la base de données IMDb. Elle nous a ainsi permis de montrer statistiquement la prévalence du cis gaze dans les films réalisés jusqu’à présent. De plus, cette étude sur deux ans a permis de montrer que le sujet n’est pas aussi récent que l’on pourrait le croire, qu’il y a des évolutions positives dans la représentation, mais que la transidentité reste principalement traitée de façon sérieuse (dans des documentaires et des drames).
Le genre des films
Plus de deux ans après la dernière étude, les chiffres ont évolué car de nouveaux films sont sortis et/ou ont été ajoutés à la base de données. Les ajouts de films récents et moins récents ont donc fait évoluer le chiffre de 675 à 968 films référencés avec l’étiquette « transgender » (au 24 novembre 2023). Toutefois, les genres de films les plus représentés restent ceux du « drame » et du « documentaire », le 3e genre le plus présent est toujours celui de la comédie.
Qu’est-ce que ces chiffres nous disent ?
Il y a toujours plus de drames, de comédies et de films policier (crime) depuis 2021. Donc, plus de fictions et moins de documentaires. Seulement, les comédies rient plus souvent du personnage trans qu’avec lui, ce qui fait que cette augmentation n’est pas forcément un signe positif.
Depuis l’année 2001, 10 films et plus sortent par an étiquetés « transgender ». 2022 fut l’année avec le plus de films, 62 oeuvres sont sorties cette année-là. 2017 est la seconde année la plus prolifique avec 51 films. Pour des raisons très probablement liées au COVID, en 2020, seuls 40 films sont sortis. En 2023, 38 films sont sortis jusqu’à maintenant.
Au moins 25 films sont encore en tournage, pre- ou postproduction, et c’est sans compter les dizaines de films pas encore accessibles depuis la France, comme les 4 films d’Alice Maio Mackay.
Mais plus que les chiffres, les mots…
Gay
Lesbian
LGBT
Female nudity
Male nudity
Female Topless Nudity
Female Rear Nudity
Nudity
Homosexual
Drag queen
Prostitute
Gender
Mother-son relationship
Friendship
Murder
Parmi les 15 mots-clés revenant le plus souvent, qu’il fait sens d’analyser, on retrouve par 5 fois des étiquettes liés à la nudité. C’est, une fois de plus, la preuve que le cis gaze s’impose sur les corps trans. Cela renseigne également sur le genre de films dans lesquels évoluent les personnages trans : des films +16 ans, avec des scènes de sexe.
On retrouve d’autres étiquettes plus positives, comme celles liées à la communauté, telles « lgbt » et « friendship ».
Par contre, entre considérer qu’il y a des personnages trans dans les films « gay » et soupçonner que les utilisateur·ices d’IMDb taguent de « gay » et « homosexual » les films où il s’agit en réalité de personnages trans, il n’y a qu’un pas.
L’étiquette « murder » et celles liées à la famille rappellent que les récits trans au cinéma sont souvent emprunts de violence, de mort et de relations difficiles avec les parents.
Les femmes trans, hommes trans et personnes non-binaires sont-iels traité·e·s de la même façon ?
Les femmes trans au cinéma
Il y a 365 films étiquetés comme « transgender woman » sur l’IMDb.
Le genre le plus représenté est celui du drame. Le deuxième est celui de la comédie.
Les étiquettes associées
Sex scene
Male Frontal Nudity
Female Frontal Nudity
Transphobia
Violence
Death
Pubic Hair
Family relationships
Father Son Relationship
Husband Wife Relationship
Les tags montrés plus haut sont ceux qui se distinguent de ceux accolés au mot-clé « transgender ». Comme les années précédentes, on retrouve associé à l’étiquette « transgender woman » en majorité la nudité, en relation avec les mots-clés précédemment cités, et notamment le mot-clé « sex scene ». Cependant, il y a moins d’étiquettes ouvertement transphobes telle « transsexual ». Mais demeure une importante fétichisation de la nudité chez les personnes transféminines spécifiquement, ainsi que de leur mort.
En revanche, concernant les étiquettes relationnelles, à moins de regarder chaque fiche de film individuellement, difficile de savoir si le « fils » ou le « mari » du mot-clé est une femme trans ou un homme cis.
Les hommes trans au cinéma
Il y a 67 films étiquetés comme « transgender man » sur l’IMDb.
Le genre le plus représenté est celui du drame. Le deuxième est celui du documentaire.
Les étiquettes associées
Gender
Bare Chested Male
Female Nudity
Gender transition
Gay
Friendship
Lesbian
Female Female Kiss
Gender Identity
Transgender Woman
Cette fois, les étiquettes qui reviennent le plus souvent concernent moins la nudité totale, malgré le mot-clé « female nudity », mais partielle comme avec l’étiquette « bare chested male », qui met certainement l’accent sur les chirurgies d’affirmation de genre. Celle-ci s’additionne aux étiquettes « gender » et « gender transition ». En outre, il n’est pas fait mention de travail du sexe ici.
Par contre, l’étiquette « lesbian » revient proportionnellement plus souvent que chez les femmes trans, ce qui met l’accent sur le fort lien entre les personnes transmasculines et les lesbiennes, avec le risque que ces deux communautés soient confondues. Certaines personnes transmasculines sont également des lesbiennes, souvent butch ou stud, mais il ne s’agit pas, dans ces films, de la majorité. Je ne prends pas ici en compte la dimension politique de ces termes. Les hommes trans et personnes transmasculines restent donc, dans l’imaginaire des utilisateur·ices d’IMDb, des femmes lesbiennes.
Les personnes non-binaires au cinéma
Il y a 49 films étiquetés comme « non-binary » sur l’IMDb.
Le genre le plus représenté est celui du drame. Le deuxième est celui de la comédie.
Les étiquettes associées
Gender
Lesbian
LGBT
Female Protagonist
Flashback
Friend
Male Nudity
La situation des représentations non-binaires
L’augmentation de l’étiquette « non binary » est notable. 49 longs-métrages sont désormais étiquetés comme tels, soit 38 de plus que lors du dernier recensement en 2021. 16 d’entre eux sont également étiquetés comme « transgender ».
Le plus ancien film date de 1968 et présente un personnage genderqueer au Japon. Le plus récent est en pré-production. En 2023, 7 films ont été tagués ainsi jusqu’à maintenant.
Pour donner un ordre d’idée, le film le plus noté est Elémentaire, un film d’animation Pixar de 2023 qui comporte un personnage acqueux non-binaire. Le deuxième le plus noté est le drame lesbien Tár, de 2022, où un·e élève non-binaire du personnage principal la confronte dans une scène.
Si l’on compare les autres mots-clés, on retrouve en majorité « lesbian », « lgbt », « transgender ». Soit des mots-clés majoritairement positifs, mettant en avant le genre, l’amour ou encore la communauté. L’étiquette « female protagonist », sert ici moins à mégenrer le personnage non-binaire, qu’à rappeler que les personnages non-binaires ne sont pas encore maîtres de leurs propres récits. Quant à l’étiquette « lesbian », elle rappelle le risque, comme chez les personnes transmasculines, que seul le terme « lesbienne » puisse désigner les relations qu’entretiennent les personnes non-binaires dans l’imaginaire.
Et les films en français dans tout ça ?
Si la base de données anglophone IMDb n’est pas la plus appropriée pour réaliser des statistiques sur des films en français, reste qu’elle permet de dégager quelques chiffres. Il y a au total 26680 films en français sur l’IMDb.
61 films en français sont tagués comme « transgender ». Le plus ancien date de 1954 et il s’agit d’Adam est … Eve. Le plus récent est L’arche de Noé sorti en 2023. Le sujet n’est donc pas neuf dans le cinéma français.
Côté personnages non-binaires, 2 sont tagués comme « non-binary ». Il s’agit de La vénus d’argent (2023) et de Trois nuits par semaine (2022). La non-binarité dans le cinéma francophone reste ainsi marginale, sous-estimée et très récente.
Les évolutions positives
Par rapport à 2020, moins de mots-clés misérabilistes sont utilisés pour décrire les films avec des personnages transmasc et des hommes trans. Les tags comme « crying », « breast removal » et « rape » apparaissent de façon négligeable désormais.
Avec l’édition importante qui a eu lieu sur IMDb, les étiquettes « sex change », « mtf », « transexual » et « transsexual » ont massivement diminué.
Les biais de la base de données utilisée
Pour conclure, il faut se souvenir que la base de données IMDb et ses mots-clés comporte de nombreux biais.
Les personnes ayant rentré les données sur ces films sont très probablement en majorité des personnes cis, y compris pour les étiquettes associées. A l’inverse, j’ai moi-même contribué à cette base de donnée à hauteur de plusieurs centaines de films.
De plus, le mot-clé « transgender » est associé à des films où la transidentité n’est pas au centre du film, voire n’est qu’une simple blague. Il est également associé à des films dont le sujet n’est pas la transidentité d’un personnage, bien qu’il y soit question de changement de genre, de sexe, comme lors d’expériences scientifiques ou de possession. De même, le mot-clé « trans » remplace parfois « transgender », ce qui brouille les statistiques.
En outre, je n’ai pas effectué de recherches approfondies sur les enfants et ados trans, étiquetés « transgender child » ou encore « transgender boy/girl ».
L’objectif de cette base de données n’est donc pas d’informer sur la représentation trans et sa qualité, mais de faire un état des lieux des films potentiellement trans, existants et à venir.