Représenter les transidentités autrement

Est-ce que les rôles trans devraient être joués par des acteur·ice·s trans ?

Oui. Les rôles trans devraient être interprétés par des personnes acteur·ice·s trans.

Ah, vous voulez une réponse plus détaillée ?

Soit, mais ça sera en neuf points pour répondre à cette question une bonne fois pour toute.

1. L'accès à l'industrie des acteur·ice·s trans

Ce n’est pas un secret qu’il est compliqué de décrocher un rôle récurrent dans une série ou un rôle principal dans un film. Pour les personnes trans, l’accès est encore plus difficile, pour plusieurs raisons.

L’industrie du cinéma et de la télé a aujourd’hui une vision biaisée, clichée des transidentités. Les opportunités sont peu nombreuses, les rôles trans étant rares, mais les choix se font en plus sur des stéréotypes. En effet, lorsqu’une personne trans se présente à un casting pour un rôle trans, il n’est pas rare que le refus soit basé sur leur apparence « pas assez trans ». Les scripts font mention d’apparence masculine pour des femmes trans, les annonces de castings parlent « d’entre-deux », d’androgynie pour des rôles liés à des histoires de transitions, etc.

En 2019, l’actrice cisgenre Marie Catrix est choisie pour jouer le rôle d’une femme trans dans le feuilleton quotidien Demain nous appartient.

L’annonce (extrait à droite) parlait de vouloir trouver une actrice avec une apparence masculine, non pas une actrice trans. Ce choix de casting ne reposait donc pas sur des intentions de représentations trans mais sur les clichés, particulièrement celui qu’une femme trans est “repérable” par certains traits physiques.

Une femme féminine, sensuelle, sexy, mais qui puisse avoir quelque chose de masculin. Soit la voix grave, soit la mâchoire carrée, qui sème le doute, mais qui ne soit pas forcément visible dès le départ, pour ne pas qu’on devine tout de suite qu’elle soit transgenre”

Marie Catrix, Exclu. Marie Catrix (Morgane dans Demain nous appartient) : « Je suis très fière de défendre la cause des transgenres », 25/02/2019

Outre les biais de l’industrie, il y a aussi les biais des personnes trans : à ne voir aucun·e acteur·ice transgenre avoir des rôles, iels peuvent penser qu’il n’y a pas de place pour elleux.

Faire le choix d’un·e acteur·ice trans, c’est corriger des inégalités : inégalités d’accès au travail, inégalités de représentation, et j’en passe.

2. L'expérience des acteur·ice·s trans

L’accès aux rôles est également compliqué pour les personnes trans car on leur reproche très souvent un manque d’expérience.

Les rôles trans sont souvent donnés à des acteur·ice·s cis, comme celui interprété par Marie Catrix, qui aurait très bien pu être interprété par une actrice transgenre. 

De plus, les directeur·ice·s de casting (cisgenres) ont beaucoup de mal à considérer des acteur·ice·s trans pour des rôles cis. Comment gagner en expérience et en notoriété si on ne peut jouer aucun rôle, ni trans, ni cis ?

Et si on y réfléchit, certaines personnes trans ont peut-être même bien plus d’expérience que les personnes cis. En effet, pendant une bonne partie de leur vie, iels interprètent un rôle auprès de leur entourage, et très souvent avec un tel talent que la transidentité est une surprise pour leurs proches.

Faire le choix d’un·e acteur·ice trans, c’est lui permettre d’acquérir de l’expérience.

3. La précarité

Le rejet familial, l’inadéquation entre les papiers d’identité et le genre de la personne, la transphobie ordinaire, la transphobie systémique, les parcours de transition coûteux (et je ne parle pas seulement des transitions médicales mais par exemple, du fait de se racheter l’entièreté d’une garde robe)… les raisons sont nombreuses pour expliquer la précarité des personnes trans. 

Une conséquence de l’impossibilité à faire ses preuves, c’est que cela renforce la précarité des personnes trans.

Faire le choix d’un·e acteur·ice trans, c’est également lui permettre d’avoir du travail, alors que les conditions d’accès à l’emploi sont compliquées pour les personnes trans.

4. La vraisemblance

Les rôles trans actuels s’inscrivent souvent dans des histoires de coming-out et de transition. Cela pose potentiellement le problème technique des avant/après, et qui nécessite une apparence spécifique et du maquillage, voire des effets spéciaux. Et pour ces rôles, le choix se porte presque exclusivement sur des acteur·ice·s cisgenres car iels semblent plus faciles à maquiller. Or il n’y a aucune contre-indication à porter du maquillage quand on est trans 😉 Ainsi, dans la série Veneno, plusieurs actrices trans ont interprété le rôle de Cristina “La Veneno” Ortiz a plusieurs moments de sa vie, même pré-transition.

Faire le choix d’un·e acteur·ice trans, c’est faire le choix de l’authenticité.

5. Le cycle vicieux des mauvaises représentations trans

Les personnages trans ont été jusqu’à présent en grande majorité écrits et interprétés par des personnes cis. Si un·e acteur·ice cis souhaite se renseigner, s’informer, trouver de l’inspiration pour interpréter un rôle trans, iel risque donc de se tourner vers des productions signées par les cis, imprégnées du regard cis. Iel ne pourra livrer qu’une performance dans la lignée de ces représentations passées, et donc perpétuer une représentation inauthentique.

Faire le choix d’un·e acteur·ice trans, c’est commencer à briser ce cercle vicieux.

6. Les transidentités ne sont pas des performances

Les transidentités sont des identités, ce ne sont pas des costumes que l’on peut endosser ou des personnalités que l’on peut interpréter, jouer, imiter. Bien souvent, les acteurs cisgenres font l’erreur d’essayer de “performer” la féminité ou la masculinité  en collant aux rôles de genres associés avec le genre du personnage. Cela sous-entend qu’il n’y a qu’une façon d’être trans : de passer d’un genre et ses stéréotypes, à un autre genre et ses propres stéréotypes. C’est une vision très binaire, dans laquelle beaucoup de personnes trans ne se retrouvent pas.

Faire le choix d’un·e acteur·ice trans, c’est reconnaître que les identités transgenres ne sont pas des performances.

7. Les acteur·ice·s trans existent

Notre enquête #ActoraTrans l’a prouvé : les acteur·ice·s trans et non-binaires francophones existent. Et les directeur·ice·s de casting sont capables de les trouver. Mais lorsqu’une annonce de casting utilise un vocabulaire erroné et que la présentation du personnage est empreinte de transphobie, il est compréhensible que les acteur·ice·s et non-binaires ne se dirigent pas vers ce genre de rôle. 

Des films et séries ont fait appel à des consultants qui les ont aidés entre autre à trouver des acteur·ice·s trans  : Skam France, Boy meets Girl (série), Euphoria, The Craft : Legacy (film), Studio City.

Faire le choix d’un·e acteur·ice trans, c’est suivre le sens du progrès.

8. Les émotions du public

Les fictions aident à faire avancer le mouvement social plus large pour les droits des personnes trans. GLAAD rapporte que les mentalités autour du “mariage gay” ont évolué en partie grâce aux séries comme Modern Family, Glee ou encore The New Normal. L’attachement que les spectateur·ice·s cis auront pour le personnage trans pourra se transférer à l’acteur·ice trans, et à toutes les autres personnes trans et leur combat pour plus de droits.

Cela permettra également aux personnes trans (car oui, elles font aussi partie des spectateur·ice·s !) de se voir à l’image, et surtout de se projeter dans une réalité. Elles pourront ainsi envisager un futur, une chose compliquée aujourd’hui dû aux discriminations déjà subies individuellement, celles subies par nos camarades trans, et à une médiatisation importante des violences envers les personnes trans.

Faire le choix d’un·e acteur·ice trans, c’est changer les mentalités du public cis, et c’est surtout penser au public trans, trop souvent ignoré.

9. Confusion des pronoms, confusion des transidentités

Si le genre de l’acteur·ice diffère de celui du personnage, cela peut créer une confusion quant aux pronoms à utiliser. J’en parlais dans ma critique de A Good Man : de nombreuses personnes sont perdues entre “elle” pour Noémie Merlant, l’actrice, et “il” pour Benjamin, le personnage.

Cette confusion peut mener à une mauvaise compréhension des transidentités : “l’homme trans n’est pas vraiment un homme, mais une femme” car c’est une femme qui l’interprète. Et inversement, lorsqu’un homme cisgenre interprète le rôle d’une femme trans.

Cela a comme conséquence de desservir totalement le propos, qui devrait être que les hommes trans sont des hommes, et les femmes trans des femmes.

Faire le choix d’un·e acteur·ice trans, c’est renforcer le message que les hommes trans sont des hommes, les femmes trans sont des femmes et les personnes non-binaires existent.

En conclusion...

Le problème n’est pas seulement celui du choix d’un·e acteur·ice, il se situe également dans les histoires racontées. Ce sont principalement des histoires de coming out et de transition. Pour éviter le problème technique que cela pose (mais qui n’en est pas vraiment un, comme expliqué dans un point précédent), il est possible de raconter d’autres histoires avec des personnages trans. En effet, les personnes trans ne passent pas toute leur vie à transitionner. Il faut donc diversifier les rôles proposés.

Le choix de l’acteur·ice trans ne se fait pas seulement au moment du casting, mais dès la création des histoires. 

Le sujet n’est donc pas “Les rôles trans devraient-ils être interprétés par des acteur·ice·s trans ?” mais “Comment faire en sorte qu’il y ait plus de rôles trans et plus d’acteur·ice·s trans dans le paysage audiovisuel ?”.

Co-écrit avec Chloé Hatimi

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