A Good Man (2020), critique d’une personne trans

A Good Man, réalisé par Marie-Castille Mention Schaar, est un film qui a déjà beaucoup fait parler de lui. Il raconte l’histoire de Benjamin et Aude qui veulent être parents, mais Aude ne pouvant porter d’enfants, c’est Benjamin qui se propose pour le faire.

Une polémique sur le choix de noémie merlant

Le film a d’abord fait polémique par son synopsis révélant le prénom de naissance de Benjamin, puis à nouveau lors de l’annonce du casting de Noémie Merlant dans le rôle du personnage principal trans. L’explication dans la note d’intention est insuffisante : il n’y aurait tout simplement pas assez d’acteurs trans en France. L’enquête #ActoraTrans prouve que ce n’est pas le cas (résultats complets disponibles ici).

« Les acteurs trans FTM (female to male) se comptent sur les doigts de la main. »

Extrait de la note d’intention présente dans le document de présentation à la presse (modifié par le diffuseur depuis)

En réaction à la diffusion de cette note d’intention et à l’annonce de sa programmation au Festival de Deauville, Charlie Guibert et moi-même avons organisé un rassemblement. Ce rassemblement ne visait pas particulièrement ce film mais toute l’industrie du cinéma qui oublie encore et encore nos existences, qui ne nous inclut pas dans les projets et qui se sert de nos histoires.

Organisé très tardivement et très rapidement, ce rassemblement du 6 septembre n’a pas réuni beaucoup de monde. Il en est tout de même ressorti une rencontre avec l’équipe du film dont Marie-Castille Mention-Schaar, Noémie Merlant et Jonas Ben-Ahmed. Cette rencontre s’est faite grâce à Jonas, que je connaissais déjà personnellement.

Nous avons ainsi pu mieux comprendre le casting : les canaux habituels de l’industrie n’ont pas connaissance de beaucoup d’acteurs trans. De plus, un directeur de casting, connu pour son travail sur des projets LGBTQ+, a effectivement refusé de travailler avec eux. Parmi les acteurs trans que la réalisatrice a rencontrés, aucun ne correspondait au Benjamin qu’elle avait en tête. Alors, préférant travailler avec un·e acteur·ice expérimenté·e, elle a choisi Noémie Merlant, avec qui elle avait déjà collaboré sur trois autres films.

Une histoire inspirée de faits réels

Marie-Castille Mention-Schaar a décidé de faire ce film après avoir participé à la production du documentaire Coby (2018), réalisé par Christian Sonderegger, également co-scénariste de A Good Man. Elle s’est basée sur la vie de Thomas Beatie, médiatisé comme étant le premier homme enceint, et de Jacob Hunt, déjà sujet du documentaire Coby. Par exemple, la compagne de Thomas Beatie ne pouvait pas porter d’enfant, comme Aude dans le film. Le personnage de Benjamin fait le même métier que Jacob : secouriste. Des moments du documentaire ont également été réécrits et figurent dans le film. La réalisatrice s’est aussi rapprochée de pères trans ayant fait leur parcours en France, ainsi que de Laurence Hérault, chercheuse en sciences sociales à l’Université d’Aix-Marseille.

Jonas Ben Ahmed au 46e Deauville American Film Festival (04/09/2020)
à Deauville. (Photo par Foc Kan/WireImage)

Un autre point abordé dans la note d’intention est celui du choix de Jonas Ben-Ahmed pour interpréter un personnage cis. Jonas Ben-Ahmed est un acteur trans, révélé par son rôle dans Plus Belle La Vie lorsque le soap a abordé la transidentité à travers son personnage d’Antoine. Dans A Good Man, Jonas Ben-Ahmed interprète Niels, caissier au supermarché le jour, barman le soir. Il est présent dans trois scènes et a quelques lignes de dialogues. Sa présence dans l’intrigue n’est pas prépondérante, et c’est dommage parce que je pense qu’il était possible qu’il soit plus présent dans la vie de Benjamin et Aude.

La réalisatrice a fait ce film avec de bonnes intentions en tête, souhaitant donner de la visibilité à ces familles transparentales, mais est-ce suffisant ?

Je n’arrive pas à avoir un avis tranché sur ce film d’un côté ou de l’autre. Le choix d’une actrice cis, malgré toutes les explications, me dérange toujours. Le maquillage, la barbe et les effets spéciaux sur la voix ne m’ont pas convaincu. J’ai pu ignorer ces éléments pendant la majeure partie du film, mais je ne pense pas qu’ils permettent aux personnes trans de s’identifier. Ce choix nuit à l’authenticité de l’histoire et du personnage comme j’ai pu le remarquer dans les premiers retours de personnes cisgenres sur ce film. Ce choix d’une actrice cis crée la confusion.

Dans les critiques que j’ai lues et écoutées, les personnes cis ne savent plus quels pronoms utiliser, pour le personnage, pour l’actrice, pour les flashbacks où on voit Benjamin pré-transition. Et c’est d’ailleurs une des raisons pour laquelle nous, militant·e·s trans, nous opposons au choix d’un·e acteur·ice cis pour interpréter un rôle trans. Le documentaire Identités trans : au-delà de l’image (2020) de Sam Feder vous en dira beaucoup plus encore sur les représentations trans et l’importance du choix d’un·e acteur·ice trans.

J’ai apprécié plusieurs moments du film, notamment les scènes où Benjamin est clairement enceint car ce ne sont pas des images que l’ont voit d’habitude au cinéma. J’en suis ressorti avec le sentiment d’avoir passé un bon moment tout de même, et pour moi, les points positifs l’emportent sur les points négatifs. Je pense pouvoir recommander ce film aux personnes trans sans avoir à les avertir de quelconques scènes dérangeantes. Ce qui est assez rare pour le noter.

Je note positivement que le film n’a pas consacré de scène à faire de la pédagogie sur la transidentité. Ces scènes sont clairement destinées à un public cisgenre, et lorsqu’elles sont présentes dans un film, donnent l’impression que le public trans n’a pas été pris en compte. Le film, basées sur des faits réels, n’est pas plus dramatique que la réalité. Les scènes de violences transphobes (qui ne sont jamais physiques) n’ont pas pour but de créer de l’empathie envers Benjamin. Contrairement à beaucoup de films sur la transidentité, ce n’est ni une histoire de coming-out ni une histoire de transition.

Ma critique est personnelle, motivée par le besoin d’écrire après avoir vu trop de critiques d’hommes cisgenres énervés sans réels arguments. Mon avis est le mien et j’invite les personnes qui l’ont vu à me contacter pour en discuter car j’aimerais beaucoup avoir d’autres avis de personnes concernées (trans ou proches).

(critique mise à jour en septembre 2021)