Au cinéma, les hommes cis ont porté plus d’enfant que les hommes trans

Comment la grossesse des hommes est-elle représentée ?

La question peut paraître farfelue surtout si on ne sait pas déjà que des hommes trans peuvent faire le choix de porter leur enfant. Mais elle ne l’est pas tant que ça car le sujet a été abordé dans un bon nombre de films. Le seul hic dans tout ça : ce ne sont que des hommes cisgenres qui portent des enfants.

Des hommes cisgenres qui donnent naissance ?

Dans la fiction, oui. En 2005, un épisode de Grey’s Anatomy présente un homme cisgenre avec un ventre comme celui d’une personne enceinte. Ce n’est pas une grossesse mais une tumeur bénigne. Des décennies auparavant, en 1973, Marcello Mastroianni porte l’enfant qu’il a avec Catherine Deneuve. Une grossesse inexpliquée qui fait beaucoup parler. Aucune mention des personnes trans dans ces œuvres, dans aucune des œuvres qui racontent ce type de grossesse.

Ce n’est que très récemment que la fiction s’est intéressée aux grossesses des hommes trans.

Rio Gutierrez est un patient dans The Good Doctor, interprété par Emmet Preciado (acteur trans)

La série The Good Doctor a diffusé un épisode avec un homme trans étant enceint, et c’est la première du genre à le faire. Au cinéma, un film canadien indépendant et financé par une campagne de crowdfunding a abordé le sujet frontalement : Two4One (2015). Un deuxième film sort en salles dans quelques jours : A Good Man, réalisé par Marie-Castille Mention Schaar, avec Noémie Merlant dans le rôle principal. Je vous en parlais déjà il y a quelques mois.

Dans cet article, nous allons donc nous intéresser aux représentations des hommes enceints au cinéma, ce qu’elles disent de ce que la société pense de ces grossesses et l’impact que ces représentations ont sur les personnes cisgenres comme sur les personnes trans.

Au cinéma, les hommes cis ont porté plus d’enfant que les hommes trans

J’ai utilisé la base de données IMDb pour extraire les informations sur les films (long-métrage) ayant les tags suivants : « male pregnancy » et « pregnant man ». Il y a 28 films dans cette base de données qui portent ces étiquettes. Le premier est sorti en 1959, le plus récent date de 2020 (et non, ce n’est pas A Good Man).

Les biais de cette base de données sont les suivants : les données ont été probablement renseignées par des personnes cisgenres, les quelques films avec ou par des personnes trans abordant le sujet clairement n’utilisent pas ces tags (comme Seahorse avec Freddy McConnell, ou A Deal With The Universe, de Jason Baker). Les seuls autres films abordant la thématique frontalement ne sont pas non plus étiquetés avec ces termes  (Two4One et A Good Man). Le total de ces films pourrait donc passer à 32 si on les incluait.

Arnold Schwarzenegger a été un robot… et a porté son enfant

Ce qui est intéressant avec les 5 films les plus vus* recensés dans cette base de données, c’est que 3 sont sortis avant les années 2000. On s’intéresse à ce sujet depuis un moment, sans jamais considérer les parentalités trans…

On peut noter également que quatre de ces films sont des comédies. Seul un des films a pour histoire centrale la grossesse : Junior (1994) avec Arnold Schwarzenegger.

  1.       Junior (1994)
    Comédie, Romance, Science-Fiction
  2.       Zoolander No. 2 (2016)
    Action, Comédie
  3.       Enemy (1985)
    Action, Drame
  4.       Le tout nouveau testament (2015)
    Comédie, Fantastique
  5.       Confidences sur l’oreiller (1959)
    Comédie, Romance

“Un homme enceint” n’est pas le début d’une blague connue, et pourtant…

Si les données que j’ai extrait n’incluent pas les rares films par ou avec des personnes trans, les données nous permettent de voir comment le sujet est traité par les personnes cis dans les films « mainstream”.

Aucun de ces films écrits, réalisés et interprétés par des personnes cis ne font mention des personnes trans. Dans l’imaginaire de ces personnes, et donc dans l’imaginaire du public, un homme enceint reste quelque chose de fictif, d’impossible, et surtout, comme en témoigne la prévalence des comédies (68%) cela reste quelque chose de comique, une source presque intarissable de rires.

Qu’un homme porte un enfant n’est pas totalement inimaginable. Ces 28 films en sont la preuve. L’idée n’est pas récente d’ailleurs, Jacques Demy fait porter un ventre de personne enceinte à Marcello Mastroianni face à Catherine Deneuve dès 1973. Cependant, il est impensable que cette grossesse soit « naturelle » : elle est le produit d’une erreur de la science (Junior) ou une grossesse d’un être alien (Enemy).

Ces grossesses ne sont donc pas à prendre au sérieux ni à envisager dans nos propres familles. Le film de Jacques Demy porte bien un message pro-avortement, écolo et propose même une satire de la publicité, il en reste que la grossesse de Mastroianni n’est pas ancrée dans la réalité. Elle est encore moins ancrée dans la réalité des transidentités.

Des hommes trans accouchent toutes les semaines

En 2017, le système de santé australien révèle que 54 hommes trans ont accouchés dans le pays. 54 personnes qui accouchent en un an, cela fait qu’un bébé naît toutes les semaines d’un homme trans en Australie. Si on rapporte cela au nombre de naissance en France (avec les chiffres de 2017 également), on pourrait compter près de 140 bébés nés d’hommes trans cet année-là.

2017 n’était pas la première année à voir des hommes trans accoucher : Thomas Beatie a “choqué” le monde entier en 2009 lorsque sa grossesse a été médiatisée. Un fait notable car les réseaux sociaux n’étaient pas aussi viraux qu’aujourd’hui comme le relève Freddy McConnell dans son article sur l’expression “pregnant man”.

Thomas Beatie a effectivement été le premier homme enceint dont la grossesse a été autant médiatisée mais il est loin d’être le premier ni le dernier homme enceint. Outre Freddy McConnell lui-même, de nombreux autres hommes donnent naissance tous les ans.

Mais le grand public n’en a vraisemblablement pas connaissance car en 2020, Three Pregnant Men, un documenteur (ou fauxcumentaire) est sorti. Ce dernier raconte les grossesses surprenantes de trois hommes cisgenres. Leurs grossesses sont des évènements spectaculaires et surtout : impensables.

Or Freddy McConnell a fait de sa première grossesse un documentaire (et documente la seconde en ce moment même sur son Instagram), Jason Baker en a fait un documentaire, Precious et Myles Brady Davis ont été le sujet d’une émission au côté d’un autre homme trans, etc. Les hommes trans et les personnes non-binaires peuvent donc porter leurs enfants. C’est possible et réel. Contrairement à ce qu’une certaine encyclopédie nous laisse croire.

Les 28 films avec des hommes cisgenres ne permettent pas au grand public de se faire une image claire et concrète de ces grossesses. Pour les spectateur·ice·s, un homme enceint est très loin d’être quelque chose de réaliste, de tangible, de possible. Pourtant, des hommes trans accouchent toutes les semaines.

Est-ce que c’est si grave que ça ?

L’invisibilisation (active ou passive) des hommes trans enceints dans la fiction comme dans les médias contribue à plusieurs choses :

1. L’ignorance des possibilités de procréation pour les personnes trans

Freddy McConnell en a témoigné, et comme nombre d’autres hommes trans enceints, il ne savait pas qu’il était possible de porter son enfant avant d’avoir connaissance de la grossesse d’autres hommes trans. Dans son article du 22 février 2021, il parle même du fait que le traitement de la grossesse de Thomas Beatie avait eu l’effet contraire de ce que la visibilité peut avoir : les articles avaient présenté l’information comme si sensationnelle et hors du commun qu’elle en était devenu impossible pour Freddy.

2. L’impossibilité de concevoir les parentalités trans pour les médecins

Les professionnel·le·s de santé ne conçoivent pas que les hommes trans puissent porter leurs enfants, ou que les femmes trans puissent utiliser leurs gamètes. En France, un rapport de l’Académie de Médecine rendu en 2014 présentait même cela ainsi : “procréer en exprimant biologiquement un sexe qui n’est pas celui de la personne ni sans doute celui du futur parent.”. Ils insistent donc sur le rôle social (père ou mère) des parents et les gamètes, comme si les deux étaient intrinsèquement liée. Laurence Hérault (anthropologue et maîtresse de conférences de l’université d’Aix-Marseille) précisait pourtant que si une femme trans utilisait ses propres gamètes pour la procréation de son enfant, cela “ne fait pas d’elle un père”.

Ce rapport de l’Académie de Médecine conclut ainsi : “Les conséquences pour l’enfant de ces nouveaux modes de procréation sont inappréciables actuellement. Si des enfants devaient naître dans ces circonstances, la plus grande attention devrait être accordée à leur développement et à leur vécu.”

Les enfants des personnes trans devraient donc être étudiés et suivis, sous-entendant que les capacités des personnes trans à être parents ne seraient pas les mêmes que les personnes cisgenres.

3. La désinformation médicale des personnes trans

Dans le monde entier, les professionnel·le·s de santé continue de désinformer leurs patient·e·s avec les deux mensonges suivants : la testostérone rendrait stérile (alors que ce n’est même pas un contraceptif) et augmenterait les risques de cancer de l’utérus. Ils les incitent ainsi à être opéré et donc, définitivement stériles.

Le documentaire Coby (2018) montre des images de Jacob, un homme trans, face à des médecins lui disant ces choses-là. Ce documentaire a fait le tour du monde et a été montré dans plusieurs dizaines de festivals, dont Cannes, diffusant ainsi très largement cette désinformation.

4. L’absence de protection légale pour les parents trans

Dans la réalité, le sujet des parentalités trans est un sujet complexe car il mêle la biologie, la législation et les choix individuels des personnes trans. Selon les parcours de transition, les nationalités, les pays de résidence, l’accès à la parentalité peut être très, très compliqué.

Lorsqu’il est possible légalement en France, le parcours est complexe et lourdement encadré. Prenons l’exemple d’un couple composé d’un homme transgenre et d’une femme cisgenre. Si l’homme trans ne souhaite pas porter l’enfant et a obtenu son changement de genre à l’état civil, il est possible de passer par la voie légale et d’obtenir une PMA en France. Mais cela dépendra des professionnel·le·s des CECOS (Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains) où le couple fait sa demande, et surtout, leur enfant pourra subir un suivi jusqu’à ses 18 ans.

Récemment, l’émission Les Pieds sur Terre a donné la parole à Ali et François, un homme trans et un homme cis, qui ont été tous les deux reconnus pères de leur enfant par le tribunal. Car oui, ils ont dû passer devant un tribunal. Mais ce cas est pour l’instant une exception. > Écouter Ali dans l’émission du 3 février 2021

La loi bioéthique qui a récemment été votée ne prévoit pas un accès à la PMA pour les hommes trans, ni même aux femmes trans. Jena Selle en parlait dans son discours lors d’un rassemblement pour la PMA pour tou·te·s, et dans cette longue interview DataGueule sur les transparentalité.

Pour aller plus loin :

*ayant le plus grand nombre de votes dans la base de donnée