Cela va bientôt faire 8 mois que je vous parle du cis gaze à intervalles réguliers. Pour ce mois de juin, je me suis dit qu’on pouvait s’accorder une pause et s’intéresser un peu au regard trans’.
C’est quoi le regard trans’ ?
Le regard trans’ n’est pas l’autre côté de la la pièce par rapport au regard cis. En effet, cela voudrait dire qu’ils sont équivalents en poids et légitimité, or il n’en est rien. Le regard cis est systémique, il est hégémonique, il est universel. Le regard trans’ est à la marge.
Dans mon mémoire j’ai écrit : “C’est la norme cis qui est représentée, c’est le regard cis qui est actif. Ce qui est qualifié de trans’ n’a pas de pouvoir, pas de regard, seulement un corps et une histoire qui échappent à son contrôle au profit d’une narration et de représentation ciscentrées.” Le regard cis vole aux personnes et aux histoires trans’ leur droit à se raconter elles-mêmes, selon leurs propres envies et réalités. Valoriser le regard trans’ et le porter, c’est faire valoir notre droit, en tant que personnes trans’, à avoir un rôle actif dans nos représentations.
Mais du coup c’est quoi le regard trans’ ? Est-ce qu’il y a vingt critères aussi ? Quels sont-ils ? Je ne vais pas vous mentir, je n’ai (pour le moment) pas poussé la recherche aussi loin. Un histoire racontée sous le prisme du trans gaze n’est pas forcément une histoire positive. Il y a des scènes de violence, du mégenrage, du maquillage, des scènes de miroirs, etc, dans les productions de personnes trans’. Mais il n’y a pas la bande-originale tragique ; il y a des instants en communauté qui brisent le mythe du cas isolé ; il y a une pluralité des représentations qui brisent tout ce que le regard cis préconçoit des communautés trans’.
Le regard trans’, c’est un regard subjectif qui s’assume, à l’inverse du regard cis. C’est un regard qui vient des communautés qui se réapproprient les outils de création. C’est un regard qui veut mettre en lumière ce que le cis gaze ne trouve pas assez intéressant pour le montrer.
Ce sont des récits hors transitions, des mariages, des grossesses et des success story ; c’est des personnes trans’ qui ne sont pas hétérosexuelles, pas blanches, pas minces, pas valides, pas bourgeoises, pas hormonées, pas binaires…1 En ne se positionnant pas comme un regard hégémonique et une vérité absolue, le trans gaze permet d’appréhender un panel de réalités plus larges car elles n’ont pas à entrer dans le moule d’idées préconçues par le ciscentrisme.
Le regard trans’ au-delà des récits sur la transidentité
Ce qui m’a poussé à m’interroger sur l’existence d’un regard trans’ à la base, c’est l’évocation croissante de Matrix (1999) en tant qu’allégorie de la transidentité. Les réalisatrices, Lana et Lilly Wachowski, sont des femmes trans’ et elles auraient fait passer, à travers ce film, un message sur leurs / les transidentités et la condition sociale des personnes trans’ dans un système cisnormé.
Le regard cis correspond à la vision que l’on porte sur le genre et le système cis normatif en étant au coeur de celui-ci. Parallèlement, on peut postuler que le regard trans’ consiste à observer et questionner ce système lorsqu’on se trouve poussé·es à la marge. Des allégories comme celle de Matrix existent sûrement ailleurs et permettent de questionner la binarité, la psychiatrisation des personnes trans’ ou encore le cissexisme sans les nommer.
Avoir un regard trans’ et à plus forte raison être une personne trans’ ne signifie pas ne devoir raconter que des histoires en rapport avec la transidentité (de la même manière que les acteur-rices trans’ ne doivent pas être cantonné-es à des rôles trans’) ni devoir faire des allégories dès que le sujet est autre.
Il n’y a pas à essentialiser ce regard. Quand j’écris sur le regard cis, je précise que celui-ci peut être porté par des personnes trans’ à partir du moment où elles perpétuent des représentations et des prises de positions qui ne remettent pas en question ce qui est attendu par le public cis. Être trans’ n’est pas un garant du regard trans’ pas plus qu’il n’y oblige le·a créateur·rice trans’. Comme tout point de vue, celui-ci peut évoluer avec le temps, selon le projet, …
Ce dont il s’agit finalement avec le postulat du regard trans’ c’est de dire qu’il a la possibilité d’exister selon la volonté de la personne qui le porte. Et ce regard peut être porté à la création d’une œuvre mais aussi, et c’est peut-être ce regard trans’ que j’affectionne le plus, à la réception d’une œuvre.
Comme le regard trans’ se positionne en marge et se cherche là où il ne peut pas se retrouver explicitement, il voit des signes. Et pour se dire les choses clairement, c’est un plaisir de reprendre les personnages de JK TERF Rowling et d’en faire des personnages trans’ à travers la fanfiction, les threads twitter, les posts Tumblr ou les fanarts. Je disais en début d’article que le regard trans’ c’est la réappropriation des narrations pour pouvoir s’y retrouver et je trouve que les formes de productions de fans s’y prêtent particulièrement bien. En attendant plus de bonnes représentations canon.
Notes
1. Par exemple : Amoureuxse, Malo Maëlle Vauchel, 2020 (à voir sur https://ecranrouge.com/video/amoureuxe/) ; Seahorse, Jeanie Finlay, 2019 ; Pose, 2018-2021 ; Her Story, Sydney Freeland, 2016 (à voir sur https://www.youtube.com/watch?v=UkHicPm7C6Q TW : TERF) ; Las Hijas del Fuego, Albertina Carri, 2018…